Par un arrêt du 12 décembre 2014, le Conseil d’État a validé la circulaire dite « Taubira » de juin 2013 qui ordonnait de délivrer des certificats de nationalité française aux enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. Pour la première fois en France, les effets d’une GPA ont été reconnus et validés, alors que cette pratique est prohibée par la loi, sanctions pénales à l’appui. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Le principe de l’interdiction de la GPA
En France, tout contrat portant sur une gestation pour autrui est nul (article 16-7 du Code civil). Cette nullité est d’ordre public. Des sanctions pénales sont prévues.
Le contrat de gestation pour autrui est un accord (oral ou écrit) entre une mère porteuse et des personnes qui désirent avoir l’enfant qu’elle va porter en elle. Lorsque cela se passe en France, l’accord est le plus souvent verbal. À l’étranger, où cette pratique est licite, les modalités sont convenues par un contrat écrit et signé par les parties : prix, choix de la mère porteuse, garanties d’assurance, avortement éventuel en cas d’anomalie, moment où la mère va céder ses droits sur l’enfant, etc.
Les parents « d’intention » peuvent, ou pas, être également les parents biologiques : lorsqu’il s’agit d’un couple hétérosexuel, l’embryon implanté a pu être fabriqué à l’aide des ovocytes prélevés chez la mère d’intention. La situation est différente lorsqu’il s’agit d’un couple homosexuel masculin. Afin d’empêcher au maximum tout rattachement possible évident entre l’enfant et sa mère, les couples homosexuels ont le plus souvent recours à des donneuses d’ovocytes afin que la mère porteuse ne soit que « porteuse » et que l’enfant ne puisse pas remonter de manière certaine vers sa mère.
En droit français, la mère est toujours celle qui accouche. Mais le contrat de GPA prévoit que celle qui a accouché abandonne ses droits au profit des personnes qui ont commandé l’enfant. La mère n’est donc plus celle qui a accouché : ou bien il y a une autre mère, dite d’intention, ou il n’y a carrément plus de mère du tout mais un seul père voire deux pères (l’un biologique, l’autre d’intention). Le caractère artificiel de cette filiation provient du contrat de GPA lui-même qui prévoit le fait que la mère porteuse ne pourra pas être considérée comme la mère et que l’enfant sera remis à la ou aux personnes commanditaires. Puis, une telle filiation est consacrée par l’état civil du pays (autorisant la GPA) dans lequel le contrat a été signé et l’enfant est né.
Or, comme il l’a été dit, le droit français ne reconnaît pas le contrat de GPA qu’il considère comme nul. La nullité signifie qu’il n’y a aucun effet, que ce contrat n’existe pas. Dès lors, la filiation que le contrat de GPA avait établie et qui avait consacré les parents « d’intention » comme étant les seuls parents, n’existe pas. Les parents d’intention reconnus parents de l’enfant par ce contrat ne peuvent voir cette reconnaissance établie par le droit français.
C’est pourquoi, en raison de cette nullité et de la fraude à la loi française, qui consiste à contourner les règles légales en ayant recours à l’étranger à la GPA interdite en France, les juges français ont toujours refusé de transcrire ces filiations issues de GPA sur les registres d’état civil français.
Le raisonnement surréaliste du Conseil d’État
Le Conseil d’État n’a pas manqué de rappeler que le contrat de GPA était nul. Mais il ne s’est pas embarrassé de respecter la logique implacable qui en découlait (pas d’existence de la filiation issue de la GPA, pas de conséquence possible en droit français). Non, il raisonne exactement comme si l’acte d’état civil étranger de l’enfant était probant, régulier au regard du droit français.
Ainsi, pour lui, puisqu’un des deux parents est français suivant l’acte d’état civil étranger, l’enfant doit être français et la circulaire de Madame Taubira, ordonnant de délivrer des certificats de nationalité française, est valide. Le Conseil d’État serait-il devenu schizophrène ? Comment après avoir rappelé la nullité de la GPA peut-il lui attribuer des effets ?
Le Conseil d’État s’est-il fondé sur « l’intérêt » éventuel de l’enfant ?
