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L’iconographie imprègne tellement notre imaginaire chrétien que nous croyons spontanément que la Vierge Marie était au milieu des apôtres à la Pentecôte. Or l’Écriture n’en dit rien. Lorsqu’il introduit son récit de la Pentecôte, Luc écrit : « Le jour de la Pentecôte étant arrivés, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu » (Ac 2, 1). « Ils », ce sont les Douze après l’élection de Matthias. Alors, pourquoi représenter Marie parmi les Douze à la Pentecôte, parfois au milieu d’eux, parfois à une place éminente ? D’abord à cause d’un verset du chapitre précédent dans les Actes : « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1, 14). C’est d’ailleurs l’unique mention de Marie dans les Actes. On interpole donc ce verset à raison de l’identité de situation : les Douze en prière. Sur ce fondement scripturaire ténu, la piété chrétienne se plaît à penser que la Vierge Marie a intercédé tout particulièrement pour que l’Esprit saint descende sur les Douze à la Pentecôte. Ce n’est pas totalement gratuit.
Épouse de l’Esprit saint
C’est que la Vierge Marie était dans une familiarité unique avec l’Esprit saint depuis l’Annonciation où il l’avait recouverte de son ombre. Elle était particulièrement qualifiée pour appeler l’Esprit saint. On a même pu la qualifier d’épouse du Saint-Esprit, ce qui est tout de même moins malsonnant que ceux qui la voient épouse mystique du Christ au risque d’introduire l’inceste au beau milieu de la Sainte Famille. Surtout, la Vierge Marie se devait de réaliser la mission que lui avait confiée Jésus à la Croix. Pour être mère de l’Église, il fallait que Marie coopère réellement et selon une modalité propre à l’engendrement des Douze à la vie nouvelle d’enfants de Dieu. En intercédant efficacement pour que l’Esprit saint descende sur eux, Marie devient réellement mère de l’Église dans l’ordre de la grâce, selon la formule audacieuse de Lumen Gentium, 61.
Pour être mère de l’Église, il fallait que Marie coopère réellement et selon une modalité propre à l’engendrement des Douze à la vie nouvelle d’enfants de Dieu.
Comme souvent, la dévotion voit plus loin qu’on ne le croit. Si Marie a réellement joué un rôle décisif en appelant l’Esprit saint sur les Apôtres, elle n’a fait qu’accomplir en perfection ce qu’elle a fait déjà à Cana : voir les besoins des hommes, prévenir leurs désirs, et intercéder auprès de son Fils tout en nous avertissant : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5). C’est à Cana qu’est révélée la modalité propre de la maternité de Marie dans l’ordre de la grâce, toute subordonnée à l’action souveraine du Christ, l’unique Sauveur et médiateur. À Cana, sur la prière de sa mère, Jésus avait anticipé le début de son ministère public et l’œuvre de la Rédemption qu’il était venu accomplir. Au Cénacle, Marie provoque à nouveau une étape décisive dans l’histoire de l’Église avec l’effusion de l’Esprit saint sur les Douze pour que Jésus glorifié puisse communiquer sa grâce à tout son corps mystique. L’Esprit saint qui était venu couvrir Marie de son ombre à l’Annonciation se répand par son intercession sur toute l’Église.
L’intercession de sa tendresse maternelle
Le récit de Cana aide aussi à comprendre comment l’unique grâce qui vient du Christ est colorée d’une nuance maternelle par la médiation de Marie. Cette tendresse attentive et frémissante de la maman qui voit les moindres désirs et les besoins les plus cachés de ses enfants, Marie peut d’ailleurs l’exercer avec une efficacité d’autant plus grande depuis qu’elle est dans la vision béatifique. Depuis le Ciel où elle est entrée en son âme et en son corps, Marie voit tout ce dont ses enfants ont besoin, et elle porte nos supplications à son Fils.
Le récit de Cana aide aussi à comprendre comment l’unique grâce qui vient du Christ est colorée d’une nuance maternelle par la médiation de Marie.
Cette maternité de Marie sur l’Église, c’est-à-dire sur chacun des baptisés mais aussi sur la communauté des enfants de Dieu prise comme un tout, est-elle si différente de l’intercession commune des saints au Ciel à l’égard des chrétiens encore en chemin ? À vrai dire, son intercession est de toute façon la plus efficace dans la communion des saints à proportion de son intimité unique avec Jésus. Son association toute particulière à l’œuvre du Rédempteur aux jours de sa chair donne à son intercession une qualité unique.
La grâce du Christ passe forcément par Marie
Marie est-elle source de la grâce ? Non, cela est réservé au Christ. Le terme de « corédemptrice » est sans doute trop lourd d’ambiguïté à cet égard et le concile s’est bien gardé d’en user. Mais si toute grâce vient du Christ-Tête du corps mystique, toute grâce passe par Marie qui est selon l’image suggestive de saint Bernard comme le cou du corps mystique. De la tête au corps, du Christ à nous, il y a toujours Marie. Le Christ n’en avait pas besoin et pouvait nous atteindre tous et chacun sans cela. Mais il a voulu nous donner sa mère par pure gratuité, par un surcroît d’amour et de considération pour notre condition humaine. Dès lors, toute grâce qui vient du Christ passe forcément par Marie. Et la grâce qui est fondamentalement christique est comme modalisée par la médiation mariale. La grâce christique est colorée d’une nuance maternelle de tendresse. Notre vie d’enfants de Dieu s’en trouve mieux accordée aux requêtes de notre affectivité, « maintenant et à l’heure de notre mort », et jusqu’à la consommation de l’Église dans la gloire du Ciel.
Marie était-elle au Cénacle pour appeler l’Esprit saint sur les Douze ? L’Écriture ne le dit pas. Mais dans la foi de l’Église enrichie par la prière des saints, nous croyons que par sa proximité unique au Christ et à l’Esprit saint elle nous engendre à la vie de la grâce et nous comble de sa tendresse maternelle pour nous mener sous la protection de son manteau étoilé jusque dans la gloire du Ciel.