C’est un sujet éminemment douloureux. Pendant des années, un voile de silence reposait sur les faits d’attouchements ou de viols sur mineurs commis par des ecclésiastiques. Par peur du scandale, par volonté de ne pas ajouter du mal au mal. “Silence hypocrite” disent aujourd’hui les victimes, à la suite des plus courageuses qui sont arrivées à briser le mur du silence. Ce n’était pas si évident. Il fallait briser cette grande peur, cet enfermement des consciences qui semblait sans issue. Voilà qui est fait. Et l’étude rigoureuse menée par Olivier Bobineau, Constance Lalo et Joseph Merlet tombe à point. Il s’agit bien de la « première enquête en sciences humaines en France sur les prêtres pédophiles ». Un prêtre, un sociologue, une juriste n’ont pas renoncé à se plonger au coeur du scandale.
Un travail pénible mais indispensable
Un tel ouvrage était attendu, tant un travail d’analyse et de compréhension était nécessaire après l’emballement médiatique de ces dernières années. Il fallait convoquer la philosophie, l’anthropologie ou encore la psychologie. Se nourrir des faits, des témoignages des victimes et des coupables pour que l’analyse ne tourne pas en rond, qu’elle se fonde sur le roc. Il ne s’agit pas d’un travail d’érudition pure ou d’attrait douteux pour un sujet douloureux. Les auteurs n’ont qu’une seule idée en tête : offrir les outils intellectuels pour comprendre le passage à l’acte et poser les bons diagnostics pour éviter de nouvelles victimes, accompagner celles qui ont été parfois délaissées et les aider à se reconstruire. Les témoignages fournis sont particulièrement éclairants pour comprendre le point de vue des victimes, leur désespoir, la dépossession d’elles-mêmes, les souvenirs qui les hantent.
L’Église doit parler et entourer les victimes
Au-delà de la condamnation des prêtres coupables, les victimes (et l’opinion publique derrière elles) souhaitent systématiquement mettre en cause la hiérarchie épiscopale. Pourquoi ? Parce que la volonté de discrétion des évêques et la prudence des fidèles catholiques a été ressentie comme une véritable trahison par les victimes. Leur parole était tue et parfois remise en cause. C’était ajouter encore à la douleur des actes subis, pousser plus loin l’humiliation, les empêcher de retrouver leur dignité. Certes l’emballement médiatique était loin d’être désintéressé et il ne manque jamais de charognard pour exploiter les victimes afin d’affaiblir l’Église. De telles curées sont d’ailleurs extrêmement rares dans les cas de pédophilie touchant l’institution scolaire ou les structures médico-sociales. Il n’en demeure pas moins que l’Église a un devoir d’exemplarité pour faire toucher aux victimes le véritable amour du Christ. Dans chaque affaire, il lui appartient d’avoir un souci permanent et prioritaire des victimes, avant de vouloir se protéger elle-même.
Le scandale absolu
À plusieurs reprises, l’ouvrage utilise les termes de « sacré incestueux » et de « scandale absolu » pour nommer les actes de pédophilies commis par des prêtres. Une manière d’illustrer l’extrême déchirure, la trahison suprême que représente la violation du corps et de l’âme d’un enfant par celui-là même qui doit le placer sur le chemin du Ciel. Le prêtre qui l’ouvre à l’amour infini du Christ est celui qui va tuer en lui toute capacité d’amour. Le crime des prêtres pédophiles est un crime inouï en ce qu’il ne se contente pas de souiller le corps des victimes mais en vient à massacrer leur âme. C’est le coeur de la dignité humaine qui est touché. Le mal est d’autant plus grand que celui qui le commet était placé au-dessus de tout soupçon, avait reçu toute confiance. Il est donc juste de parler de scandale absolu et les auteurs offrent à notre réflexion de profondes réflexions sur le sens du sacré dans nos sociétés.
Tolérance zéro et pleine franchise
L’Église de France a, depuis plusieurs mois, pris la mesure du phénomène. Et même si le nombre de cas est infiniment moins important que dans d’autres pays (États-Unis, Irlande, Pays-Bas ou encore Australie), les évêques ont compris que c’était en matière de souffrance qu’il fallait considérer le problème et non selon les lois de la statistique. La Conférence des Évêques de France avait ainsi déclaré en avril dernier « ces affaires tragiques concernent peu de prêtres mais n’y aurait-il qu’une seule affaire, elle serait toujours de trop ». Une cellule permanente de lutte contre la pédophilie a été mise en place et des cellules d’accueil créées dans chaque diocèse. La brochure Lutter contre la pédophilie a été actualisée et un site dédié à été créé. Ces mesures ont été saluées. L’ouvrage ouvre d’autres perspectives, en osant notamment insister sur la formation psychologique dans les séminaires. S’il n’est pas exempt de faiblesses, notamment lorsque la dimension spirituelle est trop souvent relativisée face aux constats psychologiques, Le Sacré incestueux constitue un document de travail extrêmement complet et un appel à regarder la réalité la plus sombre en face, en toute franchise. Si la transparence, cuisinée à toutes les sauces, est devenue une formule creuse, l’exigence de vérité et un commandement bien réel pour tout catholique. Elle seule permettra la guérison.
Le Sacré incestueux, par Olivier Bobineau, Constance Lalo et Joseph Merlet, Éditions Desclée de Brouwer, 256 pages, 18,90 euros.