Un paysage magnifique, dur aussi, battu par les vents, parfois caché par les nuages, bienvenue à La Hague. Pas celle du nucléaire, non, celle des prairies, des murs de pierres sèches, des bruyères et des toits d’ardoises.C’est à Audervilleque Paul Bedel a déroulé le long fil de sa vie. Au rythme lent de ses pas, insoumis à l’accélération permanente de l’époque. Jusqu’à ce qu’il n’en ait plus la force, Paul Bedel a trait ses vaches et semé son grain comme Saint-Exupéry pilotait son avion — c’était une prière. Une vie à l’image des aphorismes qui jonchent ses livres de témoignage comme autant de pierres milliaires. « On est riche en ne possédant rien de trop, en étant modeste dans le bonheur ».
Plus vrai et plus beau que Giono
Qui est Paul Bedel ? Il suffit de regarder Paul dans sa vie pour l’apprendre. Ce visage souvent fermé, tourné vers l’intérieur ou vers l’infini, alternativement, et qu’un sourire peut d’un coup embraser. Cette casquette de tweed vissée sur la tête, ce bleu de travail qui ne le quitte pas et ce regard à la fois rieur et profond. Paul est têtu. Il n’a pas voulu suivre bêtement l’air du temps. Quand ses semblables se sont mécanisés, ont accepté les règles de l’agro-industrie et ont cédé à l’endettement, Paul est resté impassible. Bien entendu, ce paysan plus vrai et plus beau encore que ceux de Giono était condamné par l’époque, et c’est seulement grâce à son ascétisme qu’il a pu cultiver ses champs et élever ses bêtes à sa façon durant toute sa vie d’homme. Dans sa radicalité, Paul Bedel peinerait donc à faire école mais il transmet pourtant un riche témoignage qu’il serait bien sot d’ignorer.
Cheminer côte à côte avec Dieu
Dans l’un de ses ouvrages, co-écrit avec Catherine Ecole-Boivin, on peut lire cette épigraphe : « J’ai enlevé beaucoup de choses inutiles de ma vie et Dieu s’est approché pour voir ce qui se passait », ces mots de Christian Bobin nous parlent bien de la vie de Paul. Paul Bedel n’est pas du genre prosélyte. Sa foi, il l’a portée dans son cœur toute sa vie, et au bout de ses mains, lui, le sonneur de cloches et le sacristain toujours dévoué. Mais son témoignage a touché au cœur des milliers de personnes, ce dont il s’étonne lui-même : « Juste avant le film, avant ma retraite, je pensais que ma vie n’avait servi à rien, qu’elle n’avait pas de sens. Puis vint le film, Paul dans sa vie. À partir de ce moment, un flot quasi-ininterrompu de personnes est venu me voir chez moi. 11 000 personnes jusqu’à ce jour. Parmi eux, un jeune. On a discuté de tout et de rien ». Avant de poursuivre : « Il m’a ensuite écrit une lettre me disant qu’il était revenu à l’Église grâce à notre rencontre et qu’il allait recevoir le sacrement de confirmation. Je me dis que c’est peut-être pour lui que j’ai sacrifié ma vie pour ce travail. Je suis drôle, non ? ».
Nos vaches sont jolies parce qu’elles mangent des fleurs, de Paul Bedel, éditions Albin Michel. Mai 2017, 18 euros.