C’est une description précise et honnête de cette maladie que beaucoup ne considèrent toujours pas comme une vraie maladie psychique. Perfectionniste, ayant la vision que le père de famille doit être le roc sur lequel tout le monde peut s’appuyer, Xavier Vamparys a vécu ce jour où tout d’un coup tout s’effondre. Il n’avait pas prêté attention aux signes avant-coureurs : le manque d’appétit, une fatigue omniprésente, des insomnies qui virent au cauchemar. Au travail où tout devient un obstacle insurmontable, dans la vie quotidienne où chaque détail représente un fardeau insupportable. Ensuite, les pics d’angoisse qui paralysent, le découragement, la dissimulation auprès de l’entourage et enfin le sentiment d’abandon accompagné de culpabilité, de honte et de peur. Enfin l’hospitalisation en clinique psychiatrique, l’humiliation, la colère, la tristesse et la solitude. Et c’est au moment où il pense toucher le fond que Xavier Vamparys se rend compte qu’il n’est pas mort, malgré cette chute vertigineuse. Par petites touches mais parfois avec de belles étincelles, la guérison s’opère lentement et finit par le transformer.
Votre livre “Se consumer. Récit d’un burn out” est un voyage à travers cette terrible maladie qu’est le burn-out. Malgré la descente que vous décrivez, il y a une certaine sérénité et la paix qui s’en dégagent. Pourquoi ?
Xavier Vamparys : De la façon la plus honnête possible, j’ai souhaité apporter un témoignage sur le burn-out et la dépression, qui peut être engendrée ou réveillée par le burn-out. J’ai surtout voulu montrer que le burn-out est une maladie et non un simple état d’âme. On a encore du mal à le reconnaître comme une maladie. Mais une fois diagnostiqué et accepté, on peut y faire face avec de vrais remèdes.
Au début de la maladie, j’étais dans un déni total. À de nombreuses reprises, j’ai refusé de prendre des arrêts de travail. Dans mon esprit, tout cela n’arrivait qu’aux autres. Puis une fois le diagnostic posé, j’ai vécu la maladie comme une épreuve honteuse.
J’ai aussi écrit ce livre pour moi. Je voulais donner un sens à ma maladie. Au début, j’étais allé dans une mauvaise direction. Je me disais que si tout cela m’arrivait, c’était parce que je m’étais égaré en chemin à un moment de ma vie. J’étais donc puni. Mais ce constat constituait une impasse. En fait, il n’y a pas de sens à une telle épreuve. Pas plus qu’à celle que vivent des parents confrontés à la maladie ou la perte d’un enfant en bas-âge… Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas essayer de donner nous-mêmes un sens à l’épreuve, en témoignant par exemple ou en aidant d’autres personnes confrontées aux mêmes difficultés.
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En écrivant ce livre, j’ai tenté d’identifier les fruits retirés de cette terrible expérience. C’est un voyage dans les méandres de nos fragilités, qui permettent finalement d’abandonner nos certitudes et qui nous révèlent à nous-mêmes.
Le burn-out vous a plongé dans un précipice à la fois psychologique et spirituel. Vous parlez d’une expérience de l’abandon…
Vivre un burn-out, c’est faire l’expérience du sentiment d’abandon. On se sent abandonné partout et par tous. Tout s’effondre brutalement : le travail, le couple, les enfants, les activités associatives… Cet effondrement est particulièrement violent dans les domaines dans lesquels le malade s’est fortement « sur-investi », année après année. Le travail par exemple, souvent envisagé par le malade comme un espace dans lequel on doit tout donner, sans limites. C’est ce qui m’est arrivé. Au début de la maladie, j’étais dans un déni total. À de nombreuses reprises, j’ai refusé de prendre des arrêts de travail. Dans mon esprit, tout cela n’arrivait qu’aux autres. Je me suis renfermé sur moi-même. Puis une fois le diagnostic posé, j’ai vécu la maladie comme une épreuve honteuse. À cette honte s’est ajoutée l’incompréhension de mon entourage. S’agissant d’une maladie psychique, le burn-out est très mal compris, même par ceux qui sont très proches. Leur réaction naturelle était de me dire : “Bouge-toi”, “Ne reste pas dans ton lit”, “Tout cela n’est qu’une affaire de volonté”, “Tu vas y arriver.” En fait, ces paroles étaient inaudibles, insupportables. Toute sollicitation extérieure était vécue comme une insoutenable injonction.
