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Rabbin Meyer: “la lutte contre la haine est un combat qui n’est jamais gagné d’avance”

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Solène Tadié - publié le 28/01/14

À l’occasion de la journée de la mémoirede l'Holocauste, Aleteia a rencontré le rabbin David Meyer. À ses yeux, le développement des relations entre juifs et chrétiens était une nécessité pour une lutte commune contre la haine.


Aleteia: Selon vous, quelle est l’ampleur de l’antisémitisme aujourd’hui en Europe, et plus largement dans le monde ?

R. D. Meyer: Il est difficile de savoir s’il y a réellement une augmentation de l’antisémitisme, c’est une chose qu’il est difficile de juger, car juger le sentiment des gens me paraît un peu complexe. On constate en tout cas une recrudescence du sentiment de liberté par rapport à l’expression du sentiment antisémite. Je note une recrudescence de la croyance selon laquelle il serait acceptable de faire un certain nombre de choses, qu’il s’agisse de la sphère pseudo-comique ou bien dans des profanations de différents types, comme on en voit en France, en Belgique ou même à Rome il y a quelques jours. Il m’apparaît incontestable que le nombre d’actes de nature antisémites sont en nette hausse.
En dehors de cela, il faut bien opérer une distinction entre les acteurs de ces faits là, et le reste de l’Europe, qui au niveau de ses institutions a une conscience aigüe des crimes perpétrés durant les années de la Shoah, et qui bien évidemment ne se reconnaît pas dans ces dérives antisémites. Ces actes ne traduisent pas nécessairement un mouvement de fond, vers un antisémitisme en Europe. Il ne faut pas sombrer dans la confusion simpliste, nous devons être bien conscients de cet aspect.


Votre référence aux manifestations pseudo-comiques nous renvoie inévitablement à l’affaire Dieudonné, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines en France et dans le monde. Pensez-vous que l’interdiction de son spectacle était nécessaire ?

Dans un contexte européen, il y a des cas d’exception, et la shoah ainsi que sa mémoire en sont un dans la mémoire collective européenne. A cet égard, il me semble qu’il n’y a rien de négatif à légiférer sur l’interdiction de choses qui touchent de façon directe à la shoah et à l’antisémitisme. Cela ne représente pas de danger à mon sens pour les principes de liberté d’expression car nous sommes face à un cas unique. L’unicité de la shoah devrait se traduire dans d’autres formes d’unicité, et le fait que la shoah soit traitée différemment d’autres atteintes à la dignité me semble assez conforme à la problématique religieuse et philosophique de cette unicité.
Pour autant, il y a toujours dans ce genre de cas un retour de manivelle, et en interdisant à un endroit, quelque chose d’autre ressort à un autre endroit que l’on n’imaginait pas. Dans le cas du spectacle de Dieudonné, je ne me fais pas d’illusions sur le fait que d’autres manifestations, d’une veine assez similaire, naîtront un peu plus loin. Cela nous rappelle que c’est un combat qui n’est jamais gagné d’avance. La lutte contre la haine en général, et pas seulement la haine du juif, est un combat perpétuel, qui ne se gagne pas une fois pour toutes. Je crois qu’il est assez sain d’accepter le fait que la nature humaine est telle que la lutte doit être continue.

Vous enseignez actuellement à l’Université pontificale grégorienne de Rome. Qu’est-ce qui vous y a conduit ? 

Ce qui m’a amené à l’université grégorienne est précisément cette ouverture chrétienne, manifestée depuis Nostra aetate et le Concile Vatican II, et qui s’est traduite par actes bien réels, et notamment par un profond respect du judaïsme, qui crée une situation tout à fait unique au niveau historique. Un rabbin peut désormais venir enseigner de manière fixe et régulière dans la plus haute instance académique du monde catholique. A cet égard, on ne peut pas ne pas engager notre responsabilité en faveur d’un dialogue réel, respectueux des différences, et qui ait le courage de faire face à des siècles d’animosité, et de tenter quelque chose de nouveau.

L'amitié et le dialogue judéo-chrétiens peut-elle contribuer à cette lutte contre la haine que vous décrivez ?

