La carrière, entre l’ancre et la croix, de ce fidèle gaulliste animé d’un profond mysticisme, commence dans la Royale avec laquelle il sert durant la Grande Guerre. La mobilisation générale de l’été 1914 retarde l’engagement monastique de ce jeune homme né dans une famille bourgeoise et pieuse de Picardie. Un marin initié à la foi par sa mère qui l’amène à un attachement tout particulier pour le Sacré-Cœur. Il développe grâce à cette femme dévote une spiritualité marquée par la Passion et dans laquelle la pratique eucharistique joue un rôle majeur. Lors de ces jeunes années, il se rapproche du sillon de Marc Saulnier, qui le séduit un temps par sa critique de l’individualisme et sa conception organiciste de la société.
Après avoir servi brillamment durant quatre ans en méditerranée, la fin de la guerre l’amène à quitter l’uniforme militaire pour enfiler celui du Carmel dans lequel il prend le nom de Louis de la Trinité. Enfin en accord avec lui-même il écrit avec émotion :
« J’ai éprouvé deux impressions de joie profonde, la première de recueillement devant Dieu (…) La deuxième, très douce, pendant que nouveau novice, je recevais le baiser de nos pères et frères dont j’ai compris l’affection toute surnaturelle pour ces nouveaux frères ».
Grâce à sa profondeur intellectuelle et ses grands talents d’organisateur, il exerce une influence majeure sur son ordre. Il finit par en devenir le supérieur provincial de Paris en 1935. Malgré cette “mort au monde” que représente l’engagement monastique, l’ancien soldat ne se désintéresse pas pour autant de l’actualité sombre de son temps, tout au contraire. Sa vision très conservatrice et traditionaliste de la société le rapproche de l’Action française et de Charles Maurras. Il jette ainsi un œil mauvais sur le Front populaire convaincu que ce gouvernement s’apprête à ouvrir une vague de persécutions contre l’Église et les croyants.
L’homme de confiance du général de Gaulle
En 1939, son patriotisme l’amène à quitter le silence du monastère pour retrouver le fracas de la guerre. La défaite le pousse à répondre à l’appel du général de Gaulle et à rejoindre Londres. L’homme du 18 juin saura utiliser ses qualités militaires et politiques. Il devient l’homme de confiance du général, infatigable missi dominici envoyé à travers le monde, de l’Afrique à l’Amérique jusqu’aux colonies françaises du Pacifique. La France Libre, agrégat de différentes personnalités issues de tous les bords politiques ne manque pas de connaître d’inévitables tensions. D’Argenlieu, avec son caractère intransigeant, est la source de certains de ces conflits, particulièrement avec les ralliés vichyssois de l’amiral Darlan qui décident de rejoindre les Alliés après le débarquement en Afrique du Nord de 1942.
À la Libération, il est envoyé en mission en Indochine pour rétablir la souveraineté française sur cette colonie. Son rôle y est alors controversé et sa mésentente avec le général Leclerc se révèle funeste pour l’issue de cette crise, qui ne tarde pas à dégénérer dans un conflit sanglant. Ainsi, à Haiphong, les bombardements qu’il ordonne, menée par la marine française, font plus de 6000 victimes vietnamiennes et embrasent la péninsule. Le sang des soldats français à Dien Bien Phu marquera la fin tragique de la présence française en Asie. De retour en France, il garde sa fidélité indéfectible au général de Gaulle mais retrouve sa vie au sein de l’ordre carmélitain. Il s’éteint de maladie en 1964, dans le silence retrouvé des monastères. À son fidèle soldat, de Gaulle écrira cette émouvante épitaphe :
« L’artisan des grandes tâches, c’est-à-dire des œuvres méritoires. Le compagnon de toutes les entreprises, l’ami de tous les jours qui servit honorablement la France sans faux pas sur sa route, ni tache sur son honneur, ni ombre sur sa fidélité ».
Il était temps qu’un livre mette en lumière le destin ambivalent et atypique de ce croisé de la France Libre à la vie partagée entre la mer et le Ciel.
L’amiral d’Argenlieu : le moine-soldat du gaullisme, par Thomas Vaisset, mars 2017, 597 p., 24, 50 euros.