La foi est une chose bien personnelle. Propre à chacun, elle se découvre, mûrit, grandit et, parfois, se perd. Les présidents l’ont-ils ou la vivent-ils d’une manière différente ? Dans son livre Les Présidents face à Dieu, Marc Tronchot, ancien directeur de la rédaction d’Europe 1, a mené une enquête minutieuse sur les présidents de la Ve République, dans leur expression publique comme dans l’intimité de leur foi. S’ils ont occupé la même fonction, ces hommes ont chacun adopté une approche très différente du fait religieux.
La foi ardente et intime du général de Gaulle
« Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en ma patrie. Je ne suis l’homme de personne », affirme le général de Gaulle en 1941. Connu pour son sens du service et son sens politique exceptionnels, l’homme du 18 juin était également animé d’une foi à toute épreuve. « Ma mère portait à la patrie une passion intransigeante à l’égal de sa piété religieuse », a-t-il écrit dans ses Mémoires de guerre. Il en va de même pour lui. Né en 1890 dans une famille catholique fervente et engagée, Charles de Gaulle a été élevé chez les jésuites et a vécu sa foi, héritée de ses parents, de façon intime.
Lire aussi :
La foi ardente du général Charles de Gaulle
Devenu président, il ne conçoit pas qu’elle rentre en contradiction avec les fonctions de chef d’un État laïc. Il poursuit son devoir de chrétien et va régulièrement à la messe mais lorsqu’il y assiste en tant que chef de l’État, il se refuse à communier car il incarne alors l’État dans l’Église. Locataire de l’Élysée, il y fait installer une chapelle donnant sur la cour d’honneur. D’une quinzaine de mètres carrés, la pièce a été aménagée à ses frais, avec un autel contre le mur, cinq chaises, cinq prie-Dieu. Son neveu venait le dimanche, à 11h30, célébrer la messe à l’Elysée lorsque son oncle n’était pas en visite officielle ou à la Boisserie.
L’esthétisme de Georges Pompidou
Chez cet Auvergnat féru d’art au « goût prononcé pour le sacré », le lien à la transcendance s’exprime dans une relation à la beauté. Fils d’instituteurs, le jeune Georges reçoit une éducation religieuse, bien que son père soit encarté à la SFIO. Sa relation au Très-Haut, cet esthète l’expérimente à travers les chef-d’œuvres de l’art profane et sacré. L’art de l’Antiquité « lui a donné le sens du divin », écrit Marc Tronchot, qui parle d’une « pulsion esthético-mystique pour la modernité et la culture ». La beauté ne nous dit-elle quelque chose de l’immortalité, voire de l’éternité ? Pour lui, elle « tient du miracle ».
Lire aussi :
Les présidents de la République peuvent-ils assister à la messe ?
Cet homme « sensible aux mystères de la vie et de la mort » a un grand respect pour la tradition ; son fils Alain explique qu’il ne l’a jamais vu prier. Mais qu’il n’a jamais non plus abandonné la pratique religieuse. Mécène, il participe sur ses propres fonds aux travaux de rénovation de plusieurs églises. Amoureux des mots et de la poésie, il apprécie les litanies monacales qui, selon lui, permettent à l’âme de s’élever. Pétri de culture classique, fasciné par l’art moderne, ce boulimique de culture lie amitié avec des hommes d’Église de son temps, tels que le père Couturier ou Jean-Marie Lustiger.
Son fils explique que chez cet érudit à la curiosité inextinguible, tradition et modernité ne se contentent pas de coexister : elles s’interpénètrent. Au moment de la libération des mœurs, il s’inquiète d’une société d’abondance qui « ne satisfait pas les aspirations de l’homme et ne donne pas un sens à sa vie » (Mémoires). Dans ses dernières volontés, il demande une messe en latin accompagnée de chants grégoriens. Pour Georges Pompidou, très discret sur son dialogue avec Dieu, l’art est un chemin vers les sphères célestes.