Vous dites avoir vécu la nuit de la foi…
Lorsque tout s’est effondré, j’ai fait la douloureuse expérience de l’absence de Dieu. Je crois que de nombreux malades la vivent. Simone Weil décrit très bien cette absence dans ses lignes : “le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu’un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d’horreur submerge toute l’âme. Pendant cette absence il n’y a rien à aimer”. C’est cela l’absence de Dieu. C’est cet abandon que certains appellent “la nuit de la foi”. J’étais dans une brume qui m’envahissait tout entier, en s’emparant à la fois de mon esprit et de mon corps. Dans un tel vide, il m’était impossible de prier. À ce silence de Dieu, j’ai répondu par mon propre silence. Puis, petit à petit, j’ai remis en question un certain nombre de certitudes, comme cette logique de la rétribution qui suggère que tout ce qui nous arrive de bien ou de mal est le résultat des choses qu’on a faites en bien ou en mal.
Avec le temps, je me suis progressivement débarrassé de cette idée que mon burn-out était une punition. Et c’est à ce moment là que j’ai commencé à discerner les signes non pas de l’absence de Dieu, mais de Sa présence.
Vous écrivez que cette logique de pensée est souvent ancrée chez les chrétiens…
Nous, les chrétiens, avons pris cette habitude de penser ainsi. Alors que les Écritures sont très claires à ce sujet. Il y a un passage de l’Evangile de Luc qui me vient à l’esprit. Celui de la tour de Siloë qui s’écrase sur dix-huit personnes et dont Jésus dit qu’ils n’étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. Ou encore, dans l’Évangile de Jean, lorsque ses disciples lui demandent si l’aveugle de naissance était né ainsi en raison de son péché ou de celui de ses parents, Jésus leur répond : « Ni lui ni ses parents ». Enfin, n’est-il pas écrit que Dieu « fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et tomber la pluie sur les justes et les injustes ». Avec le temps, je me suis progressivement débarrassé de cette idée que mon burn-out était une punition. Et c’est à ce moment là que j’ai commencé à discerner les signes non pas de l’absence de Dieu, mais de Sa présence.
Vous mentionnez qu’au cours de votre hospitalisation, vous étiez juste capable de dire : « Seigneur, ayez pitié de moi ». N’était-ce pas quand même le contact avec Dieu que vous tentiez de maintenir ?
En fait, je me suis raccroché à deux fils. Celui de la relation avec les personnes qui traversent des épreuves semblables. J’en ai rencontrées au cours de mon séjour en clinique psychiatrique, là où les gens qui souffrent ne se cachent pas. Au contraire, ils se livrent sans honte, dans une remarquable humanité. L’autre fil, c’était celui de la connexion à Dieu. Malgré l’expérience de Son silence, j’ai tenté intuitivement de ne pas le lâcher. De façon mécanique, je répétais alors cette phrase : “Seigneur Jésus-Christ, ayez pitié de moi”. J’étais incapable de faire plus. Mais ma petite voix intérieure me disait de ne pas tourner le dos à tout.
En clinique, vous avez pratiqué la méditation de pleine conscience. N’est-elle pas contradictoire avec la méditation chrétienne ?
Ces deux types de méditation répondent à des registres différents. Pour moi, il n’y pas de dimension spirituelle dans la méditation de pleine conscience. Elle est de même nature que le footing ou que toute autre activité physique ou intellectuelle exercée avec intensité. Il s’agit de s’extraire de soi, de sa souffrance, de cesser les ruminations pour se détendre. Tandis que la méditation spirituelle est d’un ordre tout autre. Elle consiste à se reconnaître soi-même en tant que créature de Dieu, en se mettant en Sa présence.
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Dans mon cheminement tout au long de la maladie, le moment est arrivé où j’ai pu reprendre des lectures qui me nourrissaient et qui m’aidaient à méditer sur ce qui m’arrivait. Je me souviens, j’étais encore à l’hôpital, d’avoir été très marqué par “Gaudete et Exultate” du pape François. Notamment par des passages sur la sainteté au quotidien. Cette lecture m’a permis de redémarrer spirituellement. Ensuite, dès que j’ai pu retourner à la messe, j’ai expérimenté la puissance de l’Eucharistie et celle des prières de proches. Ceux-ci se sont manifestés discrètement pour me dire qu’ils priaient pour moi.
Dans le milieu chrétien, pourquoi est-il si difficile parfois de parler des maladies psychiques ?
Aux yeux de certains, je pense que la maladie psychique est un signe de faiblesse. Le malade psychique serait quelqu’un qui n’en a pas fait assez sur le plan spirituel. Aujourd’hui, on peut encore entendre cette opinion que “s’il y avait plus de prêtres, il y aurait moins de psychiatres.” En osant témoigner de mon burn-out et de la dépression, je me rends compte que l’aspect stigmatisant de ces maladies est encore très réel, en particulier pour la dépression.
Est-ce que la connaissance des Écritures peut aider dans la lutte contre dépression ?
