Entre le 11 novembre 1918 et le 11 novembre 2018, cent ans d’histoire, cent ans de mémoire. Pour préparer et mettre en œuvre le programme commémoratif du centenaire de la Première Guerre mondiale, le gouvernement a créée, en 2012, la Mission du centenaire. Ancien chef d’État-Major de l’armée de Terre, le général Elrick Irastorza en est le président du conseil d’administration. Voix posée, langage précis et ton clair, l’officier général répond sans détour aux questions posées. On reconnait aisément le fantassin parachutiste qui a participé à de nombreuses opérations extérieures.
Le 11 novembre 1918 est signé, à Rethondes, l’armistice qui met fin à la Première Guerre mondiale. Deux ans plus tard, le 11 novembre 1920, la dépouille du soldat inconnu est inhumée sous l’Arc de Triomphe. Une loi du 24 octobre 1922 fait du 11 novembre un jour férié consacré à la commémoration de la victoire et de la Paix. Les temps passe et chaque année, à cette même date, la France pense à ses soldats morts pour elle et célèbre la victoire, celle de toute la Nation. Mais alors que le dernier Poilu, Lazare Ponticelli, disparaît le 12 mars 2008, comment faire de cette date historique que l’on enseigne à l’école un souvenir vivant pour chacun, malgré la disparition des derniers témoins directs ? Passionné par l’histoire de la Grande Guerre, le général Elrick Irastorza revient pour Aleteia sur le sens de ces commémorations.
Aleteia : Que signifie pour vous “commémorer” ?
Général Irastorza : commémorer, c’est se souvenir ensemble, c’est faire mémoire ensemble. Mais se souvenir pour quoi faire ? C’est ce qu’a écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre : « Paris ce soir resplendit de tous ses feux et tire les leçons des mauvais jours ». C’est à cela que sert de commémorer.
Après quatre ans d’activité, la mission du Centenaire va s’achever avec la célébration du 11 novembre. Avez-vous le sentiment du devoir accompli ?
Personnellement, oui. Les agendas nationaux et internationaux n’étant pas les mêmes, la mission du Centenaire a été longue. Elle a été triple : contribuer à la conception et à la mise en œuvre du programme commémoratif national, encourager et accompagner le centenaire des Français, les informer sur la Grande Guerre. Sur ces trois points, la mission s’est passée comme prévue.
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Quels principes vous étiez-vous fixés ?
Le premier, essentiel, était de rendre aux soldats français et à ceux venus se battre et mourir chez nous l’hommage qui leur était dû. Nous avons voulu que ce soit les Français qui le rendent, qui partagent avec tous ceux qui se sont battus la mémoire de ces sacrifices. Il n’y aurait eu rien de pire que nos alliés viennent se souvenir des leurs dans l’indifférence des Français. Ensuite, nous voulions rappeler qu’en 2018, dans une Europe apaisée mais non exempte de tensions, les acquis de la construction européenne qui a suivi les deux conflits mondiaux nous ont mis à l’abri de soubresauts plus graves dans un monde guère plus sûr qu’avant et souligner ainsi les valeurs de paix et d’amitié entre les peuples.
Pour les jeunes générations cela peut paraître loin et complexe…
Justement, notre troisième principe a été d’inscrire ces commémorations dans une démarche pédagogique globale cohérente afin de faire comprendre aux jeunes générations comment on a pu en arriver à un tel dérèglement mondial. Comment a-t-on pu supporter une chose pareille (1,4 million de morts, 4 millions de blessés) ? Comment on a pu l’infliger à l’autre ? Et comment a-t-on pu remettre ça une génération plus tard ? Pour y arriver nous avons essayé de promouvoir des expressions culturelles et artistiques nées au lendemain de la Première Guerre mondiale et largement développées aujourd’hui. C’est le “commémorer autrement” : oui il faut des prises d’armes, des cérémonies mais il faut aussi tout autre chose et évoluer vers une dimension plus culturelle et profonde de la Grande Guerre. Une cérémonie, si elle est essentielle, est fugace et n’attire pas les foules. Il faut partir sur autre chose que ce soient des films, des pièces de théâtre, des visites de site… C’est aussi les chemins de mémoire, les jardins du souvenir, les livres, les bandes-dessinées. Au total nous avons labellisé plus de 6.000 projets. Un autre point, adressé à tous, a été de rappeler que le fait de passer d’une armée de conscription à une armée de professionnels n’en rend pas moins nécessaire la défense de la nation pas tous et la reconnaissance due aux soldats et à ceux qui les commandent.
