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Des années de cloître et de renoncement, de piété et de vertu ne suffisent pas souvent à réduire à rien le vieil homme. En ces années 950, Aymard, abbé émérite de Cluny, en prend douloureusement conscience. En 948, vieux, fatigué, presque aveugle, il a, dans l’intérêt de sa communauté, déposé ses fonctions abbatiales, confiées à son bras droit, Mayeul, dont chacun, des rois aux mendiants, s’entend à chanter les louanges. Mayeul, entré à l’abbaye cinq ans plus tôt afin d’échapper à l’évêché de Besançon qu’on s’apprêtait à lui donner et se consacrer en paix à la prière, a accepté l’abbatiat à regret, par obéissance. Depuis, Aymard se félicite de son choix, de l’efficacité de son successeur, de la déférence qu’il lui témoigne comme s’il était encore son supérieur. Jusqu’à ce matin…
Pas n’importe qui…
À son réveil, en guise de petit déjeuner, le vieil abbé a eu envie de fromage et prié le frère attaché à son service d’en demander au cellérier, lequel l’a envoyé promener, disant qu’il est impossible « de servir deux abbés à la fois car cela fait un maître de trop ». Offusqué, le religieux a répété ces insolents propos à Aymard, lequel est entré dans une colère rouge et s’est précipité jusqu’à la salle du chapitre où, devant toute la communauté, il a apostrophé Mayeul, lui rappelant qu’il demeure, lui, Aymard, en droit, seul abbé puis lui ordonne de lui remettre la crosse, symbole de son pouvoir et retourner à son rang de simple religieux. Impassible, Mayeul s’exécute. Pendant une heure, Aymard, toujours en colère, fait tomber une pluie de pénitences sur ceux des moines qu’il soupçonne de lui avoir manqué de respect puis, son ire retombée, rappelle Mayeul et le prie de reprendre l’abbatiat. Toujours imperturbable, Mayeul obéit, et laisse toute la communauté édifiée. L’homme n’est pourtant pas n’importe qui…
Toujours sur les routes, toujours à cheval, il en profite pour lire et étudier, ne perdant pas une occasion de s’instruire, et visiter les grands sanctuaires près desquels il passe.
Né vers 906 à Valensole en Provence, Mayeul est l’héritier d’une très puissante famille noble, qui possède d’immenses domaines dans le Midi et en Bourgogne. Orphelin adolescent, confié à l’évêque de Mâcon, il perd bientôt presque tout ce qu’il possède, les invasions hongroises et sarrasines ravageant ses domaines. Indifférent aux possessions matérielles, Mayeul, désireux d’entrer dans les ordres, n’en est guère affecté. Envoyé poursuivre ses études à Lyon, il apprend le droit civil et canonique, la philosophie, la théologie. De retour à Mâcon, ce brillant sujet devient archidiacre du diocèse, tâche qui englobe les œuvres de charité et qu’il prend très au sérieux, au désespoir de son économe qui le voit distribuer aux pauvres non seulement les sommes destinées à leur soulagement mais encore les restes de sa fortune, de sorte qu’il lui arrive régulièrement de manquer du nécessaire pour sa propre maison. Aucun reproche ne le corrige et même, un jour que tout manque à sa table, Mayeul, qui a trouvé dans la rue une bourse providentielle contenant sept pièces d’argent, refuse de la prendre pour lui par crainte de faire tort à son propriétaire. Alors qu’il l’utilise à faire l’aumône, plusieurs voitures chargées de vivres entrent dans sa cour : un débiteur oublié vient lui payer ses dettes. Désormais assuré que la Providence ne le laissera jamais manquer, Mayeul ne change rien à ses façons et, quand il est nommé professeur de philosophie et de théologie, assure gratuitement son enseignement, des plus brillants, ce qui ne s’est jamais vu. Comment s’étonner que sa réputation de sainteté se répande en même temps que celle de ses hautes compétences, et qu’on veuille le faire évêque ?
