Arromanches, 7h30 du matin. La lumière du soleil caresse la mer qui monte doucement. Silencieuse et grave, une petite foule déambule et attend. Soudain un air de cornemuse s’élève. C’est l’heure. L’heure à laquelle, le 6 juin 1944, des soldats de la 50e division d’infanterie britannique débarquent sur la plage voisine d’Asnelles. La musique vrille les entrailles. Comment ne pas penser au sacrifice de ces milliers de jeunes gens venus libérer la France et l’Europe du joug nazi ? “Qui oublie son passé est condamné à le revivre”, remarquent deux élèves de l’École navale.
C’est pour honorer la mémoire de ces soldats et “rendre grâce pour leur courage et leur héroïsme” que le père Emmanuel Péteul, curé de la paroisse Notre-Dame en Bessin, célèbre la messe au petit jour. L’évêque de Bayeux-Lisieux a en effet demandé qu’une messe soit dite sur chacune des plages du Débarquement le 6 juin. Celle d’Arromanches a lieu face à la mer, en présence du maire de la petite ville normande. En guise d’autel : le capot d’une jeep, comme il y a 80 ans, où les aumôniers militaires célébraient la messe où ils pouvaient, avec les moyens du bord. Une foule nombreuse y participe.
Mon grand-père Franck a fait le Débarquement avec un bataillon de 80 hommes. Le soir, il en restait onze.
Membre de la chorale paroissiale qui a soigneusement préparé la célébration, Bernadette sourit : “Je suis contente que parmi toutes les commémorations, il y ait un lieu où l’on puisse porter dans la prière ceux qui ont donné leur vie.” À côté de son vélo, Blanche, 22 ans, se recueille. Levée tôt pour assister au lever des couleurs, elle est venue avec sa grand-mère : “Ne pas aller à la messe aujourd’hui serait dommage car Dieu était là avec ceux qui ont débarqué et ceux qui sont morts.”
Tandis que l’on rajoute des chaises, Thomas regarde, avec Manon sa compagne. Il est anglais. Pourquoi est-il venu ? “Je me dis que c’est bien que les gens se rappellent qu’ils ne sont pas morts pour rien.” Puis il confie : “Mon grand-père Franck a fait le Débarquement avec un bataillon de 80 hommes. Le soir, il en restait onze. Mon grand-père a très peu raconté ce qui lui était arrivé. Mais à son fils qui lui demanda un jour pourquoi il ne le punissait jamais, il répondit : “J’ai dû tuer des enfants comme toi, des jeunes Allemands fanatisés qui cachaient des grenades dans leurs poches, prêts à se faire exploser avec.””
Construire la paix avec l’Évangile
La messe commence et les mots de l’apôtre saint Jacques, lus en français et en anglais, claquent comme les drapeaux des nations alliées qui flottent au vent : “Car la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes… C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix” (Jc 3, 13). Alors que quatre Dakotas volent en rase-mottes au-dessus des têtes dans un vrombissement assourdissant, le père Emmanuel prêche : “Notre génération a eu la chance de ne pas connaître la guerre. Mais elle est aujourd’hui à nos portes en Ukraine, mais aussi en Afrique, au Moyen-Orient et chez nous avec le terrorisme. Cela nous interpelle et nous provoque car la paix passe par chacun d’entre nous. Elle est à construire tous les jours dans nos familles, nos maisons, notre voisinage. Et l’évangile peut nous aider à la construire, si nous appliquons ce que le Seigneur nous demande.”