Les rencontres avec la classe dirigeante du pays figurent presque toujours à l’agenda des voyages pontificaux à l’étranger. Et c’est en espagnol, sa langue maternelle, que le pape François s’est adressé samedi matin à « la représentation si qualifiée de responsables politiques et diplomatiques, culturels et religieux, académiques et d’entrepreneurs, de cet immense Brésil », dans un long discours prononcé au Théâtre municipal de Rio, un joyau de l’architecture brésilienne du XIXème siècle.
A ces politiques, diplomates, chefs d’entreprise, universitaires, représentants de la société civile, du monde de la culture et des principales communautés religieuses du Brésil, le Pape François a rappelé l’importance du dialogue, « l’unique façon de grandir pour une personne, une famille, une société », un «dialogue constructif» entre les générations et avec les peuples, en partant de sa propre responsabilité sociale et de l’intérêt pour le bien commun.
« Entre l'indifférence égoïste et la protestation violente, l'option toujours possible est le dialogue», a plaidé le pape en plein climat de tension sociale au Brésil où, depuis début juin des jeunes manifestent massivement pour réclamer de meilleurs services publics et dénoncer la corruption et l'inefficacité de la classe politique.
« Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je rends grâce à Dieu pour l’opportunité qui m’est donnée de rencontrer une représentation si qualifiée de responsables politiques et diplomatiques, culturels et religieux, académiques et d’entrepreneurs, de cet immense Brésil. Je voudrais vous parler dans votre belle langue portugaise, mais pour pouvoir mieux exprimer ce que je porte dans mon cœur, je préfère parler en espagnol. Je vous prie de m’en excuser !
Je vous salue tous cordialement et je vous exprime ma gratitude. Je remercie Monseigneur
Orani et Monsieur Walmyr Júnior pour leurs aimables paroles de bienvenue et de présentation. Je vois en vous la mémoire et l’espérance : la mémoire du chemin et de la conscience de votre Patrie et l’espérance que, toujours ouverte à la lumière qui émane de l’Évangile de Jésus Christ, elle puisse continuer à se développer dans le plein respect des principes éthiques fondés sur la dignité transcendante de la personne.
Ceux qui, dans une nation, ont un rôle de responsabilité, sont appelés à affronter l’avenir « avec le regard calme de celui qui sait voir la vérité », comme disait le penseur brésilien Alceu Amoroso Lima [‘Notre temps’, in : La vie surnaturelle et le monde moderne (Rio de Janeiro 1956), p. 106]. Je voudrais considérer trois aspects de ce regard calme, serein et sage : d’abord, l’originalité d’une tradition culturelle ; ensuite, la responsabilité solidaire pour construire l’avenir ; et enfin le dialogue constructif pour affronter le présent.
1. Il est important, avant tout, de valoriser l’originalité dynamique qui caractérise la culture brésilienne, avec son extraordinaire capacité d’intégrer des éléments divers. Le sentiment commun d’un peuple, les bases de sa pensée et de sa créativité, les principes fondamentaux de sa vie, les critères de jugement au sujet des priorités, des normes d’action, s’appuient sur une
vision intégrale de la personne humaine.
Cette vision de l’homme et de la vie, comme elle est propre au peuple brésilien, a beaucoup reçu de la sève de l’Évangile, à travers l’Église catholique : d’abord la foi en Jésus Christ, en l’amour de Dieu et la fraternité avec le prochain. Mais la richesse de cette sève doit être pleinement valorisée ! Elle peut féconder un processus culturel fidèle à l’identité brésilienne et constructeur d’un avenir meilleur pour tous. Ainsi s’est exprimé le bien-aimé pape Benoît XVI dans le discours inaugural de la 5ème Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, à Aparecida.
Faire croître l’humanisation intégrale et la culture de la rencontre et de la relation est la façon chrétienne de promouvoir le bien commun, la joie de vivre. Et ici convergent foi et raison, la dimension religieuse avec les divers aspects de la culture humaine : art, science, travail, littérature… Le christianisme unit transcendance et incarnation ; revitalise toujours la pensée et la vie, face à la déception et au désenchantement qui envahissent les cœurs et se répandent sur les routes.
2. Un deuxième élément que je voudrais aborder est la responsabilité sociale. Celle-ci demande un certain type de paradigme culturel et, en conséquence, de politique. Nous sommes responsables de la formation de nouvelles générations, compétentes en économie et en politique, et fermes sur les valeurs éthiques. L’avenir exige de nous une vision humaniste de l’économie et une politique qui réalise toujours plus et mieux la participation des gens, évite les élitismes et déracine la pauvreté. Que personne ne soit privé du nécessaire et que dignité, fraternité et solidarité soient assurées à tous : c’est la route à suivre. Déjà au temps du prophète Amos l’avertissement de Dieu était très fort : « Ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales… ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre et ils font dévier la route des humbles » (2, 6-7).
