La canonisation de Paul VI est une occasion de revenir sur ce pape mal connu et peut-être mal aimé aussi. Coincé entre les figures de Jean XXIII, l’initiateur du concile Vatican II, et de Jean-Paul II, eux aussi canonisés, Paul VI offre un visage incertain à nos mémoires. Dans l’écart entre les attentes soulevées par le concile et les résultats immédiats observés, dans cette perception que de graves phénomènes de sécularisation étaient la conséquence du concile, s’est jouée le brouillage de la figure de Paul VI. La mémoire collective a gardé l’image d’un homme inquiet — sa dernière manifestation publique lors de funérailles de son ami le leader démocrate-chrétien Aldo Moro, assassiné par les terroristes des Brigades Rouges au terme de deux mois d’enlèvement manifestera au monde entier cette angoisse que le pape exprime au bord des larmes — et elle a oublié ses gestes révolutionnaires et purificateurs inspirés par une spiritualité profonde. L’Église vit encore des grâces nées de ces démarches.
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Des gestes prophétiques
D’abord, son pontificat nous renvoie désormais loin : il a été élu le 21 juin 1963, il y 55 ans. Il est le dernier pape né au XIXe siècle (1897). Ses gestes ont été prophétiques : les voyages pastoraux dont un pèlerinage en Terre Sainte en janvier 1964 au cours duquel il rencontre le patriarche orthodoxe Athénagoras (il lèvera les excommunications consécutives au schisme de 1054), son discours à l’ONU en octobre 1965 où il affirme que “l’Église est experte en humanité”, inaugurant par là une parole qui se propose d’abord comme une pastorale d’humanité avant d’être une catéchèse.
Trop souvent, on ne veut retenir de son pontificat que les souvenirs douloureux : la réception compliquée d’HumanaeVitae en 1968, la crise lefebvriste, les remises en question de l’Église et la crise du sacerdoce dans les sociétés occidentales. Du coup, on délaisse ce pontificat délicat pour préférer regarder celui de Jean-Paul II que d’aucuns ont présenté comme un pontificat de “reconquête catholique “.
Depuis la bienveillance
L’historien procède différemment. L’analyse s’attache à la longue durée des phénomènes et aux continuités qui lient ensemble les pontificats. Paul VI s’est d’emblée placé dans la dynamique de Vatican II, celle d’un dialogue avec le monde moderne depuis la bienveillance. “Au-delà des frontières du christianisme, il y a un autre dialogue dans lequel l’Église est engagée aujourd’hui : le dialogue avec le monde moderne […]. Il aspire à la justice, à un progrès qui ne soit pas seulement technique, mais humain […]. Ces voix profondes du monde, nous les écouterons.”
Le choix du nom de Paul, l’apôtre des Païens, est loin d’être anodin. C’est le programme du pontificat du cardinal Montini : aller à la rencontre du monde, lui dire qu’on l’aime et lui annoncer le Christ, source de cet amour. Dans sa première encyclique, Ecclesiam Suam (1964), il écrit : “Personne n’est étranger au cœur de l’Église. Personne n’est indifférent pour son ministère. Pour elle, personne n’est un ennemi, à moins de vouloir l’être de son côté. Ce n’est pas en vain qu’elle se dit catholique, ce n’est pas en vain qu’elle est chargée de promouvoir dans le monde l’unité, l’amour et la paix.”
Replacer l’Église au centre
On ne mesure pas assez la rupture que signifiait cette ambition. Depuis les soubresauts du XIXe siècle, l’Église était sur la réserve. Le Syllabus — ce catalogue des idées modernes qualifiées de fausses — de 1864, le concile Vatican I avaient construit l’échafaudage théorique de cette marginalisation des catholiques vis-à-vis du monde. Vatican II et Paul VI allaient, dans le respect de la Tradition, c’est-à-dire dans l’écoute de la Parole de Dieu, modifier le rapport de l’Église au monde. On essayait tout simplement de la replacer au centre de ce monde parce que le monde en avait besoin. Ce sera la magnifique exhortation apostolique Evangelii nuntiandi qui clôt l’année sainte 1975 et qui redit la vigueur de l’Évangile.
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Paul VI est désormais saint Paul VI. Cet homme qu’on compara à Pie XII tant sa carrière l’avait programmé pour être pape, fut aussi confronté comme Benoît XV, le pape de la Grande Guerre, à un monde livré à la guerre (guerres du Vietnam, du Biafra, de Bengladesh, au Moyen-Orient, violence endémique en Amérique latine, terrorisme nihiliste en Europe…). Paul VI est mort le 6 août 1978, le jour de fête liturgique de la Transfiguration, cet événement inouï, donné seulement à quelques apôtres de vivre, et qui permit d’apercevoir le règne glorieux du Christ. Saint Paul VI fut appelé à cette vision béatifique. Qu’il veille désormais, grâce à nos prières d’intercession, sur cette Église qui doit témoigner dans le monde, même quand il la rejette.