Retrouvez la première partie de cet entretien ici.
Aleteia : Le catholicisme ne s’est-il pas égaré lorsqu’il s’est mis à commenter le Christ plutôt qu’à le suivre ?
Michel Maffesoli : Mon livre fait souvent référence à Saint Bonaventure et Saint François et donc à “l’exemplarisme”. J’insiste de même sur le côté populaire du catholicisme, ce côté païen, au sens de “paganus”, le paysan ancré dans un territoire, humain au sens où il y a de l’humus dans l’humain. C’est en ce sens que mon livre est peut être une critique du protestantisme qui a marqué cette évolution du christianisme vers le commentaire jusqu’à la ratiocination.
Vous êtes l’un des rares intellectuels à oser affirmer que la crise que nous traversons est spirituelle… Les technocrates vont se trouver fort embêtés.
Il est vrai que nos technocrates sont les tenants d’une lecture économiciste de l’évolution de notre société. Alors même que je pense effectivement que ce qu’on appelle crise est une évolution sociétale : les valeurs du rationalisme, de l’utilitarisme ou du fonctionnalisme, l’idéologie du progrès matériel comme seul horizon commun laissent place à autre chose : un idéal communautaire, un retour de l’émotionnel et effectivement ce que j’appelle , après Jacques Maritain le “sacral”, c’est à dire une religiosité ambiante, une quête spirituelle. Le matérialisme effréné, ayant été la marque de la modernité, a fait son temps. Les jeunes générations, en particulier, sont attentives au « prix des choses sans prix ». Autre manière de dire le goût du mystère et de la mystique. Et nous ne sommes qu’au début d’un telle mutation.
L’époque doit-elle admettre “l’humus qu’il y a dans l’humain” pour reprendre vos propres mots ? Voilà qui évoque le vieux fil de la tradition catholique (jusqu’aux XVI° et XVII° siècles ?) et les dits de saint Bernard de Clairvaux ou de saint François d’Assise.
Il y a dans le catholicisme de tradition (et non dans celui qui s’est “protestantisé” depuis quelques décennies) une réelle source d’inspiration : l’incarnation. C’est cela qui, stricto sensu, s’exprime dans les rituels dont le renouveau est on ne peut plus important. Les rituels disent, tout simplement, la force invisible qui meut le corps ecclésial. Peut-être est-ce cela “l’humanisme intégral” (de Maritain) alliant le corps et l’esprit. Ce que je nomme : corporéisme spirituel.
Il y a un vif renouveau des communautés monastiques et contemplatives, qui plongent dans le Grand Silence. Est-ce un phénomène qui retient votre attention ? Quel est le rôle que vous leur assignez dans “l’ordre du monde” ?
Les historiens rappellent le rôle joué par les ordres monastiques dans la structuration de l’Europe. Paradoxalement c’est la contemplation qui est source de vie et permet une croissance authentique. Le cœur battant de toute mon œuvre est une continuelle méditation sur “l’enracinement dynamique”. Il n’est pas étonnant que dans l’époque qui s’amorce le retour, le recours au silence soient ressentis comme une urgente nécessité . “Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr !”
N’est-ce point cela que l’on retrouve dans l’enseignement de saint Benoit : “Mens nostra concordet voci nostrae” ? C’est la concordance de l’âme et de la voix qui donne les véritables assises à l’ordre des choses.
Propos recueillis par Thomas Renaud
La parole du silence de Michel Maffesoli. Édition du Cerf, janvier 2016, 18 euros.