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Ce soir-là, dans la cour de l’aumônerie de Bondy (Seine-Saint-Denis), il règne une ambiance joyeuse de récréation. Il faut alors se frayer un chemin entre les groupes de copines qui bavardent avec entrain, tout en essayant de ne pas entrer en collision avec les plus jeunes, lancés dans une partie de foot ou autre jeu d’équipe. À l’entrée de la salle où doit se tenir le rassemblement, les grands surveillent les plus jeunes pendant que certains assurent les derniers préparatifs de la soirée. À les voir si enthousiastes et assurés, on peine à croire qu’ils sont à peine plus âgés que les lycéens qu’ils encadrent. La petite vingtaine, tout au plus. C’est Angela, 19 ans, qui mène les opérations. Son visage juvénile et sa silhouette fine tranchent avec une détermination et caractère que l’on devine bien trempé. “On ne va pas tarder à commencer !”, lance-t-elle.
Un essor inattendu
L’aumônerie accueille ce soir-là le père Ramzi Saadé, un prêtre libanais qui accompagne des convertis issus de l’islam. Le sujet du jour est d’apprendre à parler de la foi chrétienne avec des personnes musulmanes. Une question anecdotique dans la vie d’un catholique d’une paroisse parisienne, à seulement quelques kilomètres de là. Mais à Bondy, où une grande partie de la population est musulmane, et une autre évangélique, parler de sa foi et savoir la défendre est un défi quotidien. “On est dans un lycée catholique où il y a beaucoup plus de musulmans que de catholiques, explique quant à elle Karen, 16 ans. On est confrontés au débat tous les jours. Moi, j’ai quand même la chance d’avoir des copines compréhensives, on se respecte et on évite de trop parler de religion. “Les musulmans sont très présents, c’est important de trouver une église où l’on se sent bien, témoigne Beloh, une jeune femme de 20 ans. On a le sentiment d’appartenir à une communauté”.
Dans ces quartiers populaires où l’altérité religieuse est un défi parfois éprouvant, les aumôneries sont de véritables oasis pour ces jeunes catholiques. Celle de Bondy connaît même un essor spectaculaire depuis quelques mois. Il y a un an, elle n’accueillait pas plus de huit jeunes. Aujourd’hui, ils sont plus d’une centaine ! Et ça bouillonne de vie : après l’intervention du père Ramzi, les lycéens et les étudiants restent dans la salle pour discuter de la foi, rire et chanter ensemble. Au piano, les airs de louange alternent avec “Someone Like You” de la chanteuse Adele, ou encore la bande originale de Pirates des Caraïbes.
“Ils ont une grande soif de repères solides et de doctrine.”
“On est très heureux, c’est arrivé comme ça, témoigne le père Henry Dollié, curé des paroisses de Bondy depuis bientôt 9 ans. Le changement s’est opéré à la rentrée scolaire 2023. Au même moment, le père Henry apprend qu’il est atteint d’un cancer. “J’ai offert mes souffrances pour les jeunes, assure-t-il. Leur nombre a plus que doublé, et la paroisse est aussi plus fervente.” Angela, qui fait partie des premiers jeunes à avoir assisté à la transformation de l’aumônerie, confirme que le phénomène a quelque chose du mystère. Quand on lui demande si elle a une idée du pourquoi, la réponse fuse : “Le Christ !”, s’exclame-t-elle. “C’est une vraie grâce.” La jeune femme s’investit beaucoup dans la vie de la paroisse et encadre depuis la rentrée de septembre un groupe de lycéens. En janvier 2023, elle est partie rencontrer le Pape à Rome avec une délégation de jeunes catholiques des cités. “Ce dont on a besoin, c’est d’avoir les moyens de connaître notre foi”, confiait-elle alors à Aleteia.
Une pluie de grâces
Le père Henry s’émerveille de l’enthousiasme des jeunes de Bondy et de leur soif d’absolu. “Ils ont une grande soif de repères solides, de doctrine, assure-t-il. Dieu agit dans la pauvreté ; ces jeunes ont des situations familiales souvent compliquées, ils vivent serrés dans des appartements.” Ce grand admirateur de Don Bosco voudrait leur offrir le meilleur. “Il y a parfois de la demi-mesure dans les aumôneries, observe le prêtre. Ici, je leur demande un engagement de prière, de fréquentation des sacrements, en particulier de la confession.” Gage de confiance, les jeunes ont même les clés du lieu. “Ils sont chez eux”, sourit-il.
Dans la salle, le calme est peu à peu revenu. La table de ping-pong est même délaissée pour quelques minutes. Près de la grande croix qui trône au centre, Angela s’est lancée dans l’explication des différences entre protestants et catholiques, schéma détaillé à l’appui. Une dizaine de jeunes écoute assidûment et pose des questions, sous le regard attentif du père Henry. Autre fruit inattendu de la vitalité de l’aumônerie, certains d’entre eux seront baptisés durant la nuit de Pâques. C’est le cas de Fyona et Tania, 17 ans toutes les deux. “Mon cheminement a vraiment commencé en seconde, raconte Fyona. Je suis arrivée à l’aumônerie en avril 2023, et j’ai commencé le catéchuménat”. À la rentrée, elle invite son amie Tania à l’aumônerie, qui demandera aussi le baptême. “C’est un réconfort de se retrouver ici, parce qu’on est assez seuls sinon dans notre entourage”, explique cette dernière. Odile, elle aussi catéchumène, confirme que l’aumônerie est un soutien essentiel dans sa vie de foi. “Un chrétien seul est un chrétien en danger, assure cette jeune femme de 21 ans. On se comprend, on s’entraide, on continue à apprendre.” Au total, les paroisses de Bondy comptent 110 catéchumènes, dont une quinzaine fréquente l’aumônerie. D’autres feront aussi leur première communion à l’occasion de la Veillée pascale.
Après tant de grâces reçues, il y en a encore une que le père Henry espère profondément. “Le drame, c’est qu’il n’y a pas de vocation, regrette-t-il. Ces jeunes ont besoin de prêtres qui leur parlent, qui ont vécu les mêmes réalités.” Avant de lancer : “J’ai dit au Seigneur “Si tu me rappelles, tu m’envoies un petit successeur !”” À quelques pas de là, une petite chapelle ouverte jour et nuit offre à qui le veut le réconfort d’un coeur à coeur avec Dieu. Peut-être pour un de ces jeunes, sera-t-elle le lieu où naîtra, dans le silence, un appel à se donner tout entier.