La révision constitutionnelle que vient d’adopter le Congrès réuni à Versailles le 4 mars est désastreuse dans la mesure où elle consacre presque cinquante ans de dénaturation de la législation sur l’avortement, conçue à l’origine comme étant seulement la dépénalisation d’un acte intrinsèquement mauvais. Mais cette révision méconnaît également les limites du pouvoir constitutionnel du peuple qu’il exerce par ses représentants ou par le référendum. En effet, la norme constitutionnelle n’est jamais une norme absolue. Le peuple n’est pas un souverain absolu.
Un principe d’humanité supra-constitutionnel
Le peuple constituant doit en effet répondre de la compatibilité de sa loi constitutionnelle avec des normes supra-constitutionnelles, non écrites, qui sont l’expression d’une justice suprême universelle, dont la plus importante est assurément le “tu ne tueras pas“. Il s’agit d’un “principe d’humanité” essentiel dans une démocratie libérale comme la nôtre. Il est aujourd’hui menacé, non seulement par l’avortement de masse, mais aussi par la perspective d’une légalisation de l’euthanasie. Aux deux extrémités de la vie, on entend réputer qu’une vie ne vaut pas encore la peine, ou ne vaut plus la peine d’être vécue, parce que le sujet n’a pas encore, a perdu ou craint de perdre l’autonomie de son agir moral, et donc, décrète-t-on, son humanité. Or, la norme supra-constitutionnelle nous l’énonce avec force : notre humanité est inamissible, de la conception à la mort, quel que soit l’état de nos moyens physiques ou intellectuels. C’est toute l’autorité de l’article 16 du code civil [“La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”] de l’énoncer. Il est aujourd’hui menacé par la révision du 4 mars 2024.
De cette norme supra-constitutionnelle, qu’on pourrait dire “conscience humaine”, car c’est de ce “tribunal” qu’elle émane, ont d’ailleurs découlé des principes et des instruments internationaux : prohibition du crime contre l’humanité, du crime de génocide, des crimes de guerre, de la discrimination raciale. C’est encore cette norme supra-constitutionnelle qui justifie l’objection de conscience garantie au praticien : aucun ne doit être contraint de supprimer par avortement un être humain au commencement de sa vie. L’objection de conscience est déjà remise en cause par certains députés alors que la révision constitutionnelle n’a pas encore été enregistrée. C’est aussi pourquoi l’abolition de la peine de mort peut, en revanche, être inscrite dans un texte constitutionnel.
En infirmant l’arrêt Roe v. Wade, la Cour suprême des États-Unis d’Amérique n’a rien fait d’autre que de remettre la Constitution américaine en compatibilité avec la norme supra-constitutionnelle de l’interdit d’homicide : tuer ne peut jamais constituer un droit ou une liberté. Jamais.
Étouffer la voix de la conscience
D’où l’incidence désastreuse dans notre pays de la suppression de tous les dispositifs législatifs qui étaient censés aider la femme à se déterminer avant de passer à l’acte et d’avorter : on entend même les suffragettes de l’IVG constitutionnalisée demander l’interdiction des organismes qui viennent assister les femmes dans cette phase critique en les éclairant sur la gravité de l’IVG. Pour que l’avortement passe pour une liberté ou, ce qui revient au même, un droit, il faut étouffer la voix de la conscience. Il n’aura pas échappé qu’on est typiquement, ici, dans une logique d’État totalitaire.
Le tragique de cette affaire, c’est que l’abus de pouvoir constitutionnel n’a pas de sanction juridictionnelle
Voilà donc ce qui a été foulé aux pieds par le constituant français à Versailles. Les congressistes sont sortis joyeux du château de Versailles : mais savaient-ils vraiment ce qu’ils venaient de faire en ce jour “historique” ? Le tragique de cette affaire, c’est que l’abus de pouvoir constitutionnel n’a pas de sanction juridictionnelle : nos représentants devront en répondre devant l’histoire et, j’en ai la conviction, devant Dieu.