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En Terre sainte, la désertion des pèlerins fragilise les chrétiens

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ISRAEL - PALESTINIAN - CONFLICT - JERUSALEM

AHMAD GHARABLI / AFP

Un homme entre au Saint-Sépulcre le 11 octobre 2023, à Jérusalem.

Anne-Sophie Retailleau - publié le 05/06/24

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, les pèlerins ont déserté la Terre sainte, laissant sans revenus de nombreux chrétiens qui vivent du pèlerinage. À tel point que l’avenir des familles et des communautés religieuses dans ce berceau de la chrétienté est désormais compromis.

Voilà huit mois que les rues de Jérusalem sont désertes. Autrefois bondés, les lieux saints ne sont plus fréquentés que par quelques pèlerins solitaires. Les groupes, eux, ont presque entièrement déserté la Terre sainte depuis le retour de la guerre, laissant le secteur du tourisme local exsangue. En moyenne, près de 2 millions de pèlerins se rendent en Israël chaque année. Mais depuis le 7 octobre 2023, la fréquentation des lieux saints est en chute libre : on compte 70 à 90% de visiteurs en moins. “Il fallait deux heures d’attente avant d’accéder au Saint-Sépulcre, maintenant deux minutes suffisent”, remarque auprès d’Aleteia Mgr William Shomali, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem. Pour les communautés chrétiennes, qui vivent pour la plupart du pèlerinage, les conséquences de cette désertion sont dramatiques. Le manque à gagner est colossal, alors qu’un pèlerin dépense au minimum 200 dollars par jour sur place. “Un tiers des chrétiens de Bethléem et de Jérusalem vivent directement du tourisme, et un autre tiers en vit indirectement”, précise encore Mgr Shomali. Sans les visiteurs étrangers, c’est tout un écosystème qui s’effondre : les milliers de guides, restaurateurs, commerçants, chauffeurs de bus et hôteliers se retrouvent au chômage.

“L’activité est à l’arrêt total”

À Bethléem, Nazareth, Haïfa ou Jérusalem, des milliers de familles chrétiennes sont donc sans revenus depuis le 7 octobre, faute de travail. Issa-Lionel Tams, catholique palestinien de nationalité française, n’a plus exercé son travail de guide professionnel depuis le tragique événement. “Je bénéficie des aides du gouvernement, mais c’est vraiment le minimum”, raconte-t-il. “Je vis seul, mais pour les familles c’est bien plus compliqué”. Fabien Safar, directeur d’une agence de pèlerinage à Jérusalem, vit lui aussi dans l’angoisse de devoir fermer son entreprise. Sur la quinzaine de salariés de son agence, seuls trois sont restés et travaillent à mi-temps. “Depuis le 11 octobre, l’activité est à l’arrêt total et l’on ne sait pas quand les pèlerins reviendront”, raconte ce père de six enfants. “Nous n’avons aucune aide du gouvernement pour les entreprises, contrairement à ce qui était à la période du Covid”, poursuit-il. “Pour le moment on vit sur la trésorerie mais il y aura bien un moment où elle va finir par s’épuiser, ça ne tient pas à long terme.” Si les familles souffrent de l’absence de pèlerins, les communautés religieuses ne sont pas non plus épargnées. Beaucoup d’entre elles vivent de l’hébergement de visiteurs et de la vente d’objets artisanaux. Les bénédictines du Mont des Oliviers, qui proposent dix chambres, ont connu une baisse importante de leurs revenus. “Nous faisons moins de dépenses et continuons à vivre, plus pauvrement”, témoigne sœur Laurencia. “Nous nous posons beaucoup de questions sur l’avenir de notre communauté.”