Valéry Giscard d’Estaing, une éducation religieuse à l’épreuve… des preuves
Issu de la très haute bourgeoisie, Valéry Giscard d’Estaing a reçu une éducation religieuse classique, sans aucun mysticisme, dans des établissements renommés comme le lycée Janson de Sailly, dans le XVIe arrondissement parisien. Polytechnique, l’ENA, l’inspection des Finances… « Depuis longtemps déjà, les comptes de la France et le service de l’État l’intéressent davantage que le denier du culte et le service de la messe », écrit ainsi Marc Tronchot. Valéry Giscard d’Estaing est donc surtout un esprit rationnel, disciple de saint Thomas à ses heures. « Bizarre pour quelqu’un qui est tout à la fois de conviction chrétienne et de culture scientifique… mais c’est tout simplement parce que je crois qu’il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas et que nous découvrons lentement. […] Il y a des cycles que nous ne connaissons pas, que nous identifions mal et qui peuvent avoir de l’influence sur nous », souligne l’ancien président dans son livre intitulé Entretien.
Lire aussi :
Valéry Giscard d’Estaing reçu en audience privée par le pape François
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing aura été marqué par la loi Veil, promulguée en janvier 1975, qui dépénalise le recours des femmes à l’avortement. Cette loi a marqué durablement les relations du président avec le pape Paul VI d’abord puis Jean Paul II. À l’issue de sa première visite en France en 1980, ce dernier posera la question : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? ». Un appel à l’introspection qui s’adresse tout autant aux évêques de France qu’au président de la République. S’il a peut-être raisonné en lui il ne l’empêchera pas, en 1981, lors de son départ du 55, rue du Faubourg Saint-Honoré, de confier la France à la providence. Avec un p minuscule.
François Mitterrand, l’homme mystique
Celui qui commence son septennat par une visite au Panthéon, le “Temple de la République”, termine sa vie quelques années avec une image de saint François sur sa table de chevet. Dualité de cet être habité par le doute, « en permanence en quête de connaissances et en recherche de certitudes », selon Marc Tronchot. Né dans une famille bourgeoise de province, il grandit dans une tradition catholique et conservatrice.
Lire aussi :
Le jour où François Mitterrand détourna les reliques de Sainte Thérèse…
Les événements de la seconde guerre mondiale émoussent sa foi et ébranlent ses croyances. Cet homme à l’intelligence brillante s’intéresse de plus en plus à la politique et s’éloigne peu à peu de la religion. Cependant, sur les affiches électorales de 1981, une église de campagne se dessine en arrière-plan. D’aucuns diront que c’est de la pure communication, d’autres y voient la volonté de n’exclure personne de la part d’un homme pour lequel certains « liens ne devaient pas être rompus ». Il a « une sensibilité esthétique pour certains grands lieux de spiritualité ». On sent chez lui quelque chose de l’ordre du mysticisme. Marie de Hennezel, proche de lui pendant dix ans, déclare que « c’était un priant. Il avait une sorte d’élan du cœur vers l’au-delà, vers l’invisible […]. Il s’intériorisait ».
Sa relation avec l’invisible est intuitive. Il voue une grande estime au cardinal Lustiger, qu’il rencontre régulièrement, y compris en 1984 au moment du débat sur l’école libre. Le 31 décembre 1994, il affirme haut et fort aux Français qu’il croit « aux forces de l’esprit ». Un an plus tard, il fait venir les reliques de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au bas de son immeuble. « Avec la tête, je suis agnostique, je ne sais pas, […] mais avec le cœur, j’adhère, je sens qu’il y a des choses qui nous dépassent et avec le cœur, on pourrait dire que je suis croyant », dira-t-il.
Jacques Chirac, entre croyances et spiritualité
Sur le plan politique, Jacques Chirac et François Hollande s’opposent. Mais sur le plan religieux, les deux hommes se rejoignent : ils aiment garder leurs distances avec la religion. Pour le journaliste Marc Tronchot, Jacques Chirac est « humaniste », plus que religieux. « Il préfère l’homme à son divin créateur ! », précise-t-il dans son livre. En témoigne le musée du Quai Branly, dédié aux arts premiers, et dont il a été la cheville ouvrière. Philippe Bas, catholique pratiquant, qui fut son secrétaire à la présidence de la république en 2002, le qualifie de la sorte : « Grand républicain partageant avec la gauche les valeurs fondatrices de l’humanisme français, catholique modéré, constant dans ses convictions, épris de tolérance, très libre vis-à-vis de l’épiscopat, gallican plutôt qu’ultramontain, attaché à la laïcité, curieux et respectueux des autres religions ».
