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La Nouvelle Femme, magnifique film de Léa Todorov, se concentre sur quelques années de la vie de Maria Montessori, autour de 1900, avant qu’elle ne devienne la célèbre pédagogue. Elle est déjà l’une des premières femmes diplômées de médecine, alors coresponsable de l’institut orthophrénique de Rome, où elle travaille à développer les facultés intellectuelles et le bien-être d’enfants neuro-atypiques avec troubles psychomoteurs. Maria dirige alors ce centre avec un collègue médecin, Giuseppe Montesano, avec lequel elle entretient une relation amoureuse secrète. De leur union est né un enfant, Mario, qu’ils cachent chez une nourrice à la campagne, lui rendant régulièrement visite. Les amants ont décidé de ne pas se marier, afin de ne pas être obligés de mettre un terme à la carrière de Maria. Cela paraît troublant mais replaçons ces évènements dans leur contexte historique : le mariage soumettait alors la femme à son époux, la privait de libre arbitre et la maternité était considérée incompatible avec l’exercice d’une profession. Rares étaient les femmes diplômées et elles ne travaillaient qu’exceptionnellement. Précisons que Maria, bien que médecin diplômée avec honneur, travaillait à plein temps sans pour autant être rémunérée.
La pédagogie de l’amour
La réalisatrice a souhaité démystifier Maria Montessori et la dévoiler sous un angle inédit, qui ne correspond pas à l’image d’Épinal qu’on a d’elle : âgée, austère et toujours vêtue de noir. On la voit alors à l’aube de la notoriété. Elle est encore “Maria” mais on assiste à ce qui lui donnera l’impulsion pour devenir “Montessori”. Il s’agit d’un film féministe qui pose notre attention sur le statut de deux femmes de l’époque, Maria Montessori, remarquablement interprétée par Jasmine Trinca, et Lily, personnage fictif incarnant une cocotte parisienne, jouée avec justesse par Leïla Bekhti. Ces deux femmes que tout oppose à part l’appel de la liberté, se surprennent elles-mêmes à devenir amies. De cette amitié, Lily puise la force d’aimer sa fille porteuse de handicap, telle qu’elle est, et Maria puise la force de s’affirmer sur la voie de la libération de la femme, au service de la pédagogie de l’amour.
Féministe et catholique ambivalente
Maria Montessori a vécu plusieurs vies en une et a été, à chaque étape, une femme en avance sur son temps. Elle fut assez ambivalente dans la mesure où elle fut à la fois moderne et infiniment respectueuse de l’autorité de ses parents. Féministe, représentant l’Italie au premier congrès féministe à Berlin en 1896, elle compta parmi les premières femmes inscrites sur les listes électorales de son pays. Mais ses revendications ne firent jamais d’elle une révolutionnaire ni une provocatrice car elle restait respectueuse des contraintes sociales. Elle fut à la fois catholique et ouverte aux autres religions, ainsi qu’à d’autres philosophies de pensée. C’était une femme résolument moderne, libérale mais qui resta contrainte par son milieu.
C’était aussi une femme très spirituelle, élevée dans un contexte catholique. Il semble qu’elle avait la foi. Adolescente, elle était passionnée de théâtre et envisageait de devenir actrice. Mais à la suite d’une ovation, de peur de devenir vaniteuse, elle décida subitement de ne plus monter sur scène ! Tout au long de sa vie, Maria se ressourça beaucoup auprès de diverses congrégations, notamment ignatiennes et franciscaines et elle envisagea même de devenir religieuse chez les Servantes du Sacré-Cœur en 1904, peu après les années représentées dans le film. Mais cela ne se fit pas.
L’ouverture de sa première École Montessori suivit de peu, à Rome, en 1907, à San Lorenzo, l’un des quartiers les plus insalubres de Rome. De nombreuses fois dans sa vie, elle s’appuya sur des religieuses pour mener à bien des projets d’écoles Montessori. Les Franciscaines missionnaires de Marie, au lendemain du tremblement de terre de Messine, en 1909, organisèrent avec Maria un lieu d’accueil pour les orphelins de cette catastrophe. Ils s’épanouirent étonnamment rapidement, dans un environnement extrêmement soigné, qui fut également un foyer de sa pédagogie. D’autres écoles florissaient. Le succès fut rapide et la célébrité de Maria fulgurante, donnant lieu à des tournées internationales, notamment aux États-Unis où elle fut plusieurs fois reçue comme une star. Mais avec le succès vinrent les déconvenues et Maria regretta de nombreuses alliances professionnelles, se sentant souvent trahie et incomprise.
Une approche inédite du catéchisme
Plus tard, une fois sa méthode pédagogique développée, elle conçut une approche inédite du catéchisme, appelé l’Atrium, invitant les jeunes enfants à manipuler tous les objets utilisés lors de la célébration de la messe et symbolisant les temps liturgiques. Elle trouvait en effet que la transmission traditionnelle de la religion passait trop par les mots. Entre 1922 et 1932, elle écrivit trois livres sur l’éducation religieuse des enfants.
