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Se passerait-il quelque chose d’inattendu dans le catholicisme français ? À en croire des signaux remontant des paroisses et diocèses, cela se pourrait : le nombre de catéchumènes augmente dans des proportions inattendues au moins depuis septembre 2023, et le nombre de baptêmes d’adultes croît nettement. La quantité d’appels décisifs, qui se tiennent en ce début de carême, a aussi augmenté en 2024. Les commentaires du phénomène mettent en avant la surprise des responsables face à la montée de ces demandes de première sacramentalisation. Rien ne le laissait anticiper, les mécanismes classiques conduisant à demander le baptême paraissant reculer, d’autant que la population entrant en catéchuménat est plutôt jeune.
La statistique pastorale
Au risque de casser l’ambiance, une lecture historicisée du phénomène n’est pas inutile afin de percevoir ce qui se produit peut-être. L’attention du catholicisme à sa propre quantification est fort ancienne, au point d’avoir permis le développement d’une sociologie religieuse initiée par Gabriel Le Bras au début des années 1930 et d’une sociographie religieuse créée par le chanoine Fernand Boulard à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Boulard acheva sa carrière pastoralo-scientifique en pilotant la publication d’un gigantesque ensemble de statistiques ecclésiastiques, les Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français(4 vol., 1977-2005). L’ardeur statistique à visée fondamentalement pastorale (savoir où il n’y a pas ou peu de catholiques pour pouvoir y déployer les forces vives de la conquête) est pourtant quelque peu retombée. L’Église de France continue cependant à publier des données (pas toujours cohérentes ni continues), à en faire des descriptions sommaires, et à fournir en information l’Annuarium statisticum Ecclesiæ du Saint-Siège. L’exploitation rapide de ces chiffres (puisés dans les publications du Service national de la catéchèse et du catéchuménat et dans les Guides de l’Église) permet de mettre en perspective ce qui paraît se produire depuis un ou deux ans.
Les baptêmes d’adultes en hausse…
Premier élément intéressant, le nombre de baptêmes d’adultes croît globalement de manière continue depuis 2001. Relativement lente jusqu’en 2012, la croissance est plus forte jusqu’à 2017, avec un plateau qui se poursuit jusqu’en 2022, l’année Covid 2021 faisant chuter les chiffres — y a-t-il eu rattrapage par la suite ? La croissance reprend en 2023 et 2024 paraît le confirmer. Au total, il y a sans doute plus de 78.000 adultes qui ont été baptisés depuis 2001, dont presque 60 % depuis 2013.
Deuxième élément à relever, cette croissance diffère de la tendance erratique des baptêmes des plus de 7 ans (dans laquelle elle est inscrite). Cela laisse penser à une originalité du phénomène de la demande de baptême à l’âge adulte, dont la part parmi le total des baptêmes de plus de 7 ans augmente tendanciellement (de 11-12 % au début des années 2000 à 18-20 % à la fin des années 2010). Parmi l’ensemble des baptêmes, les baptêmes d’adultes passent de 0,6 % en 2001 à plus de 2 % en 2019. L’originalité du baptême d’adultes se repère aussi au rapport entre catéchumènes (série malheureusement fort incomplète, et qui intègre le nombre de baptisés de l’année…) et baptisés adultes, dont le taux augmente dans les années 2001-2013. Les entrées en catéchuménat débouchent donc davantage dans des baptêmes effectifs.
… mais chute du nombre de baptêmes d’enfants
Faut-il voir dans ces transformations une forme de rattrapage des baptêmes qui auraient pu être célébrés entre 7 et 18 ans et qui ne l’ont pas été ? Peut-être, mais rien n’est moins sûr. La répartition par âge des nouveaux baptisés évolue de manière rapide et erratique. Les 18-24 ans en représentaient un peu plus de 20% en 2004, moins de 10% en 2014, 28% en 2023. Les appartenances socioprofessionnelles tendent à être plus stables, même s’il y a une tendance à la diminution des origines ouvrières et employées (de presque 45 % à 37% de 2004 à 2023), à la croissance des professions supérieures et indépendantes (de 12 à 22%). En revanche, le rapport homme-femme demeure globalement stable, de l’ordre de plus ou moins un tiers — plus ou moins deux tiers — comme si le catholicisme, y compris dans son attractivité se perpétuait dans le dimorphisme sexuel qui le caractérise depuis sans doute avant la Révolution (et comme si la misogynie qu’on lui prêtait n’y faisait rien).
Les baptêmes après 7 ans, et parmi eux les baptêmes d’adultes, sont loin de compenser ce qu’est devenue la réalité de la sacramentalisation dans la France contemporaine.
Cependant, ce qui semble bien être une spécificité croissante du baptême après 18 ans ne peut ignorer des évolutions différentes. Le nombre total de baptêmes a été divisé par 4 de 1990 à 2020, passant de 472 130 à 112 123 de manière extrêmement régulière. Au total, les 617 118 baptêmes de plus de 7 ans durant cette même période ans représentent moins qu’une année de naissance en France, ou trois ans de baptêmes annuels à la fin des années 2010. Et les 78 000 baptêmes d’adultes de 2001 à 2023 représentent un peu plus que la chute du nombre total des baptêmes de 2013 à 2020.
La qualité dépend aussi de la quantité
Bref, les baptêmes après 7 ans, et parmi eux les baptêmes d’adultes, sont loin de compenser ce qu’est devenue la réalité de la sacramentalisation dans la France contemporaine : un phénomène en cours de réduction régulière en train de faire de la France un pays post-catholique. Ce qui ne veut pas dire que ces baptêmes d’adultes ne signifient rien, au-delà de ceux qui le reçoivent — et dont on ne sait quelle est la proportion de pratiquants réguliers. À mesure que disparaissent les cohortes nées dans les années 1940-1960 et qui avaient conservé la pratique, à rebours d’un mouvement général, ils contribuent à faire basculer complètement le catholicisme du côté de la “religion du choix individuel”, en l’éloignant du multitudinisme qui l’a si profondément caractérisé.
D’aucuns parmi les catholiques ont valorisé cette transformation, au moins depuis les années 1950, la qualité étant censée compenser la quantité. Mais, et c’est une simple observation socio-historique, la qualité dépend aussi de la quantité. Reste à savoir si assumer la recherche de la quantité, au-delà d’une politique de l’offre et du témoignage pour montrer qu’on existe encore, est encore pensable dans le catholicisme français contemporain. Il faudrait pour cela accepter que les causes secondes, voire secondaires, ne sont pas indifférentes à l’efficience des causes premières, et qu’il est assez exceptionnel, pour ne pas dire presque jamais observé, que l’Esprit saint agisse en ignorant les logiques sociales qui procèdent après tout elles aussi de la Création.