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Dans l’avion qui vole vers les côtes françaises, il célèbre la messe avec ses hommes de la 82nd Airborne Division. Le hurlement des moteurs scande les oraisons, alourdissant les promesses d’Éternité par celles, plus proches, du fracas des armes et de la mort qui rôde. Il a 32 ans, il est franciscain et s’est porté volontaire pour servir dans les paras-commandos de l’armée états-unienne. Nous sommes le 6 juin 1944, la terre normande est en vue. Ils sautent, tous ces hommes, avec le courage de leur jeunes années et l’enthousiasme d’un monde à libérer. Ils savent qu’ils atterriront dans les lignes allemandes. Ils s’y retrouvent, en plein, dans le hameau de Guetteville, sur la commune de Picauville (Manche).
Une rencontre
Regroupés, ils se portent aussitôt au secours de leurs frères d’armes, prisonniers des débris d’un planeur qui vient de s’écraser. Ils en retirent les blessés, les regroupent dans l’épicerie du village. Là, le père Ignatus Maternowski organise un poste de secours. Mais les combats font rage, la mitraille, la fumée, le sang, les cris, la peur. La position semble intenable et les blessés, bien trop près de la ligne de front. Le franciscain, protégé par son brassard de la Croix Rouge et son insigne d’aumônier, se dirige, seul, vers les positions ennemies. Il demande à y rencontrer le médecin-chef allemand. Ils se parlent. Celui-ci accepte de venir jusqu’à l’épicerie avec le religieux pour y constater la gravité de l’état de certains blessés et convenir de la suite.
Certains verront en lui un utopiste courageux. Il n’est pas interdit aussi de se réjouir de cette foi qui donne à l’homme la capacité d’espérer au-delà de la mort et de la souffrance.
De l’avis des témoins, la visite se passe dans une atmosphère de bonne humanité. Les deux hommes évoquent la possibilité d’un poste de secours commun où les blessés des deux camps seraient mis ensemble à l’abri et soignés. Et puis, tout va très vite, Maternowski raccompagne le médecin jusque dans ses positions, comme pour le protéger de tout tir américain. Et puis il revient vers les siens, avant de s’écrouler en pleine rue, tué par une balle allemande, tirée dans le dos. Son corps restera trois jours, couché là, avant d’être enfin honoré. Quant aux malheureux réfugiés dans l’épicerie, les chars allemands les canonnèrent à partir de 15h le jour-même. Les villageois purent après bien des pourparlers en extraire les survivants et les mettre à l’abri. La chapelle de Cauquigny, à quelques centaines de mètres de ces combats, est aujourd’hui consacrée au souvenir du capitaine prêtre religieux. Depuis 2021, un vitrail accueille les visiteurs, représentant ce fils de François d’Assise, revêtu de sa bure.
Quelque chose d’infiniment plus grave
Les commémorations officielles du Débarquement en Normandie nous permettent à intervalles réguliers, de méditer sur la somme de tous ces courages et le fruit de l’héroïque combat contre le mal. Car il ne s’agit pas que de guerres, de soufre et de feu : l’histoire en est emplie et les dates de batailles fameuses résonnent dans les mémoires des générations qui ont eu la chance de les apprendre. Mais il y avait dans ce combat quelque chose d’infiniment plus grave encore. Ces jeunes hommes du Texas, des plaines canadiennes ou du bush australien découvraient par les armes un continent dont ils ignoraient tout. Pour le libérer. Le libérer non pas simplement d’une occupation, mais de la diffusion de l’esprit du mal. Du mal suprême qui consiste non pas juste à conquérir et dominer, mais à éradiquer, faire disparaître, supprimer, des peuples entiers, au premier rang desquels celui de l’Alliance, selon le principe de la suprématie raciale et des délires qui s’ensuivent.
Bien sûr, cela échappait à la conscience des individus, et même de la plupart de leurs chefs. Bien sûr, les responsables politiques et militaires des puissances alliées ne sont exempts ni d’arrière-pensées ni d’intérêts particuliers plus prosaïques. Mais ils furent entraînés à entrer dans ce combat vital sans doute aussi par cette révolte, déposée dans nos cœurs, et qui nous fait dire un jour “non, ce n’est pas possible”.
Un précurseur
Il est notable que la réponse à l’effroi ressenti par le monde devant le nazisme hideux, se traduisit par cette double et impensable bonne nouvelle : celle de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne. Un surcroît de Bien en réponse au déchaînement du mal.
Ignatus Maternowski en fut à sa manière un précurseur en rêvant quelques instants, et en entraînant dans son rêve un médecin de l’autre camp, à la possibilité de rassembler des soldats blessés par les balles qu’ils avaient tirés les uns sur les autres, afin de les soigner. Certains verront en lui un utopiste courageux. Il n’est pas interdit aussi de se réjouir de cette foi qui donne à l’homme la capacité d’espérer au-delà de la mort et de la souffrance, qu’une réponse se trouve quelque part entre la fraternité et le pardon.