Christiane Conturie, membre de la communauté apostolique Saint-François Xavier, formatrice pédagogique dans les Centres Madeleine-Daniélou, cherche à définir, dans son livre Heureux les enseignants !(Editions Salvator), ce que serait une « éducation selon l’esprit », mission chère aux centres éducatifs Madeleine-Daniélou. Elle avance l’idée que « la manière dont Dieu s’y prend avec l’homme peut inspirer une spiritualité de l’éducation », et l’illustre en citant l’admirable poème de Charles Péguy : Le Mystère des Saints-Innocents (1912). La métaphore de la leçon de natation nous invite à éduquer son enfant de la même façon que Dieu « éduque » les hommes : un juste mélange de prise de risques, de bienveillance et de liberté.
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Éduquer, c’est accompagner
Dans son poème Le Mystère des Saints-Innocents, Charles Péguy fait parler Dieu à propos de sa relation avec les hommes, en développant la métaphore suggestive d’une leçon de natation :
« Et combien de fois quand ils peinent tant dans leurs épreuves, J’ai envie, je suis tenté de leur mettre la main sous le ventre Pour les soutenir de ma large main, Comme un père qui apprend à nager à son fils Dans le courant de la rivière Et qui est partagé entre deux sentiments. »
Éduquer à l’autonomie, c’est tout d’abord s’adapter à chaque étape de la vie d’un enfant. Il n’est pas question de le mettre dans l’eau s’il ne sait pas nager. Charge aux éducateurs d’accompagner pas à pas un enfant dans ses apprentissages, en le soutenant, en « lui mettant la main sous le ventre », jusqu’à ce qu’il acquiert les bons gestes.
Éduquer, c’est prendre des risques
Le poème se poursuit ainsi :
« Car d’une part s’il le soutient toujours et s’il le soutient trop L’enfant s’y fiera et il n’apprendra jamais à nager. Mais aussi s’il ne le soutient pas juste au bon moment Cet enfant boira un mauvais coup. Telle est la difficulté, elle est grande. »
On ne peut soutenir indéfiniment son enfant. Il est appelé à voler de ses propres ailes. Alors oui, éduquer, c’est prendre des risques. En le lâchant dans la nature, l’enfant peut prendre des coups ou boire la tasse. C’est l’apprentissage de la vie. C’est ce qui le fortifie aussi. Cependant, l’éducateur se doit d’être présent « juste au bon moment » pour éviter qu’il ne se noie. Le rôle du parent est donc de saisir ce moment subtil, délicat, où il lâche prise, après avoir donné à son enfant les capacités de nager seul dans la rivière.
Éduquer, c’est engager l’enfant dans le réel de l’existence
Dans le poème, il s’agit bien d’une rivière, avec ses remous, ses courants, ses poissons, ses cailloux, et non d’une baignoire lisse ou d’un bassin chloré. Éduquer, c’est donc apprendre à son enfant à se confronter à la réalité et non pas le laisser vivre dans un cocon surprotégé. C’est lui rendre service que de le confronter au réel, afin qu’il devienne un adulte épanoui, responsable et adapté à la vie en société.
Éduquer, c’est se confronter à la liberté de l’enfant
Le poème continue, la parole est toujours dans la bouche de Dieu :
« Parce que moi-même je suis libre, dit Dieu, et que j’ai créé l’homme à mon image et à ma ressemblance. Tel est le mystère, tel est le secret, tel est le prix De toute liberté. »
Selon Péguy, Dieu se livre à la liberté de l’homme, au risque que l’homme libre le rejette. Et pour Christiane Conturie, « le respect de la liberté d’autrui fonde l’éthique d’une véritable autorité. » À aucun moment dans la Bible, Dieu ne soumet l’homme. Lorsqu’Il demande d’obéir à sa Parole, ce n’est pas pour le soumettre mais pour l’envoyer en mission. L’homme est libre de refuser. Souvent, l’homme proteste de son indignité ou de son impuissance. Alors Dieu l’assure de sa présence indéfectible.
De la même manière, parents et éducateurs ne sont pas tout-puissants vis-à-vis de leurs enfants. Ils peuvent être confrontés à ce qu’ils considèrent comme des échecs, par exemple de ne pas réussir à transmettre tel savoir ou telles convictions. C’est en réalité être confronté à la liberté de l’autre. Il y a une dimension pascale dans l’autorité éducative : le Christ a été rejeté jusqu’à être cloué sur la croix, nous, parents, ou tout du moins nos valeurs, risquons aussi d’être rejetés par nos enfants. « C’est le risque du don de la liberté », souligne Christiane Conturie. Elle précise que nous sommes appelés à « aimer assez pour ne rien retenir pour soi, ne pas chercher d’abord à se faire aimer, mais aider l’autre à grandir et lui dire : Va, vis et deviens ! (1)» .
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(1) Titre du film de Radu Mihaileanu (2005).