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Le pape François s’est exprimé sur la guerre en Ukraine en reprenant ce qui fait l’essence de la diplomatie vaticane lors de l’Angélus du 25 février. Des propos en résonance avec l’Évangile de la veille : “Ne pas haïr ses ennemis.” Le Pape a ainsi demandé “la restauration de ce peu d’humanité qui créera les conditions d’une solution diplomatique à la recherche d’une paix juste et durable”. S’il y a un agresseur — la Russie — et un agressé — l’Ukraine —, le Pape n’a cessé de rappeler que les origines du conflit sont bien plus anciennes que l’attaque de février 2022. Si l’on veut édifier une paix juste et durable, c’est à ces racines profondes qu’il faut s’attaquer.
L’Évangile du 24 février (Mt 5) rapporte les propos souvent les plus difficiles du Christ : “Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent.” Des propos qui, dans le cadre d’une guerre, peuvent paraître insupportables. Comment aimer les nazis qui envahissent la France, les Soviétiques qui occupent la Pologne ou les Russes qui bombardent Kiev ? Ce sont pourtant ces mots qui fondent la nature de la diplomatie vaticane.
Vouloir le bien de ses ennemis
Les propos rapportés par saint Matthieu n’effacent pas la distinction entre amis et ennemis, ils confirment même qu’il existe bien des ennemis et des persécuteurs, ce qui disqualifie le pacifisme et l’idéalisme, deux idées qui ont tendance à nier l’existence de l’adversaire et de l’ennemi. Mais Matthieu précise que face à eux, il faut les aimer et prier pour eux. Toute la subtilité réside dans la définition de ce que signifie “aimer” ses ennemis en temps de guerre. Le message constant des papes depuis Léon XIII, s’appuyant sur la longue tradition de l’Église, est qu’il faut vouloir le bien de ses ennemis. Combattre le nazisme est une façon d’aider les Allemands et Pie XII a toujours fait la distinction entre l’idéologie nazie, défendue par un grand nombre d’Allemands, et les Allemands, dont un certain nombre étaient opposés, voire résistants au régime.
La paix juste ne peut pas être fondée sur la haine et le ressentiment.
Le premier pas dans le fait d’aimer ses ennemis consiste donc à ne pas les essentialiser. Ainsi, il n’y a pas “les Russes” contre “les Ukrainiens”, même si par commodité on emploie souvent le pluriel englobant. Dans ce conflit, on trouve des Russes opposés à la politique de Vladimir Poutine, comme des Ukrainiens favorables au rattachement avec la Russie. Dans l’entourage du président Vladimir Poutine comme dans celui de Volodymyr Zelensky se trouvent des avis divergents et des dissensions, qui peuvent plus ou moins s’exprimer. Le Christ nous rappelle que les fautes sont toujours personnelles et jamais collectives, et qu’il ne peut donc pas y avoir de punition collective qui soit juste. “Punir” la Russie ou “punir” les Russes n’a aucun sens. Seuls les coupables de crimes avérés et jugés peuvent être punis.
Le piège du conflit idéologisé
Le conflit idéologique n’a pas non plus sa place. Ce ne sont pas les “démocratie” contre les “dictatures”. La guerre n’est pas une croisade pour des valeurs mais un moyen de rétablir la justice. C’est déjà ce que défendaient Pie XII face à Roosevelt et Jean Paul II lors des attaques contre l’Irak en 1991 et 2003. Si l’on s’inscrit dans un conflit idéologique, il est impossible de bâtir la paix puisqu’on ne peut pas transiger avec des idées mauvaises. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, François tente à son tour d’éviter le piège du conflit idéologisé.
Définir l’ennemi est donc la première condition pour l’aimer. Définir voulant dire “délimiter”, “circonscrire” dans sa globalité. D’où l’attachement du Pape à voir toutes les causes de cette guerre, les causes directes (l’invasion du 24 février), comme les causes profondes (la politique ukrainienne à l’égard des russophones, l’extension de l’OTAN).
Pas d’amour sans justice
L’autre volet de l’amour est celui de la justice, une notion fondamentale en philosophie politique, mais qui a presque complètement disparu du débat politique. Or le pape François ne cesse de parler de la justice, encore pendant cet Angélus où il a évoqué “une paix juste et durable”.
La paix juste ne peut pas être fondée sur la haine et le ressentiment, ce que dit aussi Matthieu dans son Évangile. Aimer l’ennemi et le persécuteur, c’est ne pas avoir de haine à son égard. Plus grand même : être capable de lui pardonner s’il demande pardon. Or, dans un conflit comme celui de la guerre en Ukraine, où les deux peuples sont si proches et partagent tant en matière historique et culturelle, le pardon est essentiel. La paix ne pourra revenir que lorsque la barrière de la haine causée par les massacres et les bombardements aura disparu, comme elle a disparu entre Français et Allemands. Le pardon n’est pas l’oubli, ainsi que le montrent les commémorations du 11 novembre et du 8 mai, mais c’est le ressort indispensable pour ne pas rejeter sur les fils les fautes des pères. Les Russes nés en 2022 ne pourront pas porter la responsabilité de la guerre déclenchée cette année-là. Et si l’on veut que la paix l’emporte et gagne réellement, il faudra bien passer par la réconciliation. C’est là le rôle indispensable de la diplomatie vaticane, et ce devrait être aussi le rôle de l’église orthodoxe en Ukraine et en Russie.