En tant que telle, la loi Debré n’existe plus, mais a été intégrée dans le Code de l’Éducation. Cette loi de 1959 est pourtant l’objet d’un débat récurrent dans la société française à propos de l’existence d’un système scolaire à deux vitesses, entre le public et le privé. Ce dernier est en réalité plus “libre” que “privé” puisque tous y ont accès et qu’il n’a le plus souvent pas de but lucratif. La question recouvre en fait, dans le cas de l’enseignement libre catholique, trois aspects : pédagogique, financier, religieux.
La liberté de l’enseignement
Dans leur immense majorité, les écoles libres sont aujourd’hui catholiques et, dans une grande proportion, ont avec l’État un contrat d’association. La loi de 1959 met justement en place ce mode de relation qui permet à chaque partie un bénéfice certain : pour l’État, de déléguer une partie de son service public d’éducation (autour de 20% des élèves scolarisés) ; pour l’Enseignement catholique de s’assurer un équilibre financier.
Une telle liberté de l’enseignement ne s’appuie pas sur un “fondement constitutionnel explicite” comme l’explique le professeur Drago, constitutionnaliste, mais est le fruit des libertés de conscience, d’opinion et d’information elles-mêmes garanties par la Constitution de 1958. De sorte que le droit parle aujourd’hui d’un “principe fondamental reconnu par les lois de la République”.
Des obligations pédagogiques
Le contrat d’association comprend d’abord un aspect pédagogique pour les établissements : recruter des professeurs qui ont passé les concours de l’Éducation nationale et respecter les programmes scolaires. L’État se charge d’ailleurs régulièrement de contrôler ces obligations en inspectant les professeurs et en vérifiant que le contenu de leurs enseignements est conforme. Depuis 2016, tous les enseignants sont ainsi soumis à trois rendez-vous qui conditionnent en partie leur “carrière”.
Ces obligations n’empêchent cependant pas une grande liberté pédagogique, souvent peu honorée. Comme l’explique Jean-François Canteneur, directeur diocésain de l’Enseignement catholique de Paris, “Rien, juridiquement, ne fait obstacle à la créativité pédagogique voire à l’innovation radicale. Dans les faits, la charge administrative prend souvent toute l’énergie, même mentale, des directeurs et des professeurs.”
Subsides publics et contrôle de l’État
L’autre aspect important du lien entre les établissements sous contrat et l’État est financier. En moyenne, 75% de leur budget provient de fonds publics : État, régions, communes participent à travers un « forfait » qui est calculé au prorata des frais équivalents dans le public. Cet investissement, qui ne peut dépasser les 10% des dépenses annuelles de l’établissement depuis la loi Falloux de 1850, concerne à la fois une part du personnel d’encadrement et de l’entretien matériel. Restent aux familles à financer la part manquante à ces deux lignes du budget, la pastorale et la cantine.
Ces questions financières sont au cœur du rapport de la Cour des comptes de juin dernier et, d’après certains, de celui à venir de l’Assemblée nationale. Ici, le contrôle de l’État est aussi attendu que relatif : “Je rêve que les 7.500 établissements scolaires catholiques soient contrôlés budgétairement”, osait même Philippe Delorme, Secrétaire général de l’Enseignement catholique dans Le Monde en février 2024. La majeure partie des structures est en effet sous forme d’association, dont les comptes sont simples, sans bénéfice et déposés en préfecture. La Cour des comptes préconise quant à elle de “mettre en œuvre, au niveau des rectorats, une programmation des contrôles des établissements sous contrat en lien avec les directions régionales ou départementales des finances publiques.”
Le “caractère propre” préserve un espace de liberté
Un dernier aspect, essentiel mais aux contours flous est introduit par le Code de l’éducation : “Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus […], l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès. (L. 442-1). Ce fameux “caractère propre” est donc ce qui autorise l’enseignement catholique à développer ses spécificités. Cependant, comme l’explique Guillaume Drago, “ces questions donnent lieu à des appréciations divergentes, parfois entre différents rectorats, ce qui ne simplifie pas les choses.”
Pour le définir, Jean-François Canteneur parle lui de la “manière d’être particulière de l’établissement » et se réjouit que « la loi ne définisse pas ce qui est catholique”. Dans ce cadre souple, la proposition chrétienne des établissements peut se résumer dans l’équilibre entre deux textes du Concile Vatican II : l’un sur l’éducation chrétienne, l’autre sur la liberté religieuse (Gravissimum educationis et Dignitatis humanae).
Si la religion ne peut pas – ontologiquement puisque la foi est une grâce et un acte libre de chaque personne – être l’objet d’une contrainte, l’éducation des enfants demande de considérer le dessein de Dieu sur eux, elle “vise […] principalement à ce que les baptisés, introduits pas à pas dans la connaissance du mystère du salut, deviennent chaque jour plus conscients de ce don de la foi qu’ils ont reçu, apprennent à adorer Dieu le Père en esprit et en vérité” (GE, §2). Pour les non baptisés, elle a pour but d’espérer que ce don du Créateur, explicité, soit accueilli en permettant la connaissance et la réflexion sur le Mystère chrétien puisque : “La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance.” (DH, §1)
Les établissements sont libres dans ce domaine, mais utilisent-ils toute la liberté qui leur est accordée pour proclamer le Nom de Jésus ? Font-ils droit à la vérité dont parle le concile ? Ils ont à convaincre les parents que la qualité du cadre éducatif – qui est souvent le premier motif d’inscription – est aussi le fruit de la foi. Ils ont à combattre l’hostilité de certaines parts de la société qui remettent en cause la légitimité de l’anthropologie chrétienne et qui préfèrent la liberté d’ignorance à la liberté de connaissance. Pourtant, comme l’a rappelé Mgr Éric de Moulins-Beaufort dans un discours à Lourdes le 22 mars dernier : “Rencontrer Dieu qui parle et se confronter à sa Parole est le plus beau cadeau qui puisse être fait à la liberté pour qu’elle entre dans l’aventure de la vie avec exigence et confiance.”