Lire aussi :
Macron au Vatican : “il se veut au-dessus des confessions religieuses”
Jacques Chirac fera, entre son départ de l’hôtel de Matignon et son entrée à l’hôtel de ville de la capitale, un détour par… l’abbaye de Solesmes en octobre 1976. Certains diront qu’il y a fait plusieurs retraites, d’autres qu’il s’agissait d’un déplacement calculé. Le plus probable se trouve certainement dans ces mots de son ami Denis Tillinac, interrogé par Marc Tronchot : « Ce n’est pas un homme sans Dieu mais ce n’est pas un homme porté par le monothéisme stricto sensu. Je ne l’ai jamais senti très intéressé par la spiritualité juive, chrétienne ou musulmane. Cela ne veut pas dire cependant qu’il y est indifférent… ».
Nicolas Sarkozy, le croyant dissipé
Décrit par Marc Tronchot comme un « mélange d’opportunisme impatient, et de réactivité exigeante », orgueilleux, démesuré et affectif, Nicolas Sarkozy grandit dans un univers qui laisse peu de place au spirituel. Son grand-père maternel est juif séfarade mais ne pratique pas. Lui-même a grandi dans la religion catholique, sans jamais être pour autant un pilier de sacristie. Il semble chrétien davantage par tradition et culture que par conviction personnelle. Cependant, au cours de sa vie politique, la religion n’est pas laissée de côté. Regain de spiritualité ? Manipulation politique ? On est partagé entre sa bonne foi et son côté opportuniste qui fait songer, selon Marc Tronchot, à un « golden boy matérialiste, sans foi ni loi ».
Lire aussi :
[QUIZ] Ces présidents français reçus par le Pape
Et pourtant, cet homme ne serait-il pas davantage que cela ? Le père Philippe Verdin, dominicain, un proche de Nicolas Sarkozy, confie que ce dernier est fasciné par les hommes qui ont donné toute leur vie à Dieu, comme les moines de Tibhirine, parce qu’il mesure bien « la dimension différente, cette dimension transcendante, cette relation privilégiée avec Dieu ». Il est capable de revenir spécialement des États-Unis pour la messe d’enterrement du cardinal Lustiger, de faire entrer un religieux à l’Élysée, d’admirer des hommes d’Église actifs et courageux tels que Guy Gilbert, de faire un hommage vibrant au christianisme lors du discours du Latran en 2007… Mais aussi bien de s’affranchir des règles de bienséance les plus élémentaires en présence du pape lorsqu’il sort son téléphone portable en sa présence ! Chez ce « personnage vibrionnant », écrit l’auteur, la religion n’est jamais très loin du politique. Pour Philippe Verdin, “Nicolas Sarkozy est un homme de foi. […] Persuadé que l’Esprit saint est à l’œuvre en ce monde. Et à l’œuvre en lui”.
François Hollande le non-croyant
« Jamais sans doute la France n’aura eu à sa tête un président aussi peu concerné officiellement par le salut de son âme », écrit Marc Tronchot. Né dans une famille croyante, François Hollande est passé chez les lassaliens, frères des écoles chrétiennes, disciples de saint Jean-Baptiste. Mais « un beau jour, au milieu de ses études d’après ce que j’ai cru comprendre, il rompt avec la religion. Qui ne lui inspirera dès lors que prudence et réserve. Sans verser pour autant dans quelque anticléricalisme que ce soit », confie au journaliste le socialiste Jean Glavany. « Je suis arrivé à un point où ce qui s’impose, c’est plutôt la conviction que Dieu n’existe pas, que le contraire » disait-il ainsi en 2002, dans un ouvrage du journaliste Jean-Yves Boulic, intitulé Ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. François Hollande et la religion ? Ni déception, ni refus de principe, ni opposition.
Lire aussi :
François Hollande au Vatican : l’espoir d’une conversion
Si la pratique religieuse de François Hollande n’existe pas, il n’en demeure pas moins très intéressé par le regard de l’Église sur les questions sociales. Il s’y intéresse depuis qu’il a compris l’engagement de sa mère et son catholicisme social. « S’il ne se plonge pas davantage dans la lecture des Évangiles ou de tout autre livre sacré, il sait en revanche ce qu’une encyclique papale peut avoir d’intéressant quand y sont abordées des questions touchant à la misère, au travail, à l’injustice, aux droits. Il y a dans la relation qu’entretient François Hollande avec la religion un côté fondamentalement pratique. Utile ».