Qu’en penserait Joachim du Bellay, le poète de « Heureux qui comme Ulysse… », mais aussi auteur de La Défense et illustration de la langue française (1549), ce manifeste des poètes de la Pléiade ? Que dirait, à plus forte raison, François de Malherbe, auteur, certes, du charmant : « Beauté, mon beau souci… », mais aussi sévère censeur du galimatias et des tournures amphigouriques ? Dans la série des déboires actuels de notre douce France, la multiplication des agressions et distorsions infligées à notre langue fait réagir nos médias (bien qu’eux-mêmes soient loin d’être irréprochables en la matière…). C’est que le mauvais exemple vient de haut, de l’Élysée et de grands ministères, d’où un certain plaisir à épingler leurs bourdes linguistiques, orthographiques ou grammaticales.
Élysée, Éducation nationale, Culture : zéros pointés
Il est vrai qu’on les a cumulées, en haut lieu, ces bourdes, depuis le début de l’année : la communication de l’Élysée avait ouvert le bal des cancres dans une série de tweets relayant les vœux du président de la République, rapporte Europe 1 : « Face aux attaques, vous avez tenu bons … » ; « Nous n’en avons pas fini avec le terrorisme et je me rendrais en Irak demain… » ; « C’est vous qui auraient le dernier mot… » ; « Dans un contexte de guerre froide la France a un rang et des valeurs a défendre… » Stagiaire aux manettes ou abus de champagne au réveillon ?
Le 14 janvier, La Montagnese délectait d’une faute d’orthographe signée de la main de notre ministre de l’Éducation nationale, dans le livre d’or de l’école de gendarmerie de Tulle : « Votre expertise, votre professionalisme impressionnant nous sont plus que précieux. Amitiés. Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale. »
Errare humanum est mais Najat Vallaud-Belkacem est multirécidiviste, ce qui n’est sans doute pas « diabolique », mais fait désordre quand on préside aux destinées d’un ministère qui pour être abusivement nommé de l’Éducation nationale, est supposé tout de même se soucier aussi d’instruire. « La twittosphère s’est empressée de rappeler NVB à l’ordre, ironisant sur “le professionNalisme” de celle qui représente l’école française, relève LCI. Certains, à l’instar de “Brunozzz”, retraité de l’enseignement supérieur, sont allés jusqu’à compiler quelques “perles” de la ministre, visiblement fâchée avec la conjugaison. » Ainsi Najat Vallaud-Belkacem avait-elle félicité le club de football Paris-Saint-Germain « qui a fait rêvé notre jeunesse », annoncé dans un autre tweet « la demie-journée de consultation des enseignants » ou encore stigmatisé dans une envolée vengeresse « la brutalité de la droite extrême vêtue d’une parka aussi rouge (?) que le gros rouge qui tâche… ». Une telle accumulation rend difficile de plaider la simple étourderie.
Le 17 janvier, Audrey Azoulay, ministre…. de la Culture et de la communication, tweetait quant à elle : « C’est parce que la France défend la liberté que les artistes du monde entier y trouve refuge » (« J’aimerais que la France défende aussi la 3e personne du pluriel » lui répondit aussitôt Petit Prof.) « Ce n’est pas la première fois qu’Audrey Azoulay commet une bourde, souligne Closer. En août dernier, elle s’était trompée sur le nom d’un titre de livre pour rendre hommage à l’écrivain Michel Butor, après l’annonce de sa disparition. Dans son communiqué, elle avait évoqué le roman La Consolidation, lauréat du prix Renaudot en 1957, mais cet ouvrage s’intitule en réalité La Modification » (Un titre pourtant resté célèbre comme archétype du « nouveau roman », dont l’étude me fut infligée jadis, en hypokhâgne.)
L’obscur « prédicat » éclipse le COD
Du côté de la grammaire, une nouvelle polémique secoue le monde universitaire et scolaire : l’introduction depuis la rentrée 2016 de l’obscure notion de « prédicat » en lieu et place des bons vieux compléments d’objet direct et indirect (COD, COI) pour les élèves de CM1, CM2 et sixième. « C’est un terme qui ne parle à personne, ou presque. Le prédicat a fait son entrée dans les programmes enseignés à l’école primaire et au collège cette année et désigne tout ce qui se rapporte au sujet. Mais dès son apparition, on a accusé cette simplification d’appauvrir la grammaire française » constate RTL. « Le prédicat est le nouveau concept fourre-tout de la grammaire moderne, ode à la cuistrerie contemporaine, on y met ce qu’on veut, les cahiers au feu et les compléments circonstanciels au milieu » s’insurge Sabine Delanglade, dans Les Echos. Depuis cette (énième) réforme, les collégiens doivent attendre la cinquième pour s’initier aux COD, COI, et aux subtilités de l’accord du participe. « La simplification de l’enseignement de la grammaire est le dernier acte d’une longue entreprise de décervelage » s’insurge Cécile Revéret, auteur de Grammaire française – Précis d’analyse grammaticale et logique (aux éditions du GRIP), interviewée dans Le Point par Jean-Paul Brighelli.
Le Conseil supérieur des programmes (CSP) est sur la sellette, constate Le Bien public : « Dans les médias ou sur les réseaux sociaux, on fustige un “nivellement par le bas”. Certains syndicats sont furieux. “C’est beaucoup plus compliqué de comprendre le prédicat que de comprendre le verbe et le complément d’objet. Ça ne simplifie rien du tout”, dénonce Jean-Rémi Girard, vice-président du Snalc (Syndicat national des lycées et des collèges), classé à droite même s’il le réfute, vivement opposé à cette réforme. Même son de cloche de la part du Syndicat national des écoles (SNE), proche du Snalc, qui dénonce des “changements permanents”, et “un abaissement du niveau”. Les syndicats d’autres bords n’ont pas pu être joints. »
L’orthographe devient négociable
Le Figaro du 19 janvier voit rouge, enfin noir : il en fait sa une. « Pour le linguiste Alain Bentolila [professeur de linguistique à l’Université de Paris] l’introduction de ce prédicat “n’a aucun sens”. “Derrière ce terme se cache une idéologie épouvantable dont les enfants défavorisés sont les premières victimes”, assure-t-il. » Ce qui se profile en tout cas, commente Étienne de Montéty en éditorial, c’est que l’orthographe est en train de devenir relative. “Négociable”, entend-on même. » De là, sans doute, la désinvolture dont font preuve les ministres de l’Éducation nationale et de la Culture dans leurs propres écrits.