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Le règne obligatoire de l’autocensure

La belle au bois dormant

Capture d'écran Youtube I Disney

La Belle au Bois Dormant, 1959.

Bertrand Vergely - publié le 12/12/19

Le mécanisme le plus parfait de la police de la pensée est celui qui réussit à culpabiliser les consciences pour les empêcher d’être libres. Quand les citoyens se censurent volontairement pour ne pas heurter l’ordre moral officiel, nous y sommes. Le monde de la culture en donne de plus en plus l’exemple.

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En matière de morale, notre société vit l’un des paradoxes les plus saisissants qui soit. Dans les années 1970, Michel Foucault publie un ouvrage, Surveiller et Punir (Gallimard), dans lequel, à la suite de Nietzsche, le philosophe s’emploie à montrer ce qui se cache derrière la morale afin que l’on puisse se débarrasser de celle-ci. Fascinée par le brio de Foucault, notre société a pensé, comme lui, qu’il y avait d’un côté l’ordre moral répressif et culpabilisateur et de l’autre la liberté. Jamais, elle n’aurait imaginé que la liberté puisse devenir elle-même un ordre répressif et culpabilisateur. Or il importe de regarder les choses en face : c’est ce qui est en train de se passer. Pour le comprendre faisons un retour en arrière.

La discipline sociale du jugement moral

Nous croyons que le jugement moral vient de la conscience morale. Il n’en est rien. Le jugement moral qui nous conduit à nous juger et à juger moralement est le résultat d’un processus de surveillance que la culture a mis au point à travers l’invention d’un ordre disciplinaire.

Au commencement, tout pouvoir politique pense que l’on discipline une société par la punition exemplaire. D’où le recours au châtiment public de ses opposants à travers un cérémonial macabre qui crée une société disciplinée en terrorisant celle-ci. Puis, les choses se transforment et deviennent plus subtiles, quand le pouvoir politique découvre que l’on discipline mieux une société en contrôlant celle-ci par un dispositif de surveillance compatible à celui que l’on trouve en prison où tout est fait pour que rien n’échappe au regard du surveillant. Toutefois, si pour discipliner, surveiller vaut mieux que châtier, rien ne vaut le fait non pas d’être surveillé mais de se surveiller. Là, plus besoin de violence ou bien encore de prison. Par un dispositif mental amenant à se censurer on arrive au contrôle absolu, puisque sans contrôle extérieur, uniquement par un contrôle intérieur, on parvient à discipliner les esprits. Le crime parfait est celui qui pousse quelqu’un à se tuer. La discipline parfaite est celle qui pousse quelqu’un à se discipliner lui-même. Pour Michel Foucault, c’est ce que produit l’ordre moral. Fondé sur le jugement moral, poussant les consciences à s’autocensurer en se jugeant, cet ordre est la façon la plus parfaite qui soit de discipliner la société.

Le cas de l’extrémisme religieux

Quand on a affaire à l’extrémisme religieux quel qu’il soit, le triptyque punition-surveillance-autocensure revient constamment, le propre de la dictature religieuse étant de terrifier par une violence punitive extrême, de surveiller la société de façon policière avant de contraindre les esprits à l’autocensure. Règne alors l’ordre rêvé : celui dans lequel on s’interdit de penser ce que l’on pense en évitant soigneusement l’usage de certains mots afin de ne pas avoir d’ennuis.


Micro et ordinateurs de journalistes
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Si Michel Foucault a fort bien vu comment fonctionne l’ordre moral pratiqué par les autres, il n’a pas vu que ses propres idées allaient être à la source d’un ordre moral pratiquant la surveillance, la punition et l’autocensure. Quand celui-ci a développé son analyse de la morale, il a pensé à libérer la sexualité du moralisme qui pèse sur les orientations sexuelles. Il a de ce fait intellectuellement milité pour qu’en matière de sexualité on puisse cesser de juger, de condamner, de dicter un modèle, de parler de normalité, de bien et de mal, de vertu et de vice, en un mot pour que tout devienne ouvert et libre. Or, que s’est-il passé ?

La censure volontaire

Dans les universités américaines, le féminisme, les associations antiracistes, les ligues pour la tolérance et les mouvements de libération sexuelle ont été tellement fascinés par ses analyses que, pour les mettre en pratique, ceux-ci ont déclenché un vaste mouvement idéologique s’employant via les réseaux sociaux à, devinez quoi ? punir, surveiller et pousser à l’autocensure en créant rien moins que l’exemple parfait de l’ordre moral. Stupéfiante ironie du sort ! La récente mise au point de la plateforme de streaming Disney + à propos d’une de ses premières productions en est la pathétique illustration : désireuse de projeter à nouveau les créations de ses débuts, Disney a cru bon de faire une mise au point en s’excusant du caractère aujourd’hui déplacé de ses films dans lesquels on voit par exemple un jeune homme tomber amoureux d’une jeune fille.


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Quand Disney se croit obligé de s’excuser à propos d’un film, pourquoi le fait-il ? Parce qu’il tente de se prémunir contre les critiques qui pourraient lui être faites. Aujourd’hui, on ne peut pas mettre en scène impunément un jeune homme tombant amoureux d’une jeune fille : ce film serait sexiste et misogyne parce qu’il réduit la jeune femme au rôle d’épouse. D’où le message d’avertissement de Disney : « Ce programme peut contenir des représentations culturelles dépassées. »

Pitrerie et violence

Comme l’explique très bien Matthieu Bock-Côté, aujourd’hui les valeurs et la vie morale sont réglés par l’ordre diversitaire, qui oblige les esprits par la terreur et la police de la pensée à penser correctement. Cet ordre est devenu tellement puissant et tellement intimidant qu’il n’a plus besoin d’intervenir ouvertement pour se faire craindre. Avant même qu’il ait levé le petit doigt, les esprits font leur propre autocritique en éliminant d’avance tout ce qui pourrait laisser penser que l’on est raciste, homophobe et sexiste. Les dictatures religieuses procèdent ainsi. Les dictatures révolutionnaires ont procédé ainsi. Aujourd’hui, les mouvements dits de libération procèdent ainsi.

Comme Disney est malin. Alors que personne ne lui demande rien, au cas où, il fait à l’avance le procès qu’on pourrait lui faire. Enfin, pas tout à fait, puisqu’il projette quand même le film jugé peu correct. En Union soviétique sous le stalinisme, il suffisait de dire ce que le pouvoir avait envie d’entendre pour avoir la paix. Avec le politiquement correct, il suffit de montrer patte blanche pour faire ce que l’on veut. Les régimes de terreur tournent toujours à la pitrerie. Sur fond de terreur, le politiquement correct est en train lui aussi de tourner à la pitrerie. Ce qui ne l’empêche pas de faire progresser son régime de terreur mentale quand celui-ci ne passe pas ouvertement à l’action violente ainsi que cela a été le cas récemment à Bordeaux où, jugée politiquement incorrecte en vertu de ses postions contre la PMA, Sylviane Agacinski a été obligée d’annuler sa conférence à la suite de menaces sur sa personne.


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