Zygmunt Bauman, né à Poznań en Pologne en 1925 et décédé le 9 janvier dernier à Leeds, émigre dans l’ex-URRS avec sa famille alors qu’il n’est qu’enfant, pour échapper à la persécution nazie. En 1968, il fuit à nouveau pour éviter les purges antisémites en URSS qui font suite au conflit israélo-arabe. Il s’installe temporairement à Tel Aviv, puis en Angleterre où il entreprend une carrière de professeur à l’Université de Leeds.
En janvier 2016, dans un entretien avec le journaliste Ricardo De Querol pour El País, le sociologue et philosophe polonais, explique comment les réseaux sociaux, même s’ils ont positivement transformé les formes traditionnelles de l’activisme social, ne sont qu’un substitut à la formation de communautés authentiques.
Pendant l’interview, De Querol a cité les propos de Zygmunt Bauman lui-même, selon lequel l’activisme social en ligne ne serait qu’un « activisme de canapé », et Internet ne ferait que nous endormir avec ses divertissements bon marché. Le journaliste lui a donc demandé, reprenant l’expression de Marx, si les réseaux sociaux ne seraient pas le nouvel « opium du peuple ». Bauman n’a pas hésité à répondre que l’identité, tout comme la communauté, n’est pas quelque chose que l’on se crée, mais quelque chose que nous avons ou que nous n’avons pas.
Il a ajouté : « Ce que les réseaux sociaux peuvent créer n’est qu’un substitut. La différence entre la communauté et les réseaux sociaux, c’est que vous appartenez à la communauté, tandis que les réseaux vous appartiennent. Vous pouvez ajouter des amis et les supprimer, vous pouvez contrôler les personnes avec qui vous êtes en lien. Les gens ont l’impression de se sentir un peu mieux dans cette société si individualiste dont la grande menace est la solitude. Mais sur les réseaux sociaux, il est si facile d’ajouter ou de supprimer des amis, que vous n’avez pas besoin d’être à l’aise en société pour évoluer dans la communauté ».
Cette aisance, a-t-il ajouté, se développe au contact direct avec les hommes, tous les jours, dans les espaces communs, à la fois publics et privés : dans la rue ou au travail, quand vous rencontrez des gens avec qui vous devez avoir une interaction « raisonnée ». Là, vous devez faire face aux difficultés, vous devez vous impliquer dans un dialogue. En somme, il est important d’avoir des interactions qui ouvrent vers le dialogue ou la négociation.
Le dialogue n’est pas un café instantané
À ce propos, Zygmunt Bauman n’a pas hésité à rappeler que le pape François a donné sa première interview, après avoir été élu souverain pontife, au journaliste ouvertement athée et militant : Eugenio Scalfari.
« Il a été un exemple » a affirmé Bauman : « Le vrai dialogue ne consiste pas à parler avec des gens qui pensent comme nous. Les réseaux sociaux ne nous apprennent pas à dialoguer car il y est si facile d’y éviter la controverse… De nombreuses personnes utilisent les réseaux sociaux non pas pour s’unir, non pas pour élargir leurs horizons, mais au contraire pour s’enfermer dans ce que j’appelle des zones de confort, où le seul son que l’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule image que l’on aperçoit est le reflet de son propre visage. Les réseaux sociaux sont très utiles, ils rendent des services très appréciables, mais ce sont aussi des véritables pièges ».
Zygmunt Bauman avait déclaré récemment dans une interview au journal italien Avvenire, que le dialogue signifiait : « Éduquer à apprendre. C’est tout le contraire des conversations ordinaires qui tendent à diviser les personnes : ceux qui ont raison d’un côté et ceux qui ont tort de l’autre. »
« Entrer en dialogue signifie dépasser le seuil du miroir, et apprendre à s’enrichir des différences d’autrui. Contrairement aux séminaires universitaires, aux débats publics ou aux bavardages habituels des gens, dans le vrai dialogue il n’y a pas de perdants, mais que des gagnants ».
« C’est cela la vraie révolution culturelle qui nous permet de repenser notre époque. L’acquisition de cette nouvelle façon de penser ne se fait pas par des simples recettes, mais est exigeante et passe par une éducation qui requiert un investissement à long terme. Nous devons nous concentrer sur des objectifs à long terme ».
Et il conclut ainsi : « Telle est la pensée du pape François. Le dialogue n’est pas un café instantané, il ne donne pas d’effets immédiats. Il est patience, persévérance et profondeur. Au parcours que le Pape propose, je rajouterai un seul mot : Ainsi soit-il, Amen. »