Toujours sur les routes
En se réfugiant à Cluny, abbaye que son père, jadis, a enrichie d’une vingtaine de domaines, Mayeul pense échapper à l’attention du monde. Il se trompe car sa réputation le suit. L’abbé Aymard le nomme bibliothécaire et apocrisiaire de la maison, tâche qui l’oblige à beaucoup voyager afin de s’occuper des affaires de l’abbaye. C’est au cours de ces déplacements forcés, surtout en Italie, que Mayeul attire l’attention de l’empereur germanique Othon Ier et sa pieuse épouse Adélaïde. Ils font de lui leur ami, et conseiller privilégié, le chargeant d’entreprendre la réforme, sur le modèle de Cluny, des abbayes d’Allemagne et de tout le Saint Empire. Dès lors, Mayeul est partout : en Souabe, Suisse, Lombardie, à Rome ; la France suit : on lui demande de relever la prestigieuse abbaye de Marmoutier, fondée par saint Martin, et celle d’Auxerre, bâtie par saint Germain, celles de Saint-Maur des Fossés, Dijon et Moutier-Saint-Jean. Toujours sur les routes, toujours à cheval, il en profite pour lire et étudier, ne perdant pas une occasion de s’instruire, et visiter les grands sanctuaires près desquels il passe.
Les papes le prennent à leur tour pour confident, sachant précieux son appui auprès des puissants. Benoît VI lui donne l’abbaye de Lérins, en quête d’un réformateur. Il y pourvoit, comme au reste, sans perdre de vue les intérêts de Cluny. Jamais il ne retranche rien, quoiqu’il en ait permission, étant en voyage, de l’observance de la règle bénédictine. La rumeur enfle selon laquelle le saint moine opérerait des miracles. Au Puy-en-Velay, il rend la vue à un aveugle qui s’est baigné les yeux dans l’eau avec laquelle il s’est lavé les mains ; à Coire, il ramène à la vie, après l’avoir confessé, l’évêque à l’agonie et un autre jour, ayant donné pour pénitence à un moine fautif d’embrasser un lépreux, celui-ci est guéri à l’instant où le religieux, surmontant sa répugnance, obéit. Lui en fait-on la remarque, Mayeul assure que tout cela vient de Notre-Dame, et évidemment pas de lui, nul ne le croit…
Il refuse la tiare
Son élévation à l’abbatiat de Cluny, loin de le libérer de ses obligations, les multiplie. En revenant de Rome où le pape l’a appelé, Mayeul et son escorte sont pris en otages par un parti de Sarrasins qui occupe le col du Grand-Saint-Bernard et réclame pour sa rançon la somme astronomique de mille besants d’argent, que Cluny trouve, aidé par tous ceux qui estiment infiniment plus cher la vie de l’abbé. Confiant, Mayeul a assuré à ses compagnons d’infortune qu’ils seront tous libérés avant l’Assomption, ce qui arrive. Lui tient pour rien les humiliations subies, les insultes, les coups, la blessure reçue à la main en empêchant un Arabe de tuer un otage. Plusieurs de ses gardiens abjurent l’islam pour se faire chrétiens à son exemple.
En 974, Othon II lui offre la tiare mais Mayeul veut encore moins être pape qu’évêque, il refuse, édifiant l’Europe et réclame silence à ses admirateurs. Il restera abbé de Cluny. En 991, octogénaire, il résilie sa charge entre les mains de son disciple Odilon dont il fait son successeur. Va-t-il enfin avoir le droit de se reposer ? Non… L’année suivante, le nouveau roi de France, Hugues Capet, désireux de réformer l’abbaye de Saint-Denis, implore Mayeul de rendre à l’Église ce dernier service. Bien qu’épuisé, Mayeul remonte à cheval pour répondre à l’appel du roi. Il n’atteindra pas Paris. Début mai 994, à bout de forces, il doit faire halte à l’abbaye de Souvigny où il s’éteint entre les bras de son escorte le 11. Les moines de Souvigny n’accepteront jamais de rendre son corps à Cluny. À raison, car les miracles se multiplieront sur son tombeau.