Le fait qu’il existe cette confiance aujourd’hui entre l’église et la synagogue, au point que je puisse venir enseigner ici à Rome, change beaucoup de choses, pour beaucoup de gens. De la même façon, lorsque j’étais au séminaire rabbinique, des hommes d’église sont venus m’enseigner les différents aspects du christianisme. Ce sont des échanges bien réels qui nécessitent de part et d’autre un vrai courage, dont hélas peu de gens ont conscience. Ces échanges ont le pouvoir d’engendrer sur le long terme de vraies dynamiques de changement et de respect.

Le 19 janvier dernier justement, le rabbin Skorka a rapporté au Sunday Times la volonté du pape François d’ouvrir les archives du Vatican, afin de faire toute la lumière sur les agissement de l’Eglise à l’époque nazie. Que représente ce geste pour vous ?

Bien entendu, cela me touche, car c’est un point très délicat dans les relations entre juifs et chrétiens. Cela nous donne le sentiment d’être compris par les plus hautes instances de l’Eglise, et cela met l’Eglise – avec tout le poids de son institution – dans une démarche historico-critique qui ne se satisfait pas d’une hiérarchie qui aurait quelque chose de divin en elle, mais qui se soumet aussi à l’analyse, à l’incertitude et à la critique. Cela lui fournit une couche d’humanité, à laquelle le judaïsme est profondément sensible. Ces informations là sont très importantes pour la communauté juive.

Que pourraient faire les chrétiens, selon vous, pour poursuivre au mieux cette lutte contre la haine ?

Chacun d’entre nous doit reconnaître que les dérives de la violence sont tout à fait infinies, et que nous sommes tous capables de tomber dans ce piège là. Le danger pour le christianisme serait de se reposer sur les lauriers en considérant que le gros du travail a été accompli et que les relations avec le judaïsme sont un acquis définitif. Mais ce danger est valable pour nous tous : c’est à partir du moment où nous croyons être dans un acquis que le danger guette. Les relations entre les peuples, entre les pays, entre les religions nécessitent une attention et un effort de tous les jours.

Concernant la commémoration de l’holocauste, certains pensent qu’un moment de silence a plus de valeur et de poids que certains documentaires aux images jugées parfois morbides voire irrespectueuses envers les victimes. Qu’en pensez-vous ?

Je répondrais qu’il faut bien séparer les deux choses. Les images ont le pouvoir de montrer ce que certains parfois considèrent comme faux. Celles-ci jouent un rôle pédagogique. L’idée n’est pas de traduire un respect ou un sentiment de proximité par rapport aux victimes. L'objectif est de transmettre une réalité qui a bien eu lieu, qui n’est pas une invention de l’esprit et à laquelle on a besoin d’être confronté de visu. A côté de cela, il existe un autre besoin, qui n’est pas d’ordre didactique, mais qui relève plutôt d’une incapacité à comprendre, d’un refus d’expliquer ce qui s’est passé, et dans ce cas précis en effet le silence est bien plus fort que les mots. Il existe un texte dans la Bible où l’on parle de la mort des deux fils d’Aaron, le grand prêtre. Ils sont tués sur le coup. Moïse tente d’expliquer à son frère pourquoi ses enfants sont morts, et le texte de la Torah dit simplement que à l’écoute de ce que Moïse lui disait, Aaron a gardé le silence.
Il y a une très grande force dans cette capacité à faire face à une situation épouvantable par du silence plutôt que de se lancer- et c’est en ce sens une critique de Moise- dans des explications qui deviennent justifications. Je crois qu’il y a une vraie sagesse et une vraie force dans le silence, mais je crois qu’il ne dispense pas des images et de leur pouvoir didactique. Les deux m’apparaissent aussi essentiels que complémentaires.


Né à Paris en 1967, David Meyer est un rabbin franco-israélien qui s'est distingué en tant qu'écrivain et professeur de littérature rabbinique et de pensée juive contemporaine. Il enseigne actuellement à l'Université grégorienne pontificale de Rome. Il est également contributeur régulier pour les pages "débats et opinions" de nombreux journaux en France et en Belgique.

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