Que de discussions entre amis qui ressemblent à des dialogues de sourds. Chacun y va de son petit commentaire mais personne ne s’écoute vraiment… Un grand classique : guetter le moindre temps d’arrêt dans une discussion pour pouvoir lancer un nouveau sujet de conversation et ainsi devenir le centre de l’attention. Nombreux sont ceux qui ont juste envie de parler pour parler… plutôt que de prêter réellement attention à ce que les autres disent. C’est encore plus compliqué quand l’on discute avec des personnes que l’on ne connaît pas ou quand le débat est particulièrement animé. Tout le monde parle, personne ne s’écoute vraiment, et pendant ce temps-là le cerveau est distrait par les idées préconçues. Alors, comment être plus attentif aux autres quand ils s’expriment ? Comment être plus ouvert aux différentes idées ? Comment montrer un réel intérêt pour des opinions qui diffèrent des siennes ?
Saint Benoît s’est lui aussi posé ces questions en son temps. C’est d’ailleurs le premier sujet qu’il aborde dans la règle qu’il a rédigée. Il cherchait alors à créer un environnement à la fois encadré, calme et familial pour une poignée de moines indisciplinés qui, même s’ils avaient fait le choix d’entrer dans un monastère, se heurtaient aux difficultés de la vie communautaire.
“Écoute” : premier mot de la règle bénédictine
“Écoute, et incline l’oreille de ton cœur”, écrit saint Benoît. Avant toute chose, avant d’entamer une discussion, avant d’agir ou de parler, le mieux est de commencer par garder le silence et écouter. Écouter ce que les autres ont à dire, demander conseil, recevoir des paroles parfois difficiles à entendre mais néanmoins importantes. Écouter Dieu, laisser les distractions de côté, faire le point intérieurement pour s’assurer que tous les cas de figure ont bien été envisagés, ou laisser passer la nuit pour mûrir une décision importante. Écouter, c’est prendre le temps d’entendre les choses d’une certaine manière, dans une attitude d’ouverture, en s’engageant avec tout son être, “en inclinant l’oreille de son cœur”, comme l’écrit saint Benoît.
Ce conseil a vraiment du sens, car les distractions sont nombreuses… Prenons l’exemple simple d’un courrier à saisir sur un ordinateur. Pendant que l’on tape le texte, il n’est pas rare, sinon systématique, d’écouter de la musique, de regarder régulièrement son téléphone pour voir si l’on a des messages, de changer d’onglet pour consulter ses mails… Même quand on discute avec un ami, la tentation de glisser la main dans sa poche, de prendre son téléphone et d’y jeter un coup d’œil est parfois irrésistible. Les distractions sont donc présentes 24h/24 et 7j/7. Et quand on arrive à y couper court, il est possible que ce que nous entendons ne nous plaise pas. Il peut s’agir, dans une conversation, de points de vue divergents. C’est pourquoi Benoît nous incite à écouter “avec obéissance”. Dans le contexte particulier du monastère, il souligne à quel point il est important d’écouter le “Père”. En d’autres termes, il faut commencer par mettre son égo de côté.
Mettre son égo de coté
Mettre son égo de côté et accorder toute son attention à une personne montre une volonté de ne pas se concentrer sur les gens que l’on respecte déjà mais de garder toujours une attitude d’ouverture. C’est pourquoi saint Benoît enseigne à ses moines que quand une décision importante doit être prise, “l’abbé ne manquera point d’assembler la communauté […] Ce qui nous fait dire qu’il doit assembler tous les Frères, c’est que Dieu inspire souvent le meilleur conseil aux plus jeunes.” Ce n’est pas moi qui le dis, c’est saint Benoît. Et il va même jusqu’à recommander d’écouter l’avis des étrangers. En effet, si un visiteur “trouve quelque chose qui mérite d’être repris, et qu’il le fasse avec charité et humilité tout ensemble, l’abbé l’examinera avec prudence”.
Tous ces conseils sont bons à prendre afin d’écouter les autres avec plus d’attention et mettre de côté ces multiples distractions. Sinon, comment pouvoir discerner dans son cœur et continuer à avancer ? Ils sont aussi bons à prendre plus largement pour notre société, où le débat public, souvent houleux, tend à occuper de plus en plus de place. Ne serait-ce pas une bonne chose d’arrêter de parler à tort et à travers pour réellement s’écouter les uns les autres ? Qui sait le nombre de consensus que l’on pourrait ainsi obtenir, le nombre d’avis que l’on pourrait faire évoluer… Et quand bien même les résultats concrets ne seraient pas immédiats, on aurait au moins l’assurance de s’être véritablement écoutés les uns les autres, peut-être pour la première fois.