Face à cette situation dramatique, plusieurs organismes et institutions ont rassemblé des dons depuis le début de la guerre pour pouvoir subvenir aux besoins des plus fragiles. À commencer par le Patriarcat latin de Jérusalem qui, depuis un appel aux dons en novembre 2023, est parvenu à réunir entre 4 et 5 millions d’euros. L’argent récolté provient principalement des diocèses européens et américains, selon Mgr William Shomali. “Le Patriarcat a fait un programme d’aides multiples”, détaille-t-il. “Il donne surtout à destination des hôpitaux, par exemple pour prendre en charge des opérations chirurgicales, il y a aussi des aides pour payer le loyer, ou pour financer les bourses d’études pour les enfants.” Sur cette somme, le Patriarcat a déjà dépensé un million d’euros, dont une partie a été utilisée pour soutenir les chrétiens de Gaza, mais pas seulement. “Pour le moment, il y a autant de besoins à Gaza qu’en Cisjordanie et dans les territoires palestiniens.” D’autres associations caritatives, comme l’Œuvre d’Orient ou SOS Chrétiens d’Orient envoient des dons pour soutenir les chrétiens sur place, à Gaza comme en Israël. “Nous avons alloué une enveloppe budgétaire de 1 million d’euros depuis le dernier trimestre 2023″, rapporte l’Œuvre d’Orient. Cette enveloppe inclut de nombreuses aides d’urgence pour des établissements touchés par les bombardements – tels que l’école des Sœurs du Rosaire – et à des centres hébergeant des pèlerins.” Pour les communautés religieuses, le Patriarcat peut aussi offrir son aide, à condition d’en faire la demande. “Je sais que Mgr Pizzaballa ne refuse jamais”, assure Mgr Shomali.

“Revenez en Terre sainte !”

Pour les chrétiens de Terre sainte, le retour des pèlerins est vital. Les quelques groupent qui visitent encore Jérusalem sont majoritairement africains, sud-américains ou asiatiques. Les Européens restent quant à eux très frileux. “Il n’y a plus de pèlerins français, on ne peut pas emmener de groupes”, affirme Sylvie Chaigneau, membre du comité pour la Terre sainte de l’Association nationale des directeurs diocésains de pèlerinage (ANDDP). C’est une catastrophe pour les chrétiens sur place, car la venue des pèlerins, ce n’est pas seulement un soutien économique, c’est aussi un soutien moral et spirituel.” Le père Jacky Marie Lhermitte, président de l’ANDDP, confirme. “Les chrétiens sont un pont entre les différentes communautés et l’absence de pèlerins accentue les tensions”, explique-t-il. “Quand ils sont là, ils se rendent dans des commerces tenus par des communautés différentes. C’est un facteur de dialogue.” Devant l’interminable absence de visiteurs, le patriarche latin de Jérusalem, Mgr Pizzaballa, a supplié les croyants de revenir en Terre sainte. “Nous vous attendons, a-t-il lancé lors de la messe des Rameaux le 24 mars. N’ayez pas peur, revenez à Jérusalem et en Terre sainte ! Votre présence est toujours une présence de paix et aujourd’hui nous avons tellement besoin de paix”.

Partagé par tous les acteurs du tourisme, l’appel du cardinal Pizzaballa reste pour l’instant sans réponse. “Nous nous sentons un peu abandonnés par les Européens qui ne viennent plus en pèlerinage”, souffle Fabien Safar. “Mais hormis le nord du pays et la région de Gaza, la situation est calme.” Le retour des pèlerins reste improbable, alors que le quai d’Orsay déconseille toujours les Français de se rendre en Israël. Pourtant, les pèlerinages sont toujours possibles en pratique et certaines assurances acceptent de prendre en charge les voyages en Israël. Mais aujourd’hui, personne ne peut dire à quel moment les pèlerinages reprendront. “Le moral est très bas, on ne voit pas du tout d’issue, c’est de pire en pire”, se désole Issa-Lionel. “Même quand la guerre se terminera, il faudra au moins six mois pour voir à nouveau les pèlerins”, ajoute Mgr Shomali.

Croire en la paix

Tenir face à tant de difficultés et d’incertitude est un véritable défi pour les communautés chrétiennes, tentées de partir. La guerre fragilise donc encore un peu plus la présence des chrétiens, ultra-minoritaires en Terre sainte et dans tout le Moyen-Orient. “35 familles à Bethléem sont parties ou se préparent à le faire”, rapporte Mgr Shomali. Même si la majorité des chrétiens, viscéralement attachée à leurs racines, s’accroche et n’envisage pas de partir, l’accumulation des difficultés rend l’avenir incertain. “Les gens qui sont là sont résilients”, assure Issa-Lionel. “On essaie de survivre, on se dit qu’on n’a pas le choix. On est une communauté, on fait attention les uns aux autres.” Fabien Safar n’envisage pas non plus de partir. “C’est ma terre, je suis né à Jérusalem. Nous avons une responsabilité, notre présence est très importante.” Malgré la fatigue et l’angoisse, aucun ne veut perdre espoir. “Nous ne souhaitons qu’une chose, c’est la paix”, insiste le père de famille. “Croire en cette paix, c’est déjà lui donner une grande chance.”

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