Si le Pape ne s’est pas exprimé au sujet des prochaines élections européennes ce n’est pas par désintérêt du sujet tant la diplomatie pontificale travaille chaque jour avec les institutions de Bruxelles. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Pie XII a soutenu l’union et la coopération des États d’Europe, comme moyen de reconstruction après les ravages de la guerre et comme levier de la paix en Europe et face au communisme. Fervent partisan de la construction européenne, Pie XII voulait bâtir une union sur le modèle de la Suisse, c’est-à-dire une véritable confédération. Si le projet final est assez éloigné des pensées du pontife, Rome et les évêques d’Europe ont joué un rôle majeur durant les premières années de la construction européenne, à tel point que les historiens ont pu parler d’Europe “violette”.
Engagements européens
En 1970, deux représentants du Saint-Siège sont officiellement accrédités auprès des institutions européennes : un observateur permanent auprès du Conseil de l’Europe et un nonce apostolique auprès de la Communauté européenne. C’est le seul organisme international qui a un nonce accrédité : partout ailleurs, par exemple à l’ONU et dans ses différentes structures, ce sont des représentants ou des observateurs, mais non pas des nonces. Toutefois, Paul VI a bien insisté pour préciser que si le Saint-Siège a des représentants auprès des structures européennes ce n’est pas en tant qu’État européen, mais parce que l’Église a un message universel de paix et de charité à porter dans le monde, et qu’à ce titre elle tient à pouvoir porter sa voix dans toutes les structures internationales. Rien n’empêcherait donc, du point de vue du Saint-Siège, d’avoir un nonce ou un observateur auprès d’institutions transnationales en Asie, en Afrique ou en Amérique.
Dans cette décennie compliquée des années 1970, le Saint-Siège a toujours tenu à ne pas apparaître comme “l’aumônier de l’Occident”, mais à garder son indépendance et sa neutralité pour pouvoir parler tant avec l’Est qu’avec l’Ouest. L’enjeu est toujours le même aujourd’hui quand la diplomatie pontificale intervient sur le dossier ukrainien ou palestinien. C’est la garantie de l’indépendance de l’Église et un moyen pour elle d’assurer son influence dans le monde.
Un éloignement réciproque
En 1977 est créé le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE) et en 1980, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE). Ces organismes ne dépendent pas directement du Saint-Siège et sont indépendants de sa diplomatie, puisqu’ils sont composés des évêques des pays d’Europe. Mais ils portent une voix de l’Église et la préoccupation des papes, notamment Jean Paul II, pour une Europe unie et pacifiée. Difficile aujourd’hui de comprendre l’ambiance de ces années 1970-1980, faites de peurs légitimes quant aux tensions avec le bloc communiste, de risques de guerre nucléaire et de persécution de l’Église du silence et d’espérance dans les structures européennes, vues comme un moyen d’unifier l’Europe et de sauvegarder la paix.
La chute du monde communiste puis l’intégration à l’Union européenne des anciens pays sous contrôle soviétique ont initié un mouvement inverse : la menace et les persécutions communistes ayant disparu, les peurs avec elles, la réalité administrative et bureaucratique de l’Union européenne est de plus en plus apparue comme éloignée du projet initial. Jean Paul II, qui fut un pape ardemment européen et qui œuvra tant pour l’unité du continent, fut aussi celui qui fut déçu de Bruxelles après le refus d’intégrer les racines chrétiennes de l’Europe dans le projet de constitution (2003).
Le refus des racines chrétiennes
Depuis son élection, François a montré un intérêt certain pour les institutions européennes : discours à Strasbourg (2014), réception du prix Charlemagne (2016). Pourtant, loin de l’Europe violette des origines et de l’inspiration de la médaille miraculeuse comme choix du drapeau européen, les institutions européennes effacent de plus en plus les mentions au christianisme et à l’Église. Une sécularisation institutionnelle que la diplomatie vaticane s’efforce de limiter.