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Aleteia : Après quatre ouvrages thématiques autour de la théologie du corps [1], vous publiez aujourd’hui un Abrégé des catéchèses données par Jean Paul II à ce sujet, durant les cinq premières années de son pontificat. En quoi se distingue-t-il de vos précédentes publications ?
Yves Semen : Ces quatre ouvrages sur la sexualité, la spiritualité, le mariage et la famille selon Jean Paul II étaient des ouvrages d’introduction à la pensée du Saint-Père. Dans La Sexualité selon Jean Paul II, j’ai développé une présentation pédagogique de l’ensemble des catéchèses sur la théologie du corps ; dans La spiritualité conjugale selon Jean Paul II, j’ai donné quelques axes de spiritualité qui découlent de cette théologie. Pour ce qui est de mon livre sur le mariage, il s’agissait de montrer comment la théologie du corps permet une approche renouvelée de la préparation au mariage. Enfin, dans La Famille selon Jean Paul II, j’ai expliqué comment une nouvelle théologie de la famille pouvait découler de la théologie du corps. Dans les quatre cas, il s’agissait d’ouvrages de prise de contact avec la pensée de Jean Paul II. La différence avec cet Abrégé, c’est qu’il est une synthèse de l’ensemble des catéchèses du Pape, à partir des indications données par Jean Paul II lui-même. Il se situe donc davantage dans la lignée de l’approche scientifique de la théologie du corps, et notamment de l’édition critique des catéchèses de Jean Paul II, que j’ai publiée au Cerf en 2014.[2] Il ne s’agit donc plus d’un ouvrage de vulgarisation de la théologie du corps, ou d’introduction à la pensée de Jean Paul II, mais plutôt d’une mise à disposition plus accessible de l’ensemble des catéchèses de l’édition critique.
Si tout le monde s’accorde pour dire que la théologie du corps constitue un point fondamental de l’apport de Jean Paul II dans l’enseignement de l’Église, nombreux sont ceux qui s’effraient devant le manque d’accessibilité des catéchèses du Saint-Père. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi d’éditer cet ouvrage ?
Aujourd’hui, il existe suffisamment d’ouvrages d’introduction à la théologie du corps sur le marché. Le grand public a donc à sa portée toute la littérature nécessaire pour se familiariser avec ce thème. En composant cet Abrégé, je voulais que ces personnes n’en restent pas à ces ouvrages d’introduction, et qu’ils se mettent à lire Jean Paul II dans le texte. Comme leur nom l’indique, ces ouvrages sont “pour introduire à” quelque chose ; il faut donc se plonger dans ce à quoi ils introduisent ! Je suis persuadé qu’il existe une grâce propre au texte de Jean Paul II, en tant qu’il est délivré par le souverain pontife dans l’exercice de sa charge de catéchiste de l’Église universelle. Quand on reste en amont du texte, on ne bénéficie pas de cette grâce du texte pontifical, même si les ouvrages d’introduction consultés sont très bons. Les lecteurs doivent donc franchir le cap ! J’avais bien conscience que les 800 pages de l’édition critique en décourageraient plus d’un. C’est la raison pour laquelle j’ai composé cet Abrégé plus accessible, qui correspond à un cinquième de l’ensemble des catéchèses de Jean Paul II. Et j’y ai adjoint un lexique d’une centaine de termes techniques ou expressions propres à Jean Paul II pour en faciliter la lecture.
Comment avez-vous procédé pour constituer cet Abrégé ?
C’est très simple. Lorsque je préparais l’édition scientifique de l’ensemble des catéchèses, j’ai travaillé avec l’édition anglaise de Michael Waldstein, Man and Woman He Created Them, a Theology of The Body (2006). Dans son introduction, l’auteur fait état d’un courrier qu’il a adressé à Jean Paul II, lui demandant des indications pour réaliser une bonne traduction homogène de l’ensemble des catéchèses sur la théologie du corps. Le Pape lui a fait répondre qu’il fallait notamment que soient scrupuleusement respectés les passages qu’il avait lui-même mis en italiques dans le texte d’origine. Je me suis interrogé sur le pourquoi de l’exigence du Saint-Père. En essayant de les mettre bout à bout, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de passages très minutieusement repérés, et qu’ils constituaient un deuxième texte synthétique, mettant en valeur l’essentiel de l’enseignement de Jean Paul II. J’ai donc simplement contextualisé ces passages mis en exergue par le pape lui-même, avant de centrer particulièrement l’attention sur eux. Cela m’a permis de réaliser un Abrégé objectif, dénué de toute interprétation subjective, sur la base de ce que Jean Paul II lui-même avait souligné et donc en quelque sorte garanti par Jean Paul II lui-même ! Même si aucune preuve ne peut nous permettre d’affirmer que le Pape souhaitait un tel Abrégé, il avait donc donné tous les éléments pour que celui-ci voie le jour.
Cet Abrégé, publié en français, est une exclusivité mondiale. Est-ce la preuve que les catholiques de France ont un rôle à jouer dans la diffusion de l’enseignement de ce pape ?
