Comme il est doux de se souvenir de ces temps français où la Sainte Vierge était encore honorée durant ce mois de mai qui lui est consacré, qui a été façonné pour Elle par Dieu. C’était encore hier, et non point en une époque reculée. Des reposoirs étaient dressés au coin des rues, dans les quartiers, et tous se rassemblaient le soir devant la statue de leur Mère entourée de fleurs que chacun apportait de son jardin pour la chanter et pour égrener le rosaire.
Cette ferveur a laissé la place à l’indifférence ou à l’hostilité. Une telle ingratitude plonge dans la tristesse et il ne reste plus que les larmes pour remplacer les cantiques d’antan. Ce mois béni annonçait celui des riches moissons et la Vierge prenait la tête de cette espérance. L’homme mettait tout son cœur à l’ouvrage en se sachant bénéficiaire d’une telle compagnie. Les esprits forts, cléricaux, des années de table rase dans l’Église, mirent leur point d’honneur à éradiquer toutes ces dévotions jugées désuètes. Ils arrachèrent peu à peu toutes les fleurs du Jardin clos. Ils auraient dû relire Charles Péguy, dont le plus grand génie est marial :
Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape
Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.
Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l’océan de notre immense peine.
(La Tapisserie de Notre Dame, Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres)
Celle qui ne déçoit jamais
Alors que le pèlerinage, les pèlerinages, renaissent vers cette Étoile éternelle, entraînant dans leurs rangs toutes des générations attachées à la Tradition et soucieuses de se réfugier sous la protection de la Vierge Sainte pour mieux affronter l’adversité du monde, ressuscite ainsi le pur enthousiasme de nos pères pour Celle qui ne déçoit jamais et qui attire à Elle-même ceux qui sont éloignés de toute pratique vertueuse ou religieuse. Tous ces cœurs aspirent au repos, pour un instant, en marchant vers Celle qui, contemplation, se laisse contempler, non point pour sa gloire mais pour la gloire divine, étincelant Tabernacle. Tout autre pèlerinage à un sanctuaire marial en ce temps pascal et autour de la Pentecôte unit le pèlerin à la présence de la Très Sainte Vierge auprès des Apôtres alors que ces derniers ouvraient enfin les yeux sous l’action du Saint-Esprit.
Benoît XVI déclara à ce sujet : “Ce mois de mai […] nous est […] utile pour redécouvrir la fonction maternelle qu’Elle remplit dans notre vie, afin que nous soyons toujours des disciples dociles et des témoins courageux du Seigneur ressuscité” (Angélus, 30 avril 2006). Elle nous tire, Elle nous pousse, avec douceur certes mais sans jamais relâcher son attention et sa pression. Elle n’est pas maman juive pour rien, de la race de ces femmes fortes qui ont tenu à bout de bras l’ancienne Alliance malgré la dureté de cœur des hommes. Elle a serré les dents lors de la Passion de son Fils, et Elle a serré le Corps meurtri et sans vie, et Elle a serré contre son Cœur son Fils ressuscité. Depuis Elle n’a pas cessé de nous serrer contre Elle, à l’image de cette poule qui abrite sous ses ailes les poussins que nous sommes, selon l’image utilisée par le Maître pleurant devant l’hostile Jérusalem.
Lorsque tout vous manque
Elle a pitié de notre misère, nous qui nous réfugions dans ses jupons comme des enfants morveux et pleurnichards. Paul Claudel écrit superbement :
L’enfant chétif qui sait qu’on n’est pas fier de lui et qu’on ne l’aime pas beaucoup,
Quand d’aventure sur lui se pose un regard plus doux,
Devient tout rouge et se met bravement à sourire, afin de ne pas pleurer. […]
Ah ! lorsque tout vous manque et qu’on est tout de même trop malheureux,
Viens à l’église, tais-toi, et regarde la Mère de Dieu !
Quelle que soit l’injustice contre nous et quelle que soit la misère,
Lorsque les enfants souffrent il est encore plus malheureux d’être la Mère.
Regarde Celle qui est là, sans plainte comme sans espérance,
Comme un pauvre qui trouve un plus pauvre et tous deux se regardent en silence.
(Corona Benignitatis Anni Dei, Notre-Dame Auxiliatrice)
Oui, nous sommes tous des gringalets gonflant prétentieusement nos faibles muscles, mais toutes nos stupides défenses tombent d’un coup sous le simple regard de la Mère, et nous n’en menons pas large. Nous ravalons notre salive et nous étouffons nos sanglots lorsqu’Elle nous sourit, n’étant point dupe à notre petit jeu de caprice. Elle nous enveloppe dans son manteau où se tassent tous les pouilleux de la terre, fussent-ils couronnés de tiares ou de mitres.
Dans le silence de l’abandon
Un grand silence règne dans la pénombre apaisante de ce refuge providentiel. Personne n’ose piper mot car les anges, au dehors, proclament les louanges de Celle qui a été choisie. Et les mots du poète résonnent encore pour nous inviter à la confiance et à l’abandon :
Quand nous aurons joué nos derniers personnages,
Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
Veuillez-vous rappeler nos longs pèlerinages. […]
Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde,
Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements,
Quand nous aurons râlé nos derniers raclements,
Veuillez-vous rappeler votre miséricorde.
Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Que la dernière place en votre Purgatoire,
Pour pleurer longuement notre tragique histoire.
Et contempler de loin votre jeune splendeur.
(Charles Péguy, Tapisserie de Notre Dame, Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres)
Cette petite place vers laquelle nous nous faufilerons discrètement, à patte de velours, sans nous faire remarquer, nous étant enfin délestés de toutes nos vanités humaines et terrestres, ces vanités ridicules du temps — cette vie — où nous faisons tout pour être le centre de l’attention. La Sainte Vierge a vécu, et Elle a connu tant de tragédies, Elle a vécu le pire, et donc Elle peut comprendre les drames de l’homme qui se dresse fièrement et vainement sur ses ergots.
De fleurs et d’épine
La Vierge de mai n’est pas simplement couronnée des fleurs du printemps. Elle est ceinte aussi des épines que nous accumulons sans vergogne. Elle ne s’en soucie pas car Elle a reçu de son Fils en croix la mission de nous embrasser comme ses propres enfants, et aucune ingratitude ne pourra jamais faire fléchir son amour. Comme il est bon de nous reposer à ses pieds, de nous déposer et de déposer notre charge alors que le printemps prometteur dessine les fruits et les épis et que la lumière jaillissante abreuve notre âme. Germain Nouveau, ce poète qui voulut imiter saint Benoît Labre, s’adresse à Elle en ces termes :
Je Vous offre humblement ce bouquet que voici :
La couleur en est franche
Et le parfum sincère, et ce bouquet choisi
C’est la chasteté blanche ;
C’est l’humilité bleue et douce, et c’est encor
Fleur du cœur, non du bouge,
La pauvreté si riche et toute jaune d’or
Et la charité rouge.
Ce n’est pas que je croie habiter les sommets
De la science avare,
Et je n’ai pas le fruit de la sagesse, mais
L’amour de ce fruit rare ;
Au surplus, je n’ai pas l’améthyste à mon doigt,
Je ne suis pas du temple,
Et je sais qu’un chrétien pur et simple ne doit
À tous que Son exemple.
(Douce Vierge Marie, humble Mère de Dieu)
Que nos bouquets chatoyants en ce mois béni soient composés de tous nos efforts pour grandir dans les vertus et que leur parfum soit celui d’une charité renouvelée.