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Nous allons commémorer le 80e anniversaire du Débarquement en Normandie. 80 ans, c’était hier. Une poignée de décennies en regard des siècles déjà écoulés. Nous avons certes un rapport de plus en plus fugitif avec l’histoire. Nous vivons à un rythme accéléré et saccadé par la technologie numérique où une information en éclipse rapidement une autre. Elle nous fait subir en plus le joug de deux tyrans permanents : l’immédiateté et l’émotion. Piégés par nos impressions toujours passagères, sommes-nous encore capables de tirer pour nous-mêmes des leçons de l’histoire ? Sommes-nous encore perméables aux témoignages de ceux qui nous ont précédés ? Durant les prochains jours, nous serons destinataires d’une cascade d’images, de cérémonies et de commentaires se rapportant aux événements militaires qui se passèrent le 6 juin 1944 sur les plages de Normandie. Leur objectif sera d’essayer de nous faire prendre conscience du prix du sang qu’il fallut verser pour libérer le sol de notre pays, après quatre années d’invasion, de privations et de malheur.
Seul, sous une mitraille infernale
Dans ma vie de journaliste j’ai eu le privilège de rencontrer un de ces héros qui débarquèrent sur nos côtes en cette aube historique. Ce vaillant marin fusilier appartenait aux Forces Françaises Libres. Il faisait partie du commando Kieffer, le seul bataillon français à avoir été autorisé par le commandement allié à participer à ce combat crucial pour la libération de la France. Il s’appelait René de Naurois et il était l’aumônier de ces 177 valeureux soldats français. Le jeune prêtre avait rejoint Londres en 1942, pour fuir la gestapo de Toulouse. Elle le traquait à cause de ses actes de résistance pour sauver des juifs de la déportation. Son évêque, le cardinal Saliège, rare figure de résistance de l’épiscopat d’alors, lui avait conseillé de “filer” en Angleterre.
Je l’entends encore me raconter dans sa maison de Brunoy, en région parisienne, comment il avait débarqué sur le sable de Ouistreham : “On a sauté à la mer avec de l’eau jusque sous les bras. Je m’apprêtais à affronter l’une des plus puissantes armées du monde, fort d’un seul couteau en poche — et à bout arrondi encore (précisa-t-il avec humour) ! Et tout de suite la casse, des blessés, des morts. Je n’avais pas le droit de m’arrêter sur la plage car nous présumions que les aumôniers et les brancardiers du génie soigneraient leurs soldats…”
Sous son uniforme en loques et recouvert de sang, le “padre” s’empresse d’assister les derniers instants de tout le monde, de toutes les religions, de toutes les nationalités.
Mais ses autres collègues ont été rapidement mis hors de combat. Naurois se retrouve alors seul, sous une mitraille infernale, à donner des absolutions et les sacrements, sans quitter du regard ses camarades qui s’enfonçaient dans les rues de Ouistreham pour libérer le casino… Sous son uniforme en loques et recouvert de sang, le “padre” s’empresse d’assister les derniers instants de tout le monde, de toutes les religions, de toutes les nationalités. Même l’agonie de soldats allemands gisant sur le champ de bataille. L’un d’eux, très jeune, entendant le prêtre le bénir en allemand, lui caresse le visage avant de fermer les yeux.
La seule option raisonnable
René de Naurois s’était engagé dans la résistance armée parce qu’il était convaincu de “l’essence maléfique du nazisme”. Grand amateur de culture allemande, il avait eu l’occasion de séjourner à Berlin avant la guerre. C’est en découvrant l’existence de l’univers concentrationnaire qu’il comprit à quel niveau de dangerosité le nazisme exposait non seulement l’Allemagne, mais l’Europe et le monde entier. Comprendre ce qui se passait fut la première étape de son entrée en résistance. La seconde fut de refuser à la fois l’armistice conclu avec Hitler par le gouvernement de Vichy et la politique de collaboration de ce dernier avec l’occupant. “Toutes les plus hautes figures spirituelles de l’Humanité ont dit NON !”, écrivait Malraux en pensant à Antigone et Jeanne d’Arc. C’est ce même NON à l’asservissement qui résonna le 18 juin 1940 au micro de la BBC. Enfin, résister apparut à René de Naurois comme la seule option raisonnable et efficace pour réduire le nazisme et libérer l’Europe. Résister militairement était pour ce prêtre, passionné de botanique et d’ornithologie, l’arme absolue qui permettait de survivre et de rétablir la Justice au sens biblique.
Comprendre, refuser, résister : cette règle de vie permit à René de Naurois d’être un admirable combattant de la liberté. Il fut admis dans l’Ordre des Compagnons de la Libération, avec 14 autres prêtres et religieux, surnommés depuis “les moines-soldats” du général de Gaulle. Le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem lui a aussi décerné le titre de “Juste des nations” pour son action en faveur des juifs persécutés en France occupée. Décédé dans sa centième année en 2006, l’aumônier du commando Kieffer repose en Normandie, dans le cimetière de Ranville, l’une des premières villes libérées après le Débarquement.
Refuser l’inacceptable
L’abbé de Naurois aimait citer Charles Péguy : “Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend.” Il consacra plusieurs de ses travaux scientifiques à la question de la guerre juste et à la critique du pacifisme dans lequel beaucoup de chrétiens, penseurs et hiérarques ecclésiastiques sont tentés de verser. “Qu’adviendrait-il sur cette terre de traditions, de fidélités, d’honneur et de sacrifice s’il ne se trouvait plus d’hommes ou de nations capables de soutenir des luttes désespérées ?” interrogeait l’aumônier de la France libre. Alors qu’une atmosphère d’avant-guerre semble imprégner notre époque et se rapprocher de nous, il n’est peut-être pas vain, à l’occasion de ces journées commémoratives du Débarquement, d’approfondir le sens donné à leur vie par ces chrétiens qui ont résisté militairement à l’oppression. Il n’est peut-être pas non plus inutile de nous exercer nous-mêmes à mieux comprendre ce qui se passe dans le monde et autour de nous. Et à nous préparer aussi à refuser l’inacceptable et, le cas échéant, à lui résister.