La prochaine échéance importante n’est pas l’entrée en l’an 2017 ni la primaire à gauche après celle de la droite et du centre, la multiplication des candidatures indépendantes et le renoncement du sortant à briguer un second mandat présidentiel. Car le premier tournant à ne pas rater maintenant, c’est Noël. De toute façon, l’année nouvelle a déjà commencé, depuis le début de l’Avent. Le calendrier de l’Église est toujours en avance sur celui de la société civile. Ce n’est pas parce que les gens l’ignorent en général que les chrétiens devraient l’oublier. C’est un petit signe qui montre que ce n’est pas eux qui sont en retard, mais le monde comme il va. Et ce n’est pas fini, parce qu’avant les premier et deuxième tours de la course à l’Élysée (23 avril et 7 mai), il y aura la Semaine Sainte et Pâques (du 9 au 16 avril). Quant à l’Ascension (25 mai) et la Pentecôte (4 juin), elles précéderont les législatives (11 et 18 juin).
Vous me direz que ce n’est pas du même ordre. Et pourtant, je maintiens que ce n’est pas sans rapport. La liturgie aide bigrement à situer la politique sur l’agenda, en la mettant en perspective, non pour la rabaisser, mais pour en faire ressortir les enjeux les plus décisifs.
La question que pose Noël
Finalement, c’est quoi Noël ? La question est posée à tous ceux qui n’ont pas la foi comme à ceux qui s’efforcent d’y rester fidèles mais aussi à ceux qui ne savent plus trop. L’annonce des anges aux bergers de Bethléem demande à tous ceux qui font la fête si c’est uniquement parce que c’est le 25 décembre et que c’est comme ça, s’ils se résignent donc à n’être que des accidents dans l’évolution biologique et des pions sur l’échiquier politique, ou bien s’ils reconnaissent qu’ils ont un Père aux cieux, comme l’enfant de la crèche envoyé partager leur condition.
Bien sûr, le folklore du jour ne dit pas ce qui est à changer dans la législation et la fiscalité, s’il faut plus ou moins de fonctionnaires, ni si les retombées des institutions européennes ou de la mondialisation sont plutôt positives ou plutôt négatives. Mais à cette parenthèse de réjouissances selon une tradition apparemment irrépressible, il y a une origine et des raisons. Et celles-ci fondent d’autres critères que ceux de l’immédiat, à la fois pour la gestion de cette énorme machinerie qu’est un État moderne et pour les décisions à prendre face aux imprévus et aux tensions aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. La Nativité interroge sur ce qu’est l’homme et sur les motivations sans lesquelles la politique ne sert qu’à bricoler des solutions précaires à des problèmes d’intendance et à quelques urgences, tout en nourrissant des ambitions et en fournissant, par là, un spectacle plus ou moins divertissant qui augmente encore l’audience de Facebook et de Twitter.
Le défi de Pâques à la politique
De même, Pâques jette une lumière assez crue, voire cruelle, sur le pouvoir et sur nos aspirations tels que notre culture les conçoit spontanément. La célébration de la victoire du Crucifié défie nos instincts dominateurs, consommateurs et prédateurs en révélant que la vie, plus forte que la mort, ne consiste pas à prendre mais à donner et même à se donner sans rien garder. À cette lumière, la politique ne tire sa gloire que du service qu’elle rend. Il ne s’agit plus alors d’aduler comme un messie tel courtisan de suffrages en vouant les autres aux gémonies : quels que soient les appétits ou les présomptions qui les aiguillonnent, c’est à une forme d’authentique altruisme qu’ils sont candidats.
D’ailleurs, la façon dont les battus aux élections acceptent généralement, dans nos pays démocratiques, le verdict des urnes a quelque chose d’admirable. Au-delà du respect formel des règles du jeu et de la désacralisation du « prince », il est permis de voir là une « marque chrétienne » (comme dit Pierre Manent dans Situation de la France). L’Évangile enseigne que le pouvoir ne saurait être justifié par l’intérêt de son dépositaire du moment et qu’il est toujours reçu “d’en-haut” (cf. Jean 19, 11 et Romains 13, 1) pour le bien de tous, même si c’est indirectement, et non par quelque intervention divine, ou prétendant l’être, avec une autorité infaillible et absolue. Le politique (comme champ ou domaine, pour le distinguer de la politique qui consiste en la conquête et l’exercice du pouvoir) trouve ici à la fois sa nécessité (en tant que besoin humain auquel répond ce que les croyants nomment la Providence) et ses limites (dans la mesure où il reste exposé aux dangers symétriques et tout à fait compatibles de la pusillanimité et de la tyrannie).
Ce que changent l’Ascension et la Pentecôte
C’est ce que vérifient et développent l’Ascension et la Pentecôte. La remontée aux cieux jusqu’au jour dernier du Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité, ouvre l’espace et le temps du délai de grâce offert aux hommes dispersés et divisés pour commencer à se rassembler en s’engageant à sa suite comme serviteurs les uns des autres. Il s’ensuit cependant qu’aucun État ne peut prétendre être déjà le Royaume, ce qui confirme la modestie à conserver en politique.
Vivre en enfants de Dieu serait en fait impossible si n’était pas envoyé l’Esprit qui introduit dans la relation filiale entre Jésus de Nazareth et son Père (Romains 8, 15 ; Galates 4, 6). L’effusion de l’Esprit, sept semaines après Pâques, n’est pas uniquement un événement merveilleux du passé. C’est une action qui se poursuit et ce n’est pas de la magie. Car l’Esprit n’agit pas à notre place et ne confère pas forcément des pouvoirs extraordinaires. Il donne simplement la liberté de s’associer à sa discrétion de serviteur. Il n’impose rien et n’exige même pas qu’on le reconnaisse. Mais il est à l’œuvre partout où les dirigeants sont inspirés de servir et où il est demandé dans la foi qu’ils le soient même s’ils l’ignorent. Cette prière n’est pas seulement utile et prudente. Elle est nécessaire et un devoir pour tout chrétien, comme une manière pour chacun de servir et donc de répondre sa vocation.