Un temps, Maria pensa fonder un ordre religieux dont elle aurait été la mère supérieure. Elle vivait alors avec des collaboratrices qu’elle appelait “ses filles”, menant avec elles une vie sobre, alternant des temps de formation des maîtresses et des temps de prière quotidienne. Alors que la règle de vie de cette œuvre était rédigée, pour diverses raisons, ce projet ne vit pas le jour. Les religieuses franciscaines qui les avaient accompagnées ne furent sans doute pas surprises, car si elles étaient certaines de la foi et de la volonté de ce petit groupe, elles avaient toujours trouvé qu’elles avaient “une manière très moderne d’envisager la religion…” (Archives générale des FMM, Rome). Trop libres pour être strictement catholiques ?
Des relations complexes avec l’Église
Dès 1899, Maria s’était inscrite à la Société européenne de théosophie. Cette approche, qui conçoit que toutes les religions ont une part de vérité, accordait une place centrale à l’éducation et au progrès scientifique. Maria partageait ces valeurs et appréciait le caractère interreligieux et non-dogmatique de la théosophie, qui représentait probablement pour elle une synthèse spirituelle de valeurs qui lui paraissaient essentielles entre progressisme, libéralisme, positivisme, modernisme et féminisme. De nombreuses femmes théosophes assez puissantes furent d’ailleurs ses premiers soutiens, comme le montre le film de Léa Todorov. Cependant, lorsqu’on demanda en 1947 à Maria si elle était théosophe, elle répondit : “Je suis montessorienne.” C’était au lendemain de son long séjour en Inde où elle vécut de 1939 à 1946, sept années sous contrainte parce que considérée comme une ennemie en temps de guerre du fait de sa nationalité italienne. Maria s’y était rendue pour trois mois, invitée par un ancien ministre de l’Éducation qui était théosophe. Elle vivait à Adyar, dans le quartier général de la société théosophique. Elle rencontra Gandhi plusieurs fois.
Trop catholique pour les athées, trop progressiste pour la plupart des chrétiens, Maria était inclassable.
Maria fut également proche de la franc-maçonnerie du Droit humain, d’obédience mixte. Trop catholique pour les athées, trop progressiste pour la plupart des chrétiens, Maria était inclassable. Mais elle suivait avec force et conviction son propre élan intérieur. De ce fait, ses relations avec l’Église oscillaient. Martine Gilsoul écrit dans sa récente biographie : “Les jésuites réprouvaient sa conception de l’obéissance, l’absence de règles et de punitions qu’ils considéraient comme essentiels à tout système éducatif sérieux […]. La curie romaine passait alternativement du soutien élogieux aux accusations. Ainsi, Pie X finança la participation de quelques religieuses au cours de la Via Giusti, Benoît XV lui fit parvenir une bénédiction autographe, puis le climat changea avec le pape suivant. Maria se sentit clairement visée par des reproches formulés par Pie XI dans son encyclique, Divini Illius Magistris, contre les “inventeurs de nouvelles théories pédagogiques”” (Une vie au service de l’enfant, DDB, 2020).
Les droits de l’enfant
Malgré toutes ces facettes de sa personnalité riche et complexe, Maria n’hésitait pas à citer la Bible et les Pères de l’Église dans ses écrits et conférences. Spirituelle, apolitique et pacifiste, elle considérait que l’éducation à la paix était la meilleure solution pour améliorer l’humanité. Elle était convaincue que chaque enfant était une source d’espoir pour l’homme et que chacun avait une vocation à accomplir pour se mettre au service d’un tout qui le dépassait. L’éducation par et pour la paix est sans doute le grand but de toute son œuvre et son plus bel héritage. Prônant sans cesse la compassion et l’amour du prochain, en particulier des plus faibles, Maria consacra toute sa vie au service des droits de l’enfant.
Le film de Léa Todorov illustre avec finesse cet instinct de Maria pour défendre les plus vulnérables. Au service de l’épanouissement d’enfants alors considérés comme « déficients », elle luttait pour leur dignité et leur droit à l’éducation. Elle les menait vers le progrès et soulignait qu’elle n’était pas responsable de ces avancées fulgurantes : eux seuls l’étaient, grâce à leurs efforts. Elle insistait sur le fait que l’ingrédient propice à leur transformation n’était autre que l’Amour avec un grand A. Lorsqu’on cesse de ressentir peur, mépris ou pitié pour ces enfants, et quand on leur fait confiance, ils s’épanouissent. Et ce film le montre brillamment : on y voit des enfants “différents” mis en lumière. On ne les plaint plus, on les admire. Des méthodes de tournages révolutionnaires et la magnifique complicité qui s’est manifestement installée entre ces enfants et les équipes du film ont permis cela, ainsi que le jeu exceptionnel de Rafaëlle Sonneville-Caby, qui incarne Tina, la fille de la cocotte parisienne qui, après l’avoir reniée, la découvre et se met à l’accepter, puis à l’aimer, ainsi que tous les enfants du centre de l’institut psychiatrique. Ce film est très subtil et émouvant.
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