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Géographiquement, comment avez-vous procédé ?
Nous avons décidé de contribuer à l’attractivité mémorielle des territoires dont les cicatrices témoignent encore de la dureté des combats. Pourquoi toutes ces offensives ? Parce que nous étions envahis, les Allemands ont occupé 10 départements pendant 52 mois. Ils nous les ont démolis complètement. Ces territoires qui ont souffert continuent à souffrir : on ne se relève pas aussi facilement d’une telle démolition de l’outil industriel. Rendez-vous compte : au lendemain de la guerre, 3 millions d’hectares étaient impropres à la culture. Mettre en place des projets au sein de chacun de ces territoires était une manière de dire « on ne vous oublie pas ». Ce qu’on appelle le tourisme de mémoire n’est pas une aberration, c’est une nécessité. Ça interpelle, en particulier les jeunes.
Il y a 100 ans, l’armistice marquant la fin de la Première Guerre mondiale était signé. Comment faire de cette date historique que l’on enseigne à l’école un souvenir vivant pour chacun ?
C’est une démarche d’éducation qui incombe à la famille et à l’éducation nationale. Nous, ne pouvons qu’aider. Les jeunes générations doivent apprendre et intégrer ce qu’on leur enseigne. Après, ce souvenir doit être incarné au quotidien. Ce souvenir c’est aller voter par exemple. Je dis souvent aux jeunes que lorsqu’ils travailleront, qu’ils auront des responsabilités et qu’ils devront prendre des décisions : « Ayez cela en tête ! On ne peut agir et continuer à avancer sans but ni principe en ignorant complètement d’où on vient. Et la France ne vient pas de nulle part, elle s’est construite à coup d’épée, dans le sang et la sueur ! ».
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Quel parallèle faites-vous entre le soldat de 2018 et le poilu de 1918 ?
Ils ont le même courage. Pour l’avoir vécu de près des dizaines de fois, lorsqu’ils se font tuer au service de la France, la peine est toujours aussi grande. Ils ne sont pas différents. Passer d’une armée de conscription à une armée de métier ne rend pas la mort du soldat moins susceptible de compassion. Le soldat est un citoyen qui a accepté de défendre son pays pour l’intérêt supérieur de la nation par les armes. D’ailleurs je constate que lorsque des soldats sont tués en opération, la réaction des Français est toujours aussi forte et c’est une bonne chose. Certes les combats d’aujourd’hui sont globalement moins apocalyptiques mais quand on en revient à l’individu, au soldat, à sa veillée d’armes à lui, sa famille, ses attaches… Les choses sont comme en 14.
On a parfois qualifié la Grande Guerre, à tort, de « grande boucherie ». Ça a surtout été la victoire de la nation toute entière, avec la mobilisation de chacun, des soldats comme ceux restés à l’arrière. Au regard de ces quatre dernières années, que pensez-vous du lien « armée-nation » ?
Comme je le disais je pense que l’émotion est toujours aussi forte chez les Français quand un de nos soldats se fait tuer mais les gens sont moins concernés, évidemment. Il faut rappeler ce lien armée nation, inlassablement.
Clemenceau disait des poilus « qu’ils ont des droits sur nous ». Maintenant que tous les survivants du conflit ont disparus, qu’est-ce que cette phrase vous inspire ?
Ceux qui se battent pour notre liberté, pour la France, ici et aux quatre coins du globe, ont des droits sur nous. Ils nous obligent. Ces commémorations nous rassemblent et nous rappellent le souvenir toujours vivace de “Ceux de Verdun” et de l’image d’une France forte et courageuse qu’ils nous ont laissé en héritage. Soyons-en dignes.
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