C’est effectivement une conviction profonde que j’ai. Elle est fondée sur une volonté exprimée par Jean Paul II, avant même qu’il ait fini de prononcer l’ensemble des catéchèses sur la théologie du corps. En 1981, le Saint-Père crée dans l’université pontificale du Latran un Institut d’études sur le mariage et la famille. La date de fondation de cet institut est d’ailleurs très symbolique : le 13 mai 1981, jour de l’attentat de la place Saint-Pierre. Jean Paul II n’a donc pas pu faire l’annonce de cette création ce jour-là. A la fin de l’année 1981, Jean Paul II exprime le souhait que l’Institut, installé à Rome, développe l’enseignement de la théologie du corps, et que soient créées des sections locales – une par grand continent. Signe particulier de ce vœu : le Pape souhaitait que la première section de cet institut soit créée en France. On doit aujourd’hui constater qu’il y a des instituts Jean Paul II un peu partout dans le monde : à Washington, à Philadelphie, à Valencia, à Cracovie, et même bientôt à Séoul… Mais pas en France. Je suis persuadé que Jean Paul II voulait que la France ait avoir un rôle assez particulier dans la diffusion de cet enseignement. L’Église de France a vraiment un rôle à jouer, elle qui a toujours été missionnaire et propagatrice d’idées. Cette nouvelle publication est donc une manière de répondre au souhait du Saint-Père. Et l’Abrégé sera d’ailleurs publié en italien très prochainement !
En quoi la théologie du corps est-elle d’une grande actualité ?
Je vais vous raconter une anecdote, rapportée par Monseigneur Lorenzo Albacete, lors d’un colloque sur la théologie du corps à Philadelphie en 2014. Monseigneur Albacete raconte qu’alors il se trouvait à la table du Saint-Père avec un certain nombre de cardinaux, au début du pontificat de Jean Paul II, un cardinal reproche au Pape le manque d’accessibilité de ses catéchèses du mercredi, qu’aucun des assistants à l’audience ne comprend. Jean Paul II le laisse parler, en souriant, puis lui répond : “Cher ami, vous ne m’apprenez rien. Ce n’est pas pour ces personnes-là que je parle. C’est pour ceux qui dans plusieurs décennies seront capables de s’approprier cet enseignement pour le porter au monde.” Une autre histoire amusante vient confirmer ce plan de Jean Paul II. Lorsqu’il était doctorant à Rome, le cardinal Ouellet, aujourd’hui préfet de la Congrégation pour les évêques, se rendait à l’audience avec ses amis du séminaire pour aller voir la tête des assistants, et constater leur perplexité fasse à l’enseignement délivré par le Pape. Sur le moment, personne ne comprenait ! Et pourtant, on sait combien Jean Paul II était capable de faire vibrer une foule… Le cardinal Ouellet raconte que lors de ses catéchèses consacrées à la théologie du corps, le Pape ne levait pas la tête, lisait son texte de manière monocorde… Au fond, il exécutait une procédure. Il était évident qu’il ne parlait pas pour les gens qui étaient là. Alors voilà, “plusieurs décennies”, c’est maintenant. Quand George Weigel, auteur de la seule biographie de Jean Paul II intégralement relue par ce dernier, [3] dit de la théologie du corps qu’elle est une “bombe à retardement théologique qui pourrait exploser avec des effets spectaculaires au cours du IIIème millénaire de l’Eglise”, Jean Paul II le laisse écrire cela ! Tout cela corrobore le fait que la théologie du corps n’était pas tellement pour le temps où Jean Paul II l’a enseignée. Le temps est aujourd’hui venu. La meilleure preuve, c’est que le Pape François cite 27 fois les catéchèses sur la théologie du corps dans Amoris Laetitia, ce qui est absolument considérable ! La théologie du corps est donc en plein dans l’actualité de l’Eglise, mais également dans l’actualité culturelle. Notre monde ne sait plus qui est l’homme, ni ce qu’est le mariage. Et cela se répercute sur tous les plans : l’éducation, la famille, la société, le rapport de l’homme au monde vivant …
Nous vivons aujourd’hui une crise anthropologique monumentale. Le grand défi des chrétiens au service du monde contemporain, c’est de dire qui est l’homme. Et précisément, la théologie du corps donne une réponse absolument lumineuse. Pour cela, il faut que les chrétiens soient convaincus qu’ils n’ont aucun complexe à avoir pour parler du corps et de la sexualité, bien au contraire. Avec la théologie du corps, l’Église est dépositaire d’un trésor que les chrétiens doivent s’approprier pour le déployer et le porter au monde qui en a soif, quoiqu’il en dise. Pour cela, il faut qu’ils fassent l’effort et prennent le temps de se former.
Vous êtes aussi le président-fondateur de l’Institut de théologie du corps, basé à Lyon. Pouvez-vous nous décrire la vocation et les activités de cet Institut ?
L’Institut de théologie du corps répond à cette mission plus que jamais indispensable de propagation de la théologie du corps. Il a été créé à l’occasion du trentième anniversaire de la dernière catéchèse de Jean Paul II à ce sujet, le 28 novembre 2014. Il est basé à Lyon mais développe ses activités dans tous les diocèses qui font appel à lui. En coopération avec l’Institut Jean Paul II de Rome, nous proposons des formations qui s’adressent à tout le monde, à travers nos programmes de Certification. Il s’agit de faire connaître la théologie du corps en profondeur, et de dépasser les caricatures qu’on en fait parfois, afin d’être capable d’en parler sérieusement. Dans notre programme de Mastère, nous formons également des personnes qui seront capables d’enseigner à leur tour la théologie du corps.
Propos recueillis par Maëlys Delvolvé
Jean Paul II, Abrégé de La théologie du corps, textes introduits, mis en forme et édités par Yves Semen, aux Editions du Cerf, 256 pages, 19 euros.
Pour plus d’informations sur l’Institut de théologie du corps : http://institutdetheologieducorps.org/
[1]La Sexualité selon Jean Paul II, La Spiritualité conjugale selon Jean Paul II, Le Mariage selon Jean Paul II et La Famille selon Jean Paul II (Presses de la Renaissance, 2004, 2010, 2015, 2016).
[2] Jean Paul II, La Théologie du corps, introduction et traduction d’Yves Semen (Cerf, 2014).
[3] G. Weigel, Jean Paul II, témoin de l’espérance (Lattès, 1999)