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C’est une belle journée d’été, au début des années 1340. Bien que le conflit opposant la France et l’Angleterre rende les campagnes peu sûres en Touraine, un garçonnet, Robert de Sillé, et une fillette, Jeanne-Marie de Maillé, âgés d’une dizaine d’années, jouent au bord de la rivière, près de chez eux. Tous deux sont issus de la noblesse locale. Soudain, c’est le drame : Robert tombe à l’eau et, ne parvenant pas à regagner la terre ferme, risque, loin de tout secours adulte, de se noyer. Jeanne-Marie est impuissante à l’aider. C’est une enfant fragile, convalescente d’une maladie qui a failli l’emporter l’hiver précédent. Comprenant l’urgence de la situation, et son incapacité à y remédier, la petite, au lieu de se mettre en quête d’une aide aléatoire, s’agenouille et implore Notre-Dame, pour laquelle elle a une dévotion précoce, de sauver son ami. Et Robert, qui semblait perdu et se débattait dans le courant, réussit à s’accrocher à une branche et regagner la rive. Il ne doutera jamais avoir dû la vie à l’ardente prière de sa compagne. Ce jour-là naît entre eux une complicité que rien n’ébranlera plus, si évidente que leurs parents, les voyant grandir, les croient amoureux fous et décident de les fiancer dès que Jeanne-Marie aura douze ans révolus.
Un mariage heureux
Pour elle, cette décision est une catastrophe. Depuis que le soir de Noël 1341, elle a vu la Sainte Vierge lui apparaître avec l’Enfant Jésus, la demoiselle de Maillé n’a qu’un désir : entrer au couvent, un choix dont sa famille ne veut pas entendre parler. Alors, c’est à Robert, son confident, que Jeanne-Marie expose son dilemme : comment l’épouser puisqu’elle a voué sa virginité à Dieu ? Il ne faut pas longtemps à l’adolescent pour trouver la solution, dont il ne mesure peut-être pas, jeunes comme ils le sont tous deux, l’héroïsme : ils se marieront pour complaire à leurs parents mais ne consommeront pas leur union. Quelques mois plus tard, Jeanne-Marie devient baronne de Sillé. Ce mariage blanc mais parfaitement heureux car, en effet, les jeunes époux s’aiment tendrement et partagent les mêmes goûts, le même souci d’autrui, la même piété, dure jusqu’en 1362, et la mort de Robert, tué en combattant l’Anglais.
Chassée de chez elle
Comme si ce malheur ne suffisait pas, la belle-famille de Jeanne-Marie déchaîne alors contre elle une haine trop longtemps dissimulée et l’accuse de tous les maux : sa stérilité, évidemment, son influence sur Robert qu’elle entraînait dans ses pratiques de dévotion maintenant jugées excessives. Autre grief : la charité trop large des deux époux, inconsidérée, et même pas réduite quand, en 1356, les Godons qui, après leur victoire à Poitiers, dévastaient la région, ont brûlé le château des Sillé, les laissant quasiment ruinés sans les inciter aux économies ni les faire renoncer à leurs aumônes et à leur habitude de recueillir toutes les détresses du pays. En fait, si la famille n’a plus un sou, ce n’est pas la faute de la guerre, de la peste ni des malheurs du temps mais uniquement celle de cette bru que, désormais, ils ne supportent plus.
Elle a des extases, des visions de Notre-Dame, mais aussi de saint François et des saints patrons de la cité tourangelle.
À peine veuve, Jeanne-Marie est chassée de chez elle, jetée à la rue, privée de tout, ce qui semble juste à ses beaux-parents puisqu’elle n’a pas donné d’héritier à leur lignée. Dans un premier temps, ses parents la recueillent mais avec l’intention affichée de la remarier au plus vite. Elle refuse, n’a d’autre choix que s’enfuir de la maison paternelle… Elle gagne Tours, trouve refuge chez les Cordeliers car elle est tertiaire franciscaine, trouve dans son destin une similitude évidente avec celui d’une des plus grandes saintes de l’Ordre, Élisabeth de Hongrie, puis passe de communauté religieuse en communauté religieuse, au gré des services qu’elle peut rendre, continuant ses activités caritatives, sa vie de prière et de contemplation, travaillant comme infirmière à l’hôpital Saint-Martin. Elle a des extases, des visions de Notre-Dame, mais aussi de saint François et des saints patrons de la cité tourangelle, Martin, bien sûr, mais aussi son prédécesseur, Gatien, premier évêque de Tours et martyr. C’est là qu’elle prie pour la fin du Grand Schisme d’Occident.
Ermite et conseillère
Certains se demandent si ses malheurs ne lui ont pas fait perdre l’esprit et si elle ne serait pas, tout simplement, dérangée… De nouveau victime des rumeurs et des incompréhensions, Jeanne-Marie quitte tout, une fois de plus, et part vivre en ermite dans la forêt de Champchevrier. Cette retraite dure deux ans environ, le temps que le bruit de sa présence et de sa sainteté se répande dans la région et fasse courir les curieux car l’on commence à lui prêter des dons de thaumaturge, qui semblent authentiques. Alors, lasse de cette curiosité, elle revient dans le monde, se réinstalle à Tours, reprend son existence de dévouement et de prière. Elle est vieille, maintenant, et respectée désormais. Bien des gens viennent la voir afin de prendre conseil auprès d’elle dans des situations délicates ; elle guide toujours avec sagesse, cœur et sûreté.
Elle s’éteint à Tours le 28 mars 1414 ; elle a 82 ou 83 ans, un bel âge pour son temps. L’Église a confirmé, à la fin du XIXe siècle, sa réputation de sainteté et l’a officialisée en l’élevant au rang de bienheureuse.