Cet élément n’apparaît à aucun moment et, à ce titre, les nombreux commentaires que l’on a déjà pu entendre dans la presse sont parfaitement mensongers : « Ces enfants ont enfin une nationalité ». Rien de plus faux. Ces enfants avaient déjà une nationalité et même deux : la nationalité de leur pays d’origine, là où ils étaient nés, puis cinq ans après leur arrivée sur le territoire français, la nationalité française en vertu de l’article 21-12 du Code Civil. La circulaire Taubira ne venait donc pas combler une difficulté d’ordre pratique pour ces enfants. D’ailleurs, les agences étrangères proposant de la GPA en France se sont toujours vantées de la facilité avec laquelle les problèmes administratifs se réglaient (inscription à la sécurité sociale, à la CAF, etc.).
Et quand bien même des difficultés administratives auraient surgi, ce sont les parents, qui en premier lieu, auraient dû les assumer, pas les enfants.
En tout état de cause, l’intérêt de l’enfant consiste à ne pas faire l’objet d’un contrat, tel un bien, une chose que l’on transfère d’une personne à une autre. Son intérêt est de ne pas être arraché à celle qui l’a porté, bercé, nourri pendant 9 mois, dont il connaît la voix, l’odeur et le rythme cardiaque, voix qui seule pourra le calmer après sa naissance. Son intérêt est de connaître sa mère et de ne pas en être délibérément privé comme l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant le lui garantit.
Le Conseil d’État s’est retranché derrière la Cour européenne des droits de l’homme
En juin, la CEDH a condamné la France pour ne pas avoir transcrit l’état civil des enfants nés de GPA à l’étranger sur les registres français. « État civil » c’est-à-dire la filiation. Pour statuer ainsi, la Cour s’est basée sur l’article 8 de la Convention européenne des droits l’homme qui prévoit le droit au respect de la vie privée et familiale.
Rappelons que la CEDH a pour
mission d’assurer le respect, par les États signataires, de la Convention européenne des droits de l’homme qui date de 1950. Autant dire qu’elle était bien loin d’aborder les questions de PMA et de GPA… Toutefois, par des prouesses dignes d’acrobates les plus agiles, la Cour réussit à tirer d’un texte complètement étranger à ces notions, des règles qui doivent s’imposer à tous. Elle ne se contente donc plus d’interpréter mais de « légiférer », privant les États de tout débat et d’un vote démocratique sur des questions particulièrement clivantes.
Ainsi, grâce à un principe de « respect de la vie privée et familiale », la CEDH demande aux États d’entériner les effets d’une GPA, même si elle est illégale au regard du droit interne. Le Conseil d’État a saisi l’opportunité : il s’est retranché derrière cet arrêt et a préféré imposer un arrêt de la CEDH plutôt que de faire assurer le respect de la loi française démocratiquement adoptée.
Quel avenir pour la GPA ?
Une telle décision est un véritable encouragement à avoir recours à des GPA à l’étranger. Non seulement il n’y aura pas de difficultés pratiques, mais en outre cela se fera avec la bénédiction des autorités françaises qui, désormais, donnent officiellement à la GPA des conséquences juridiques.
C’est une avancée importante vers la légalisation de la GPA : à force de banaliser et de faciliter le recours à cette pratique, il s’agit bien entendu de la faire admettre en tant que telle et de pouvoir dire dans un avenir plus ou moins proche, qu’étant pratiquée sans difficulté, autant la légaliser.
D’ailleurs, les promoteurs de la GPA en France ne s’y sont pas trompés. Ainsi, l’agence Extraordinary Conception, qui vend ses prestations de GPA auprès des Français, s’est-elle réjouie sur les réseaux sociaux de l’arrivée de cette circulaire et de sa validation par le Conseil d’État.
La seule solution pour lutter contre cette pratique serait d’appliquer la loi pénale existante (des sociétés américaines ont fait l’objet de plusieurs plaintes, depuis janvier 2014, mais jusqu’à maintenant il n’y a pas eu de poursuites) et de prévoir des sanctions pour ceux qui ont recours à la GPA, que ce soit en France ou à l’étranger. Les adultes seraient alors mis face à leurs véritables responsabilités. Mais la récente proposition de loi examinée à l’Assemblée nationale a été rejetée, ce qui prouve, une fois de plus, la duplicité de l’actuel gouvernement sur cette question.
Adeline le Gouvello
Avocat à la Cour
www.le-gouvello.fr