On pouvait croire avoir atteint un sommet avec la pétition lancée par un prêtre, exigeant la démission du cardinal Barbarin qu’aucun tribunal civil n’a jusqu’à présent trouvé coupable de quoi que ce soit. Mais les records sont faits pour être battus. Voici qu’est maintenant visé celui dont justement on se réclamait pour demander la tête du primat des Gaules : un ancien nonce dénonce – au sens où la raison qui se raidit en s’admirant se met à déraisonner – le pape lui-même (ainsi qu’une bonne fournée de hauts dignitaires romains).
Le tribunal de l’opinion publique
Le motif reste le même : les actuels archevêque de Lyon et souverain pontife sont accusés de n’avoir pas publiquement stigmatisé ni sanctionné assez promptement et vigoureusement des crimes assurément révoltants qui avaient eu lieu bien avant qu’eux-mêmes entrent en fonction et puissent, en tant que supérieurs hiérarchiques, en assumer personnellement la responsabilité. Le vrai problème est de déterminer non pas quand ils ont été informés ni si cette information était suffisante pour qu’ils punissent sans tarder ni se soucier de la justice des hommes, mais s’ils ont permis aux prédateurs de continuer à sévir et s’ils ont fait obstacle aux enquêtes judiciaires. Pour autant que l’on sache, la réponse est non dans le cas de l’un comme de l’autre.
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Le degré de plus atteint avec la mise en cause du pape a au moins le mérite de dévoiler deux choses. D’abord que la cible est la crédibilité de l’Église, au-delà du cardinal Barbarin et du pape François. Quand bien même ils démissionneraient, ils auront en effet des successeurs. Mais le but implicite est que ceux-ci – et c’est là que transparaît la seconde visée de ces accusations – soient affaiblis et restent soumis à un tribunal qui n’est pas l’autorité hiérarchique reçue d’en-haut dans l’Église (puisqu’on déclare qu’elle a failli), ni Dieu lui-même (puisqu’on se met allègrement à sa place), mais l’opinion telle que la façonnent les médias à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, où la qualité de n’importe quelle affirmation se mesure uniquement au nombre d’échos qui lui sont donnés. Et bien sûr, plus c’est énorme et inattendu, plus c’est relayé et plus cela devient une réalité inesquivable.
En qui avons-nous foi ?
Indépendamment de la justice à rendre aux victimes pour autant que ce soit possible et de l’aide à leur apporter, la seule question intéressante est de savoir à combien de gens ces sordides affaires feront perdre la foi. Mais est-ce donc en notre curé et ses vicaires, notre évêque et le pape que nous avons foi ? Ou bien est-ce en Jésus-Christ qui a été trahi par un des siens et que les autres ont laissé tomber ? Je parierai que ces lamentables histoires ne feront perdre la foi qu’à ceux qui ne l’ont jamais eue ou confondent le Dieu dont ils oublient qu’il a été crucifié et l’Eglise qu’ils se plaisent à imaginer sans pécheurs, donc sans eux qui jugent impossible ou inutile d’être pardonnés.
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Cela ne veut bien entendu pas dire que nous n’avons pas besoin de prêtres. Mais nous croyons à leur mission dans la mesure où nous sommes conscients que ce n’est pas eux qui se la sont données ni nous qui avons le pouvoir de la leur conférer. On n’est jamais tenté qu’à proportion des dons à transmettre. C’est pourquoi les rares prêtres qui trahissent la confiance placée en eux tombent de si près de Dieu, donc de si haut, dans une chute qui, dans certains cas et en particulier quand il y a des victimes, fait grand bruit et ne peut qu’impressionner. Mais les autres peuvent être sûrs que les grâces ne leur manqueront pas pour résister, quelle que soit l’hostilité qu’ils rencontrent, aux tentations du découragement et de la capitulation, bien plus subtiles et non moins fatales que celles de la chair.