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Les criminels peuvent-ils trouver refuge dans les monastères ?

Abbaye de Fontgombault

© Hans Debruyne | Shutterstock

Abbaye de Fontgombault (Indre), où est accueilli Jean-Claude Romand, reconnu coupable, en 1996, du meurtre de sa famille.

Cécile Séveirac - publié le 20/05/24

L'hypothèse selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès pourrait être caché au sein d'une congrégation religieuse a la vie dure. Criminels reconnus coupables, personnes recherchées et suspectées d'avoir commis l'irréparable... L'Eglise pratique-t-elle toujours le droit d'asile ? Démêlage du vrai et du faux.

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Fin du mystère, pour un temps du moins : Xavier Dupont de Ligonnès n’était donc pas caché chez les sœurs de Béthanie. Alors qu’environ 1.700 signalements ont été effectués depuis le début l’affaire “XDDL”, trois personnes avaient affirmé début avril avoir vu un homme ressembler au père de famille nantais dans un couvent du Doubs, ressemblance à nouveau démentie par les analyses ADN. Principal suspect du meurtre de son épouse Agnès et de ses quatre enfants, en 2011, Xavier Dupont de Ligonnès demeure à ce jour introuvable, et les spéculations continuent d’aller bon train. Parmi elles, l’une revient régulièrement : et s’il se cachait dans un monastère, une abbaye, un couvent ? 

Le droit d’asile tel que pratiqué pendant des siècles dans les lieux de vie consacrés n’est aujourd’hui plus d’actualité. Ainsi, nous explique le frère Joseph-Thomas Pini, dominicain, canoniste et ancien professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille, “si l’on entend par droit d’asile le fait de pouvoir se cacher de la justice, ce droit n’existe plus. En revanche, s’il tient dans le fait d’ouvrir les portes d’un lieu consacré pour accueillir des criminels déjà jugés pour leurs méfaits, elle a le devoir de le faire, afin de les aider dans leur rédemption.” En effet, accueillir une personne mis en cause pour un crime ou un délit fait, ni plus ni moins, partie intégrante de la mission de l’Église.

Car si la loi punit légitimement pour réguler les rapports sociaux, elle ne prend nullement en compte la dimension restaurative d’une peine, là où l’Église prévoit justement d’offrir la possibilité au pécheur de se relever pour se bonifier. “N’oublions pas que le premier à qui Jésus promet le paradis est un criminel, le larron crucifié à ses côtés. Ainsi, nonobstant le crime qu’elle n’approuve pas, que l’Église accueille le criminel est toujours conforme à sa mission, et ce sera toujours son honneur. Même si cela lui vaut le rejet du monde.”

La délicate question du secret de la confession 

De nombreux monastères continuent donc de pratiquer cette forme de “droit à l’asile », quitte à s’attirer les foudres d’une opinion publique peu encline à comprendre la nature d’un tel accueil. “Pourquoi avoir accepté de nous mettre ainsi sous les feux de la presse, avec les nombreux inconvénients que cela comporte pour notre vie de prière et de silence ? Dans quel but ? La réponse à ces questions, tout à fait légitimes, est finalement très simple : l’Évangile”, écrivait ainsi en 2019 le père-abbé de l’abbaye de Fontgombault. C’est ici que Jean-Claude Romand, reconnu coupable, en 1996, du meurtre de toute sa famille, a posé bagages après avoir été mis en liberté conditionnelle sous surveillance électronique. À l’abbaye sainte Anne de Kergonan, le père Guy Desnoyers, tristement célèbre pour avoir assassiné l’une de ses nombreuses maîtresses et son enfant à naître dans des circonstances atroces que l’on épargnera au lecteur, a trouvé asile jusqu’à sa mort en 2010. Michelle Martin, ex-femme et complice du pédophile Marc Dutroux, a quant à elle trouvé refuge après sa libération anticipée chez les sœurs clarisses de Malonne, en Belgique.

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L’abbaye Sainte-Anne de Kergonan.

Toutes ces personnes ont cependant en commun d’avoir déjà été jugées par la justice des hommes. Leur accueil dans un lieu de prières n’est donc un secret pour personne. Il en va différemment lorsque la personne susceptible d’être hébergée dans un monastère n’a pas encore été jugée, alors même qu’elle est soupçonnée d’être l’auteur d’un crime. C’est le cas, en l’espèce, de Xavier Dupont de Ligonnès, toujours présumé innocent selon le droit français et activement recherché. Le souvenir du scandale de l’affaire Paul Touvier essuyé par l’Église demeure l’un des précédents les plus marquants à ce sujet. La cavale de ce fonctionnaire du régime de Vichy recherché pour crimes contre l’humanité dura une dizaine d’années, pendant lesquelles il se cacha au milieu de plusieurs congrégations de toutes sensibilités.

L’objectif de l’Église est le salut éternel des pécheurs.

Si Xavier Dupont de Ligonnès est en vie, qu’il a demandé refuge dans un monastère, et que son identité est connue au moins d’un moine, la difficulté réside dans le secret de la confession. Ainsi, si le meurtre a été avoué en dehors du sacrement de la réconciliation, “il y a lieu de faire savoir l’endroit où il se trouve”, précise le frère Joseph-Thomas Pini. Abriter un criminel en connaissant parfaitement son identité rend en effet coupable l’hôte de recel d’infraction : “Un moine est un citoyen français comme un autre. Selon l’article 40 du code de procédure pénale, il doit dénoncer tout crime ou délit porté à sa connaissance.” Mais si le crime a été avoué dans le cadre de la confession, le secret de cette dernière est inviolable.

Dans tous les cas, lorsqu’un ministre du culte reçoit l’aveu d’un crime, il doit exhorter la personne à se dénoncer aux autorités, car “l’objectif de l’Église est le salut éternel des pécheurs”, rappelle le frère Joseph-Thomas. “En se remettant lui-même aux autorités, le criminel entame déjà sa repentance qui conduit à sa conversion.” De la même manière, si la personne soupçonnée est innocente, et en mesure de le prouver, “elle n’aura aucune raison de se cacher des autorités compétentes”, poursuit le frère Joseph-Thomas. “La prudence veut que le supérieur l’incite aussi à clamer son innocence”.

Prononcer des vœux après un crime

Dernière hypothèse avancée : Xavier Dupont de Ligonnès se cacherait dans une communauté… En tant que moine. Une idée pas si folle, en réalité, puisque le fait d’avoir commis un crime ou un délit n’est pas un empêchement pour entrer au noviciat. Si le malfaiteur a été jugé pour son crime et qu’il souhaite prononcer ses vœux, rien n’y donc fait obstacle, tant qu’il a manifesté son plein repentir. “En revanche, dans le cas où celui qui serait recherché pour un crime l’aurait dissimulé au père maître des novices, on pourrait considérer que sa profession est invalide”, estime le frère Joseph-Thomas, ajoutant qu’il y a par ailleurs des documents à produire pour établir par exemple la preuve de son veuvage ou l’absence d’acte de mariage encore valide. “Cela semble à peu près inenvisageable aujourd’hui.”

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