“Le développement de l’Église en Chine doit être en phase avec la Chine d’aujourd’hui” : c’est le message qu’était venu faire passer Mgr Shen Bin aux participants du sommet sur le centenaire du concile de Shanghai (1924), un événement qui avait marqué un tournant en faveur des indigènes dans l’Église catholique en Chine, alors dirigée par les missions étrangères. L’évêque a critiqué sans ambiguïté l’intention de “colonisation culturelle” de ces dernières dans son discours, et y a opposé la ligne officielle de “sinisation” du catholicisme – telle que défendue par le président Xi Jinping.
La parole du zélé pasteur de Shanghai est significative en ce qu’elle représente un concentré de la position défendue par l’Église “officielle”, dont il est devenue une figure incontournable. Né dans une famille catholique en 1970, six ans avant la mort de Mao Zedong, puis passé par les séminaires de Shanghai puis de Pékin, Joseph Shen Bin a été ordonné prêtre en 1996. Incardiné dans son diocèse d’origine de Haimen, il en a été nommé évêque en 2010, à l’âge de 40 ans, une nomination confirmée par Benoît XVI et par le gouvernement, un fait exceptionnel pour l’époque.
Une double légitimité
Fort de cette double légitimité, le jeune évêque a gravi les échelons à la fois au sein de l’Association patriotique, l’entité catholique contrôlée par le Parti communiste chinois, et du Conseil des évêques chinois, sorte de conférence épiscopale non reconnue par le Saint-Siège. “C’est l’homme de Pékin”, assure un missionnaire étranger en Chine contacté par I.Media, qui explique que même au sein de la conférence épiscopale chinoise, certains le trouvent “trop proche du gouvernement”. “À côté de cela, c’est un évêque aimable, très pieux dans ses homélies, et il est probable qu’il soit sincère dans ses déclarations”, a-t-il confié.
Dans les années 2010, la notoriété de Mgr Shen Bin hors de la Chine a augmenté grâce à la communauté de Sant’Egidio. L’association catholique investie dans la diplomatie internationale et le dialogue interreligieux l’a invité à intervenir lors de plusieurs sommets, auxquels il a été autorisé à se rendre par le gouvernement à participer, fait particulièrement exceptionnel.
Lors d’une de ces rencontres qui s’est tenue en Autriche en 2017, Mgr Shen Bin a pu ainsi défendre sa vision d’un catholicisme chinois officiel, patriote, qui intégrerait la frange “souterraine” de l’Église en Chine (soit les catholiques ne reconnaissant pas l’Association patriotique) et qui serait fidèle au Pape. “Ce positionnement n’est pas contradictoire de son point de vue”, assure le missionnaire qui préfère rester anonyme par sécurité, expliquant que la supériorité du politique sur le religieux entre dans la logique du confucianisme, philosophie que s’est appropriée le gouvernement de Xi Jinping pour gouverner. Dans le même discours, Mgr Shen Bin a aussi appelé de ses vœux l’ouverture d’un dialogue sur de nouvelles bases entre le Saint-Siège et Pékin, son souhait étant entendu : en 2018, Rome et Pékin ont signé un accord historique sur la nomination des évêques, premier échange officiel depuis la prise du pouvoir par Mao Zedong en 1954.
Installé en 2023 évêque de Shanghai
En 2022, Mgr Shen Bin a été réélu vice-président de l’Association patriotique pour un troisième mandat consécutif et a pris la tête du Conseil des évêques chinois dont il était jusqu’alors vice-président. En avril 2023, fort de ce nouveau statut, il a quitté son petit diocèse d’origine pour être installé à l’improviste dans celui beaucoup plus prestigieux de Shanghai. Cette nomination avait été unilatéralement décidée par Pékin, en violation de l’accord pastoral de 2018. Le Saint-Siège a protesté par la voix du cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, mais a finalement décidé de confirmer sa nomination quelques mois plus tard, dans un esprit d’apaisement.
Lors de la conférence de mardi, le secrétaire d’État et l’évêque de Shanghai se sont retrouvés pendant plus d’une heure assis à la même table, chacun applaudissant respectueusement le discours prononcé par l’autre. À l’issue de la séance, les deux hommes se sont chaleureusement salués, puis ont pu échanger brièvement avec l’aide d’une interprète. Malheureusement, la discussion entre ces deux acteurs essentiels du rapprochement entre Rome et Pékin a échappé à l’oreille attentive des journalistes présents dans la salle.