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Enfin ! Enfin, une phrase du président de la République qui parle d’une liberté spécifique aux croyants ! La suspension de la liberté de culte pendant les cinquante-cinq jours du confinement n’avait donné lieu à aucun message explicite sur l’effort qui leur était demandé. L’effort était pourtant inouï, puisque la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme “la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites”. Cette fois, aucun doute possible, la liberté proclamée ne concernait que les croyants, puisqu’il s’agissait… du blasphème. Le problème est que le Président ne semblait pas en être conscient. La veille de l’ouverture du procès des attentats de Charlie Hebdo, qui aura lieu jusqu’au 10 novembre, Emmanuel Macron a déclaré : “Depuis les débuts de la IIIe République, il y a en France une liberté de blasphémer qui est attachée à la liberté de conscience.”
Le non-croyant ne peut pas blasphémer
On pourrait chercher noise au Président sur la datation historique, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel est l’infidélité manifeste à ceux auxquels la déclaration prétend rendre hommage. “Demain, ajoutait Emmanuel Macron, nous aurons tous une pensée pour les femmes et les hommes lâchement abattus.” Avoir une pensée est fort louable, mais la formule est souvent une manière rapide de passer à autre chose. Plutôt que de diriger sur commande “une pensée” en direction de Charb, Cabu, Wolinski et les autres, on pourrait envisager de les écouter un instant. Sur le blasphème, dans sa Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, son livre devenu testamentaire, Charb écrivait ceci : “Un croyant peut blasphémer dans la mesure où cela a un sens pour lui. Un non-croyant, malgré tous ses efforts, ne peut pas blasphémer. Pour insulter ou outrager Dieu, il faut être persuadé qu’il existe.”
La logique de l’islamiste
La liberté de blasphémer, en bonne logique, n’est donc en aucun cas ce que revendiquaient les journalistes athées de Charlie Hebdo. Charb notait ensuite que “la stratégie des communautaristes maquillés en antiracistes consiste à faire passer le blasphème pour de l’islamophobie et l’islamophobie pour du racisme”. Le but de cette manœuvre lexicale est évidemment de rendre impossible toute critique raisonnée de l’islam.
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Autrement dit, employer le terme de blasphème, même pour brandir la liberté de le pratiquer, revient à emprunter la logique de l’islamiste et à tomber dans le piège qu’il tend. C’est parler non comme un président de la République, mais comme un imam, même si ce serait en l’occurrence un imam réformateur. Le droit français, lui, a aboli le délit de “blasphème” en 1791, le rangeant au nombre des “crimes imaginaires”. La meilleure manière de trahir les victimes des frères Kouachi et des complices qu’on juge en ce moment est donc de défendre la liberté de blasphémer comme leur leçon testamentaire.
Ce qui ne convient pas
Bien sûr, on peut aussi prendre les choses sous un angle spécifiquement chrétien et rappeler que, selon saint Thomas d’Aquin, le blasphème consiste à “attribuer à Dieu ce qui ne lui convient pas”. En ce sens, les blasphémateurs des attentats contre Charlie Hebdo sont évidemment les terroristes, qui ont crié Allah Akbar en faisant un carnage. Ils faisaient de Dieu une divinité sanguinaire, ce qui ne peut convenir à un Père miséricordieux. Le Catéchisme de l’Église catholique le dit clairement : “Il est blasphématoire de recourir au nom de Dieu pour couvrir des pratiques criminelles, réduire des peuples en servitude, torturer ou mettre à mort.” Si tel est le blasphème, il va de soi que le chef de l’État peut se réjouir que l’Église le condamne avec fermeté.
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On peut toutefois aller plus loin, en reprenant la formule de saint Thomas : “attribuer à Dieu ce qui ne lui convient pas”. Dans cette perspective, l’Incarnation, par laquelle Dieu se fait homme, et la crucifixion, par laquelle Dieu est châtié comme un criminel, devancent et dépassent toutes les tentatives humaines de blasphème. Le Dieu chrétien est le premier blasphémateur, tant il rompt avec ce que les hommes jugeaient “convenable” pour le désigner. Le Christ est d’ailleurs accusé d’avoir blasphémé. Habitué à voir des crucifix, le chrétien oublie sans doute un peu que représenter Jésus en Croix est apparemment aussi irrévérencieux que de dessiner Donald Trump en slip sur une chaise électrique. Proclamer un messie crucifié est “scandale pour les Juifs, folie pour les païens”, disait déjà saint Paul.
Le Christ blasphémateur
Bien entendu, le mot “blasphème” a pris aujourd’hui un sens plus large, qui peut éventuellement justifier la défense par le Président de la “liberté de blasphémer”. Le blasphème, nous dit Larousse, est par extension un discours qui insulte “ce qui est considéré comme sacré”. Pas seulement une affaire de croyants, donc ? Peut-être, mais même vis-à-vis de “ce qui est considéré comme sacré”, nul ne fera mieux dans la remise en cause que le Christ. La foi en un Dieu cloué sur une croix a, plus que jamais aujourd’hui, sa force de scandale blasphématoire ; elle met à mal à peu près tout ce que le monde tient pour intouchable. Blasphème contre la divinité vengeresse des islamistes, l’amour pour le Crucifié divin est aussi un blasphème contre l’idolâtrie des corps parfaits — dieux du stade ou déesses de la mode —, un blasphème contre l’hygiénisme aseptisé, un blasphème contre le transhumanisme chirurgical, un blasphème contre les rêves de toute-puissance, un blasphème contre le déni de la mort ou contre la fausse compassion euthanasique.
Cette liberté de blasphémer-là, rassurez-vous, Monsieur le Président, les disciples du Crucifié entendent bien l’exercer jusqu’au bout.