Les Écritures permettent de déculpabiliser. C’est peut-être osé de le dire, mais pour moi, elles contiennent des exemples de situations proches du burn-out ou de la dépression… Je pense notamment à certains personnages bibliques. J’ai l’impression qu’ils ont traversé quelque chose qui ressemble à mon expérience. N’est-ce pas le cas de Moïse qui, dans le Livre des Nombres, s’adresse à Dieu. Il lui dit : “Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi. Si c’est ainsi que tu me traites, tue-moi donc ; oui, tue-moi, si j’ai trouvé grâce à tes yeux. Que je ne voie pas mon malheur ! ” En face de la charge très lourde d’un “peuple à la nuque raide”, Moïse vit une sorte de « burn-out ». Il en est de même pour Jonas, pour qui la mort paraît préférable à la vie. Ou encore pour saint Paul qui, dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens, évoque des tribulations vécues en Asie qui l’ont accablé au point qu’il désespérait « même de la vie »…
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Cela m’a rassuré de découvrir la Bible sous cet angle-là. En méditant sur ma maladie j’ai aussi fait une autre découverte. Le Conseil pastoral pour la Santé dit des choses très intéressantes sur la maladie psychique. Notamment en révélant qu’elle peut être un chemin de sanctification. Un des experts du Conseil propose même de s’appuyer sur les vertus chrétiennes pour pouvoir traverser ce type d’épreuve. Bien sûr, cela paraît évident et facile à dire. Mais en réalité, c’est très compliqué à mettre en pratique quand on est malade.
On oublie trop souvent que notre première obligation n’est pas à l’égard de notre entreprise mais à l’égard de notre famille. Pour moi, en tant que chrétien, c’était une véritable découverte.
Lesquelles de ces vertus vous ont aidé particulièrement ?
Une première vertu importante est celle de la prudence. Il faut savoir aller voir le médecin et l’écouter. C’est une chose très difficile pour le malade qui est trop souvent dans le déni. Il y a aussi la vertu de tempérance. C’est à dire renoncer à travailler trop, par exemple, car cela peut mener à une véritable catastrophe. Enfin, je citerai la vertu de la justice. D’abord celle qu’on se doit à soi-même. Celle qui nous permet de décider de prendre soin de notre propre santé. C’est essentiel, car la personne qui s’épuise au travail prend finalement des risques non seulement pour elle-même mais aussi pour toute sa famille. Il y a quelque chose d’assez égoïste à ne pas vouloir se soigner. On oublie trop souvent, en tout cas ce fut mon expérience, que notre première obligation n’est pas à l’égard de notre entreprise mais à l’égard de notre famille. L’Église a donc réfléchi à la maladie psychique. Elle propose des voies de réflexion très concrètes et pertinentes. Pour moi, en tant que chrétien, c’était une véritable découverte.
Cette découverte semble être essentielle…
Oui. Avant ma maladie, j’avais cette vision du père de famille qui doit être un roc. Tout le monde doit pouvoir s’appuyer sur lui. Il est indestructible. Donc, il n’a pas à perdre de temps à voir un médecin et surtout à l’écouter quand ce dernier lui prescrit une thérapie ou du repos.
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Dans votre lutte pour guérir de la maladie, vous soulignez l’importance des petits signes, vous parlez de la “théologie des petits signes”, ceux qui permettent de tout mettre humainement en ordre…
Aujourd’hui, je me rends compte que tout commence à s’ordonner, autour de ces signes reçus qui montrent de façon évidente pour moi que la Sainte Providence est à l’oeuvre… Par exemple, j’ai pu “modeler” avec mon employeur une mission autour d’un sujet passionnant, à un rythme compatible avec mon état. Alors même qu’un retour au travail me semblait encore inenvisageable il y a peu. La sortie de mon livre a également engendré de belles rencontres très inspirantes.
Nul ne sort indemne d’une telle épreuve. Le risque de rechute est bien présent. Mais il y a tous ces signes qui me montrent la bonne voie.
En réalité, je vis une vraie réorientation de vie. L’angoisse laisse la place à une joie discrète, celle d’entrevoir la fin de mon burn-out. Bien sûr, les séquelles sont bien présentes. Mon sommeil est encore trop léger. Je ressens une fatigue chronique et aurai vraisemblablement à supporter certains effets secondaires de la maladie pendant quelque temps… Nul ne sort indemne d’une telle épreuve. Le risque de rechute est bien présent. Mais il y a tous ces signes qui me montrent la bonne voie.
Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
L’essentiel. J’ai appris à me connaître, à m’ouvrir un peu plus aux autres. J’ai aussi appris à mieux appréhender la souffrance, l’adversité et le malheur. J’essaie dorénavant de m’accepter tel que je suis, en accueillant ce qui m’est donné en enfant de Dieu. Je vis de façon plus authentique. Enfin, ma relation à Dieu est plus mature. Je l’ai débarrassée d’attentes stériles. En permettant ma chute, Dieu, aura ouvert mon coeur et l’aura, je l’espère, rendu plus disponible aux autres, à moi et à Lui-même.
“Se consumer. Récit d’un burn-out” de Xavier Vamparys, Éditions Boleine, février 2019
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