Comme beaucoup d’entre vous, sans doute, j’ai été saisi de stupeur puis peu à peu de colère, lorsque j’ai appris que les masques devenaient indispensables pour combattre la pandémie, alors que nos gouvernants et leurs communicants passaient leur temps à nous répéter le contraire. Il suffisait juste d’un peu de bon sens ! Nous n’avions pas vraiment besoin de l’avis insistant de l’Académie de médecine pour nous en rendre compte. Bref, je ne sais pas vous, mais moi j’ai senti la moutarde me monter au nez. Que faire de cette colère qui commençait à bouillonner en moi ? Que faire de cette puissante force qui risquait de me submerger, si je n’y prenais garde ? J’ai bien essayé l’humour et la dérision, mais cela ne dure qu’un temps ! Alors, que faire ? Comment échapper à cette sourde colère qui montait des profondeurs et que d’autres épisodes risquaient de réveiller à nouveau ?
La racine du problème
Selon Cassien, vénérable Père de l’Église, la colère est une force neutre, ni bonne ni mauvaise en soi, ou plutôt à la fois bonne et mauvaise, selon ce qu’elle vise, et qu’il ne faut donc surtout pas réprimer, mais bien au contraire réorienter. Si elle explose contre les autres ou contre soi, elle devient une passion destructrice et dévorante. Elle renaît sans cesse de ses cendres comme l’hydre à dix têtes. À mesure qu’on essaye d’éteindre l’incendie à un endroit, il ressurgit ailleurs, sous des prétextes parfois futiles et sans commune mesure avec l’explosion constatée. La colère est bien là, tapie tout au fond de notre cœur, n’attendant qu’une occasion pour jaillir de sa tanière. Et l’arrogance et la morgue des communicants n’arrangent guère les choses. Il faut donc s’attaquer à la racine du problème. Laisser les distributeurs de bouillie médiatique s’emmêler les pinceaux dans leurs mensonges et affronter le vrai problème, le drame intérieur qui se joue pour chacun d’entre nous. Que vais-je faire de cette force qui m’habite ? Il convient de s’attaquer à soi-même.
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Cassien faisait remarquer avec humour que même au plus profond de sa solitude, dans le désert le plus isolé, le moine pouvait être surpris par des accès de colère contre la cuiller qui tombe toujours du mauvais côté, comme la tartine de confiture des frères Jacques, le livre qui s’est volatilisé alors que l’on est sûr de l’avoir remis en place, ou la chaise qui a mystérieusement changé de place pour se mettre juste en travers de notre chemin. Pas besoin de la bêtise et de la vanité des autres pour se mettre en colère. Il y a quelque chose en nous qui n’attend que l’occasion favorable pour bondir hors de son terrier et ravager notre sérénité si chèrement conquise. Alors quoi donc ? Faut-il se laisser dominer ? Faut-il, par mesure d’hygiène intérieure, laisser sortir ce torrent de lave qui menace de nous brûler les entrailles ou de nous concocter un bel ulcère à l’estomac ?
Habiter avec soi-même
Que faire de cette colère dont les anciens Grecs avaient établi un diagnostic si subtil déjà, alors qu’ils ne disposaient ni de statistiques fiables, ni de comités théodules, ni de super-calculateurs super-puissants ! Bref nous voilà renvoyés à nous-mêmes, à l’expérience intime et secrète de notre propre colère. Munis d’une lampe frontale et de lunettes grossissantes, nous allons devoir descendre en nous-mêmes, revenir habiter avec nous-mêmes. Habitare secum, habiter avec soi-même, c’est ainsi que Grégoire décrit saint Benoît quand il essaye d’expliquer le cœur de son expérience solitaire. Car lorsque l’on cherche Dieu, on est forcément confronté à soi-même. Et la collision est plutôt rude ! Par-delà les analyses psychologiques ou les horizons psychanalytiques de l’inconscient, on finit par découvrir cet espace où naît notre véritable liberté.
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Bien sûr, cela demande du temps et une infinité de contretemps, de la patience et surtout beaucoup d’impatience, mais le chemin finit par s’ouvrir un jour ou l’autre sur ces espaces inconnus où nous pouvons devenir ce que nous sommes appelés à être. Dans le jaillissement soudain de la colère, sous les multiples formes qu’elle peut prendre, à travers la perte de contrôle et l’anxiété qu’elle peut générer, notre ennemie intime, comme les autres passions, nous conduit à ces sources de nous-mêmes où les peurs les plus cachées finissent par se révéler. Bien au-delà de toutes les injonctions moralisantes, bien au-delà de toutes les explications et les justifications, il va falloir descendre, comme Jésus l’a fait. La Semaine sainte est la grande semaine de la colère, de l’indignation, de la rage, de la honte, de l’effroi devant la trahison, de la stupidité et de la bassesse, de la découverte brutale de la vilenie et des horreurs qui nous habitent.
Les leçons de colère de la Bible
Je me souviens d’un carême un peu particulier durant lequel mon père abbé, dom André Louf, avait voulu que nous visionnions chaque soir un extrait du film sur la Shoah. Je me souviens encore de la colère, de l’indignation, mais aussi du sentiment de malaise et d’effroi qui m’avaient envahi en reconnaissant dans la souffrance de tant d’êtres humains la Passion de Jésus. Mais il fallait aussi accepter de regarder en soi pour reconnaître que cette cruauté inimaginable nous habite aussi. Et je me suis demandé comment ceux qui y avaient échappé avaient pu continuer à vivre ! Comment avaient-ils pu guérir et apaiser cette colère qui devait les tenailler devant l’indifférence, la lâcheté puis l’oubli ? Alors je suis allé rechercher dans la Bible ces traces de la colère d’Israël, ces moments où la colère des hommes a affronté le silence de Dieu, son absence, avant celle des hommes.
“En nous faisant toucher le fond de nous-mêmes, elle nous aide à entrer en communion avec ce qui fait le fond de tout être humain.”
Et j’ai découvert avec une admiration et un respect infinis comment Israël a su vivre sa colère devant Dieu. Sans chercher d’explications ou d’excuses. Osant affronter son désir de trouver des coupables ou de se venger. La violence de ces cris, qui scandalise tant d’ignorants sans profondeur, m’a touché et pacifié. La colère a besoin de se couler dans les paroles de colère de la Bible, pour trouver sa véritable signification. En nous faisant toucher le fond de nous-mêmes, elle nous aide à entrer en communion avec ce qui fait le fond de tout être humain. Cette espérance déçue, ce désir blessé, cette attente fragile font de nous ce que nous sommes. Des êtres qui ne peuvent se contenter de ce qui est, qui ne peuvent se résigner à ce qui est. Notre colère peut ainsi devenir un signe, une trace de cet infini qui nous habite et que nous ignorons si souvent. Bien sûr, nous pouvons la détourner en vengeance, mesquinerie et cruauté. Mais nous valons mieux, infiniment mieux que tout cela. Que nous le voulions ou non, nous sommes des êtres blessés par notre désir d’infini et de perfection… Peut-être est-ce la véritable source de notre colère ?
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