Les cris qui demandent justice continuent aujourd’hui encore. Celui qui a un rôle de guide doit avoir des objectifs très concrets et rechercher les moyens spécifiques pour les atteindre, mais il peut y avoir le danger de la déception, de l’amertume, de l’indifférence, quand les aspirations ne se réalisent pas. La vertu dynamique de l’espérance pousse à aller toujours de l’avant, à employer toutes les énergies et les capacités en faveur des personnes pour lesquelles on agit, en acceptant les résultats et en créant des conditions pour découvrir de nouveaux parcours, en se donnant aussi sans voir de résultats, mais en maintenant vivante l’espérance.
Le leadership sait choisir la plus juste des options après les avoir considérées en partant de sa propre responsabilité et de l’intérêt pour le bien commun ; c’est la façon d’aller au cœur des maux d’une société et aussi de les vaincre par l’audace d’actions courageuses et libres. Dans notre responsabilité, bien que toujours limitée, il est important de comprendre toute la réalité, en observant, soupesant, évaluant, pour prendre des décisions dans le moment présent, mais en élargissant le regard vers l’avenir, en réfléchissant sur les conséquences des décisions.
Celui qui agit de manière responsable place sa propre action face aux droits des autres et devant le jugement de Dieu. Ce sens éthique apparaît aujourd’hui comme un défi historique sans précédents. Au-delà de la rationalité scientifique et technique, dans la situation actuelle s’impose le lien moral avec une responsabilité sociale et profondément solidaire.
3. Pour compléter le « regard » que je me suis proposé, au-delà de l’humanisme intégral qui respecte la culture originelle et de la responsabilité solidaire, je termine en indiquant ce que je considère comme fondamental pour affronter le présent : le dialogue constructif. Entre l’indifférence égoïste et la protestation violente il y a une option toujours possible : le dialogue.
Le dialogue entre les générations, le dialogue avec le peuple, la capacité de donner et de recevoir, en demeurant ouverts à la vérité. Un pays grandit quand dialoguent de façon constructive ses diverses richesses culturelles : culture populaire, culture universitaire, culture jeunes, culture artistique et technologique, culture économique et culture familiale, et culture des médias. Il est impossible d’imaginer un avenir pour la société sans une forte contribution d’énergies morales dans une démocratie qui n’est jamais exempte de demeurer fermée dans la pure logique de représentation des intérêts constitués.
La contribution des grandes traditions religieuses, qui exercent un rôle fécond de levain de la vie sociale et d’animation de la démocratie, est fondamentale. La laïcité de l’État, qui, sans assumer comme propre aucune position confessionnelle, mais respecte et valorise la présence du facteur religieux dans la société, en en favorisant ses expressions concrètes, est favorable à la cohabitation entre les diverses religions.
Quand les leaders des divers secteurs me demandent un conseil, ma réponse est toujours la même : dialogue, dialogue, dialogue. L’unique façon de grandir pour une personne, une famille, une société, l’unique manière pour faire progresser la vie des peuples est la culture de la rencontre, une culture dans laquelle tous ont quelque chose de bon à donner et tous peuvent recevoir quelque chose de bon en échange. L’autre a toujours quelque chose à me donner, si nous savons nous approcher de lui avec une attitude ouverte et disponible, sans préjugés. C’est seulement ainsi que peut grandir une bonne entente entre les cultures et les religions, l’estime des unes pour les autres sans précompréhensions gratuites et dans le respect des droits de chacun. Aujourd’hui, ou bien on mise sur la culture de la rencontre, ou bien tout le monde est perdant ; parcourir la voie juste rend le chemin fécond et sûr.
Excellences,
Mesdames et Messieurs !
Je vous remercie de votre attention. Accueillez ces paroles comme l’expression de ma sollicitude de Pasteur de l’Église et de l’amour que je nourris pour le peuple brésilien. La fraternité entre les hommes et la collaboration pour construire une société plus juste ne sont pas une utopie, mais le résultat d’un effort concerté de tous en faveur du bien commun. Je vous encourage dans votre engagement pour le bien commun qui demande de la part de tous sagesse, prudence et générosité. Je vous confie au Père qui est aux cieux lui demandant, par l’intercession de Nossa Senhora Aparecida, de remplir de ses dons chacun des présents, vos familles et vos communautés humaines et de travail, et, de tout cœur, je vous adresse à tous ma Bénédiction.
I.C