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Ce dimanche 17 décembre, le Journal du dimanche a dévoilé les contours de la future loi « immigration – asile », que prépare le gouvernement pour avril 2018 et annoncé à plusieurs reprises par Emmanuel Macron. La loi, qui sera pilotée par le ministère de l’Intérieur, doit ainsi ramener à six mois le délai de traitement des demandes d’asile contre quatorze jusqu’ici. Il est également envisagé de raccourcir les délais de notification pour les demandeurs d’asile et de recours en cas d’expulsion prononcée. Un deuxième volet a trait aux procédures d’éloignement des déboutés du droit d’asile ou, plus généralement, des personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le ministère voudrait expulser davantage et mieux, car d’après lui, sur 91 000 étrangers en situation irrégulière interpellés en 2016, seuls 31 000 se sont vu délivrer une OQTF. Parmi ces derniers, moins de 25 000 ont quitté le territoire français, dont 12 900 de manière contrainte.
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La loi ambitionne aussi d’allonger substantiellement la durée légale de rétention dans les Centres de rétention administrative (CRA), d’augmenter de 400 le nombre de places en CRA – 1 300 aujourd’hui –, tout comme ceux des effectifs de la police de l’air et des frontières (PAF). Et enfin, il est question de mieux contrôler les étrangers bénéficiant de l’hébergement d’urgence. Des annonces chocs qui ont suscité beaucoup de critiques. Parmi elles, Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, et Jean-Michel Hitter, président de la Fédération de l’Entraide Protestante, s’inquiètent dans une lettre à Emmanuel Macron d’« un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes de la République ».
Le devoir de l’accueil
« Il nous a semblé important au nom des valeurs chrétiennes et de la foi, même dans un contexte très laïc, de faire entendre notre voix », nous explique Jean-Michel Hitter, le président de la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP). Le Secours Catholique et la FEP coopèrent « ensemble quotidiennement depuis longtemps » souligne Jean-Michel Hitter. « Quand on ouvre une Bible, il est rappelé à diverses reprises dans les Psaumes et dans les Évangiles que nous ne sommes que des étrangers et des voyageurs sur cette terre », insiste-t-il. Il évoque également l’épitre aux Hébreux qui affirme : « N’oubliez pas l’hospitalité; car, en l’exerçant, quelques-uns ont logé des anges, sans le savoir » (Hébreux 13, 2).
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Selon les deux rédacteurs de la lettre, « jamais, sur un sujet aussi sensible, une telle réforme n’avait été aussi avancée dans son contenu sans qu’à aucun moment le gouvernement ne se soucie d’ouvrir une réelle concertation avec les acteurs de la société civile concernés. » Jean-Michel Hitter nous rappelle que le Secours catholique et la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP) sont tous les jours au contact de précaires et d’immigrés, auprès de qui ils œuvrent. « Pour nous, la précarité n’est pas une fatalité, il y a des mécanismes qui la provoquent et des causes bien précises qu’il faut combattre, ce que refuse de faire le gouvernement », réagit le président de la FEP.
Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers du Secours Catholique, déplore pour sa part « qu’un sujet aussi sensible soit expédié sans aucune consultation publique » et souhaite une discussion entre « les pouvoirs publics, qui ne se résument pas qu’au ministère de l’Intérieur, les associations de terrain, les localités et les partenaires sociaux, car le monde du travail est également concerné. »
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Les deux rédacteurs de la lettre dénoncent la vision simpliste du projet de loi, « opposant de façon binaire les réfugiés aux migrants économiques”. Une démarche qui fait selon eux “totalement l’impasse sur la réalité actuelle de milliers de migrants qui, sans pour autant relever du statut de réfugié, ont connu de tels traumatismes – du fait des causes de leur exil ou des routes périlleuses qu’ils ont dû emprunter durant des années – que leur extrême vulnérabilité rend indispensables des mesures de protection et d’accueil. » Selon Laurent Giovannoni, il y a « des milliers de personnes entre les deux, qui ne sont pas des réfugiés au sens de Genève, mais sont en situation de précarité extrême ». Pour lui, un nouveau texte devrait prendre en compte ces cas, comme ceux des « jeunes majeurs, qui sont soumis à des risques terribles et ne sont pas protégés comme les mineurs. »
Le règlement de Dublin dans le viseur
Les deux présidents remettent en question la « poursuite aveugle de la mise en œuvre du “règlement Dublin” ». Adopté en 2003 et réformé en 2013, celui-ci vise à « déterminer rapidement l’État membre responsable [pour une demande d’asile] » et prévoit le transfert d’un demandeur d’asile vers cet État membre. À titre d’exemple, un réfugié syrien, entré par l’Union européenne par l’Italie, en route vers le Royaume-Uni et qui se trouverait en France, devrait être renvoyé vers la Péninsule, pays qui l’a accueilli en premier et qui est par conséquent responsable de son asile. Pour Jean-Michel Hitter, il s’agit d’une « externalisation de la demande d’asile ». « Pragmatiquement, cela ne peut pas marcher, car les problèmes ne sont que déplacés », nous explique-t-il. De son côté, Laurent Giovannoni estime que ce système contient du bon, car il amorce une « harmonisation de l’ensemble de l’Union européenne » et du très mauvais, « car il accentue la pression sur les pays frontaliers de l’Union et généralise le “chacun pour soi” ». Il prend pour exemple la situation à Calais, où des migrants voulant rejoindre le Royaume-Uni sont retenus, ou la frontière franco-italienne. « Tout le monde, même les hauts fonctionnaires, savent que c’est un système pervers », conclut-il. Pour finir, il juge dangereux le fait que Dublin rende « obligatoire la prise d’emprunte digitale avec le fichier eurodac ».
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Dans leur lettre Véronique Fayet et Jean-Michel Hitter expliquent que ce règlement « provoque, dans sa mise en œuvre, un désordre général laissant des dizaines de milliers de personnes réfugiées sans la moindre protection, sans statut ni accueil, errant de frontières en frontières européennes ». Pour eux, « des milliers de personnes “dublinées” sont suspendues sans droits ni accueil dans l’attente qu’un pays européen daigne accepter d’examiner leur demande d’asile. » D’après eux, « cette réalité kafkaïenne (…) peut être provisoirement résolue si la France décide (…) de suspendre la mise en œuvre des “procédures de réadmission” et d’autoriser ces personnes à entrer dans la procédure d’asile. » Ils plaident alors pour la remise à plat de ce dispositif.
Enfin, ils fustigent le projet « d’introduire dans la législation la notion de “Pays tiers sûrs” ». Ce dispositif prévoit qu’une personne qui arriverait en France sans crainte de persécution dans le pays d’où elle vient doit retourner dans celui-ci. Pour Laurent Giovannoni, cela « renverrait la charge vers les pays du sud de la Méditerranée ou vers l’Afrique, qui sont déjà sous tension ».
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