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“Quelques soient les dangers, les crises, les drames que nous avons à traverser, par-dessus tout et toujours, nous savons où nous allons, nous allons même quand nous mourrons vers la vie”.
“Nous allons même quand nous mourrons vers la vie”.
Cette phrase, Amiral, c’est votre père qui la prononça, le 31 mai 1967, à la villa Bonaparte, siège de l’Ambassade de France auprès du Saint Siège.
Et n’y a-t-il pas ici l’expression de cette espérance qui nous rassemble, en cette foi en la vie plus forte que la mort.
Longue et riche fût votre séjour ici-bas et vous aviez rejoint l’Institution Nationale des Invalides il y a maintenant plus de deux ans et les premiers mots que vous m’avez adressés lorsque nous fîmes connaissance ont été simplement : « Alors mon père vous serez là le jour de mes obsèques ». Je me suis contenté de répondre que je n’étais absolument pas pressé ; mais voici que l’heure est venue et je ne vais pas me dérober.
Le cœur d’un homme est un sanctuaire inviolable et il serait vain, sinon sacrilège, de prétendre s’en approcher, et toute vie est un mystère qui n’appartient qu’à Dieu.
Cela-dit je garde un beau souvenir de ces moments d’intimité que nous avons partagés, et lorsqu’il m’arrivait de vous dire : « Amiral c’est les mains bien pleines que vous paraitrez devant votre Seigneur », je vous revoie lever les bras au ciel d’un air dubitatif. Geste de coquetterie ? Je ne le crois plus maintenant, car elles sont bien vides à présent, vides et disposées à tout recevoir.
Sans doute aviez-vous trop vécu pour garder certaines illusions sur la nature humaine.
Mais bien davantage vous aviez assez vécu pour en conserver une immense espérance.
Parce que vous croyiez en Dieu vous croyiez en l’homme.
Parce que vous croyiez en l’homme vous croyiez en Dieu.
Assurément restiez-vous discret sur vos sentiments religieux, pourtant bien établis, mais a-t-elle besoin de mots cette foi qui s’incarne dans les gênes et féconde le cœur ?
Le Christ fût le compagnon de toute votre vie, le compagnon sûr et fidèle qui a guidé vos pas, particulièrement au temps des épreuves et des combats, et ils furent nombreux, mais aussi pour partager les moments de joie.
Vous étiez là, dans cette cathédrale, au premier rang à l’occasion du mariage de votre petite-fille Nathalie, le 3 juin dernier, et je sais combien cette présence avait de prix pour vous et pour les vôtres. Cette place que vous occupiez encore tout récemment lors de la messe dominicale et qui désormais restera vide car si vous êtes parti pour autant vous ne nous avez pas quittés.
Alors il y a ces passages de l’Ecriture que votre famille nous a partagés et particulièrement cet extrait de l’Evangile selon Saint Jean : “Le grain de blé tombé et terre s’il ne meurt pas il reste seul, mais s’il meurt il porte beaucoup de fruits”.
Cela nous rappelle que la vie n’est belle que quand elle est donnée.
C’est assurément cet amour de la Patrie qui a été à la genèse de tous vos engagements, et vous avez su associer dans une parfaite harmonie votre vocation de baptisé, ainsi que celle d’officier de marine, puis d’homme public engagé dans la vie de la Cité, toujours fidèle à votre foi. Car comme se plaisait à le rappeler votre père si la République est laïque la France, elle, est chrétienne. Vous avez toujours su distinguer le chrétien et le serviteur de l’Etat, distinguer sans pour autant opposer, « distinguer pour unir », selon l’heureuse formule, titre d’un ouvrage de Jacques Maritain.
« Si quelqu’un me sert, mon père l’honorera », et c’est assurément cet appel qui vous a guidé, car seul le don de soi fait grandir, et seul l’espérance donne un sens à la vie, cette espérance à laquelle nous exhortait l’apôtre Paul : « ainsi nous serons toujours avec le Seigneur ».
Aujourd’hui, Amiral, nous pensons à tous ceux que vous avez connus et aimés et que vous êtes appelés à rejoindre à présent ; vos chers parents, votre épouse Henriette auprès de laquelle vous reposerez désormais dans le cimetière de Colombey-les-deux-Églises, ainsi que vos deux sœurs Elisabeth et Anne. Anne dont vous avez évoqué le souvenir lorsque pour la dernière fois je vous ai porté la communion, le dimanche qui a précédé votre retour vers le Père. Nul doute qu’elle sera là, elle aussi, pour vous tenir la main vers les rives de l’éternité bienheureuse.
Amiral vous voici à présent prêt pour la grande traversée, et puisque ici-bas vous avez toujours su tenir la barre, j’ai la secrète assurance que vous saurez garder le bon cap pour gagner le port de la dernière escale, celle de l’éternel repos.
Amiral jusqu’au dernier souffle vous avez été un veilleur en conservant une lucidité et une mémoire qui suscitaient l’étonnement. Vous avez su préserver cette vertu d’humilité car a-t-il besoin de se faire valoir celui qui ne cherche à exister qu’aux yeux de son Seigneur ?
Servir avant de se servir, ces mots me semblent bien illustrer votre personnalité. Certes vous aviez beaucoup reçu mais probablement donné davantage, avec ce souci d’excellence qui ne fût pas toujours facile à porter.
Peut-être étiez-vous animé par certains scrupules à l’automne de votre vie, privilège des grandes âmes qui n’envisagent leur existence que dans la dimension du plus grand don.
Pour qu’il y ait une vie après la mort il faudrait toujours nous configurer au Christ Serviteur comme nous le rappelait l’Evangile : « Qui aime sa vie la perd, qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle ». Seul le don de soi est semence d’éternité.
Aussi puisque j’ai débuté mon propos en faisant référence à une belle figure de notre pays, qu’il me soit permis de conclure avec ces mots d’une grande Sainte de France, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, qui au terme de son pèlerinage sur terre, avant de rendre son âme s’écria : « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ».
Chanoine Emmanuel Duché, recteur
En la cathédrale Saint-Louis des Invalides, église des soldats, le 20 mars 2024.