Quand j’ai vu cette photo sur le fil d’un des mes réseaux sociaux, j’ai été immédiatement fascinée. La représentation d’un enfant de chœur au début du XXe siècle avec un encensoir n’est pas particulièrement exceptionnelle. Mais c’est peut-être trop souvent l’affaire d’un sentimentalisme suranné, avec de jeunes garçons aux joues rondes, souriants, entourés de nuages blancs censés évoquer les anges, l’innocence, le ciel.
Mais cette image, surtout à première vue, ne rappelle rien du ciel. Elle semble plutôt évoquer le contraire, avec des rues humides, des ombres troubles et floues et la volute fantomatique de l’encens qui pend lourdement de la main d’un enfant de chœur en soutane et écharpe, l’air grave et inquiet. La fumée ressemble à de la vapeur et la roue juste derrière fait presque penser à un train, à une locomotive à vapeur. En regardant rapidement, on pourrait se croire dans l’Est de Londres, celui de Jack l’Éventreur, aux rues dangereuses et aux hommes en costumes gris.
Il faut un certain temps pour prendre pleinement conscience de l’enfant et ensuite, une fois que l’on a perçu ses chaussures mouillées, son ourlet, la position de son bras à moitié plié, on peut observer le reste de l’image. Non, ce n’est pas la vapeur cendreuse d’Hadès surgissant des entrailles pour menacer l’enfant ou la ville obscurcie par la pluie, et non, la roue n’est pas celle d’un train, mais plutôt d’un corbillard tiré par des chevaux, car nous sommes tombés sur des funérailles — un moment d’une grande gravité.
Nous savons maintenant pourquoi les hommes ont la tête découverte. À l’époque, au milieu de la mort et des prières entonnées pour percer le ciel grâce aux nuages d’encens, les hommes enlevaient leur chapeau en signe de respect.
L’encens purifie et soulève
La mort. Les bougies du corbillard sont allumées et l’obscurité évoque l’aurore ou le crépuscule, ou un ciel trop chargé pour laisser passer la lumière, même s’il y en a assez pour dissiper la noirceur. Un prête était-il à côté, en train de saluer la calèche ou de l’asperger d’eau sainte? Impossible de le savoir. Nous savons uniquement qu’un garçon dans un surplis transparent, au milieu des effluves persistants, réalise une tâche ancestrale.
L’encens purifie et soulève ; il sert tout ce qui est visible et invisible. Il pénètre le voile. Et c’est finalement le plus frappant de cette image : penser qu’il fut un temps où il n’était pas inhabituel qu’un enfant, dans une rue animée, rende un hommage respectueux et digne à la vie et à la mort des êtres humains dans l’intérêt du monde et de Dieu qui est à l’origine de tout. Il fut un temps où nous pensions que ces lieux sacrés n’étaient pas réservés aux églises ou aux temples, mais qu’au contraire, ils pouvaient nous atteindre et nous toucher aux détours d’une ruelle sordide, et que seule était nécessaire la présence d’une sentinelle et d’un encensoir pour pouvoir sentir la désagrégation glissante entre le ciel et la terre.
Regardez, quelque chose de plus grand que vous-même : la mort et la vie, l’obscurité et la lumière; un fléchissement de brume et de scintillement, pour la libération des consolations à peine ressenties, mais jamais comprises.
Ces lieux ouvrent et ferment, ils se replient puis surgissent, et leur avènement est emprunt de prières et de senteurs, dignes d’être placés devant un trône, grâce à ceux qui sont prêts à se tenir debout dans le noir, dans le froid, sous la pluie — dans les villes dangereuses ou dans les faubourgs engourdissants ou étouffants — et à s’y rendre scrupuleusement.