Avec le recul donné par le confinement, nous nous sommes probablement rendus compte à quel point notre époque hyper médiatique aime les bavardages, les bruits et les images qui nous embarquent dans un marathon étourdissant, à toute vitesse, hors de l’essentiel. Alors comment ne pas perdre pied ? Comment s’y retrouver et « se » retrouver ?
Charlotte, 40 ans, épouse et mère de deux jumeaux est une décoratrice d’intérieur passionnée. Elle reconnaît que théoriquement elle a tout pour être heureuse : le couple qui fonctionne bien, la vie de famille, des amis fidèles, le confort matériel… Pourtant, elle ressent un vide qu’elle n’arrive pas à nommer. Un vide qui est peut-être un manque essentiel : le « manque à être ». Celui qui, comme l’explique la psychanalyste Elsa Godart dans son ouvrage Ce qui dépend de moi,pousse à la recherche de « l’essentiel”, mot dont la racine étymologique « esse » signifie « être ».
Si nous sommes pris dans la spirale quotidienne de toujours davantage répondre à l’urgent, au superflu et au superficiel, bref à notre « manque de l’avoir et de faire », nous perdons de vue l’essentiel de notre vie : notre « manque à être. »
De nombreux sociologues se penchent sur le phénomène de « l’accélération du temps », expérience majeure de notre société qui provoque souvent une sensation d’étouffement. Mais, ce bombardement constant de sollicitations de toute sorte, ce « trop de tout » dévoile en réalité un réel manque à combler. Si nous sommes pris dans la spirale quotidienne de toujours davantage répondre à l’urgent, au superflu et au superficiel, bref à notre « manque de l’avoir et de faire », nous perdons de vue l’essentiel de notre vie : notre « manque à être. »
Faire toute chose avec mesure
Saint Benoît, à travers le récit de sa vie incarnant la vie monastique en Occident, nous introduit avec sa Règle au cœur de sa sagesse bénédictine. Il dévoile ses grandes intuitions pleines de pragmatisme qui restent, quinze siècles plus tard, d’une étonnante actualité. Et parmi elles, il y a un conseil étonnant de simplicité pour aller toujours à l’essentiel.
Nous sommes tentés d’aller à fond dans une seule direction, alors que la vie demande qu’on équilibre constamment les efforts et les activités.
Dans tout ce qui est de l’ordre des moyens, “l’homme a besoin de mesure. Il doit sans cesse trouver un équilibre entre l’excès et le manque », comme l’explique Dom Xavier Perrin, abbé de Quarr, en Angleterre, dans son livre À l’école de saint Benoît. Pour l’auteur de La Règle, on est tenté d’aller à fond dans une seule direction, alors que la vie demande qu’on équilibre constamment les efforts et les activités. Paradoxalement, cet excès peut concerner aussi le trop prier, trop jeûner, trop corriger ou trop dépenser ses forces.
D’où ce conseil clé de saint Benoît transmis aux moines : il faut toujours pratiquer les « pôles complémentaires » pour rester attentif à l’essentiel : prière et travail ; silence et chant ; séparation du monde et accueil ; solitude et vie commune, comme le rappelle Dom Xavier Perrin. Mais comment faire tout avec mesure ? Le génie pratique de saint Benoît le suggère clairement. La mesure ne peut être ni trop haute (comme l’imitation de certains exploits des Pères du désert), ni trop basse (comme celle dont le monachisme décadent de son époque se satisfait trop facilement).
Plus la question est importante, moins le temps l’est
Bien sûr, la raison d’être des moines consiste à s’approcher de Dieu grâce à la prière. Tout est organisé autour de cette priorité absolue qui mène à l’essentiel. Cependant, si définir des priorités dans la vie n’est pas le plus difficile, les respecter et s’organiser en conséquence est un véritable défi. Toutes les perturbations et les sollicitations imprévues du quotidien donnent du pouvoir à la dictature de l’urgent, de l’avoir et du faire. Il est difficile d’imaginer de ne pas réagir dans la journée au mail d’un client important. Mais parfois, se donner du temps pour bien réfléchir à la réponse peut permettre d’être beaucoup plus créatif… donc efficace ! Selon le moine bénédictin, plus la question est importante, moins le temps l’est.