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Dublin, juillet 1884. Il est tard déjà. Alors que le soleil disparaît lentement derrière l’horizon, et qu’un vent frisquet envahit les rues du quartier de North Strand, Matt fait les cent pas devant le pub O’Meara, en attendant impatiemment l’arrivée des clients. Des frissons le parcourent et il se frotte les mains qui tremblent. Voilà presqu’une semaine que Tom, le tavernier, lui a dit qu’il ne le servirait plus tant qu’il n’aura pas réglé ses dettes. Durant cette cure imposée par son portefeuille vide, il n’a pas fermé l’œil, enchaînant migraines sur migraines. Il ne cesse de trembler.
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Mais on est samedi, jour de paie pour les employés des quais. Ses amis ne le laisseront pas le verre vide, lui qui n’a jamais refusé de les servir quand ils manquaient d’argent. Il tressaille à l’idée d’un bon verre de whiskey. Rien de tel pour arrêter ces maudits frissons. Les minutes passent, une éternité pour Matt, et enfin les clients commencent à arriver. Un soupir de soulagement lui échappe lorsqu’il aperçoit Pat Doyle à la tête de leur groupe d’ami.
– Hé, Matt ! s’exclame ce dernier. On t’a pas vu de la semaine, compère.– Tu m’en diras tant, mon vieux. Tom refuse de me servir tant que je n’ai pas remboursé toute ma dette et je n’ai plus un sou. Offre-moi quelques verres et promis je te rembourse samedi prochain.
Le sourire de Pat s’évanouit presque aussitôt pour être remplacé par une mine renfrogné.
– C’est que, vois-tu, je ne pense pas en avoir assez pour nous deux. Désolé, vieux frère. Mais on remet ça samedi prochain, d’accord ?
Sans même attendre une réponse, Pat pose une main sur l’épaule de Matt avant d’entrer rapidement dans le pub, suivit des autres, qui le saluent brièvement en prenant soin d’éviter son regard.
Matt reste figé, incapable de comprendre ce qui vient de se passer. Puis, malgré le froid, son sang se met à bouillir alors qu’un sentiment vif mêlant colère et injustice s’empare de lui. Quelle bande d’égoïste ! Il se serait saigné aux quatre veines pour eux, et ces ingrats ne veulent même pas cotiser pour lui payer un verre de misère. Est-ce cela l’amitié ? Dépité, il met les mains dans ses poches et prend la direction de sa maison.
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Peu à peu, au rythme de ses pas acharnés, la colère se dissipe et laisse place à un gouffre de tristesse et d’incompréhension. D’où vient donc cette amertume ? Ce n’est pas tant le manque de la boisson mais plutôt l’attitude peu charitable de ses amis qui le travaille. N’a-t-il pas toujours été généreux, lui ?
À cette pensée, il s’arrête net et un vieux souvenir lui vient à l’esprit. Le souvenir du violoniste à qui il a subtilisé son instrument pour le vendre et continuer à boire avec l’argent de son crime. La route est déserte. Il n’y a personne pour le voir, mais le sang monte à la tête de Matt et il couvre son visage de ses mains tremblantes.
Ah, le bel hypocrite ! Qui est-il pour juger autrui ? La nature humaine est si versatile lorsqu’elle dépend de la boisson. Sans pouvoir se retenir, il pleure à chaudes larmes et l’angoisse lui sert le cœur. Son esprit fait défiler les seize dernières années de sa vie, vécu de salaire en verre, de verre en salaire, dans un cycle infernal qui le retient prisonnier. Il n’ose plus bouger, de peur qu’au moindre mouvement, le cycle ne l’emporte à nouveau. De sombres pensées s’empare de son esprit. Que faut-il faire pour mettre fin à ce cycle ?
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Soudain, le son d’une cloche retentit alors et Matt se redresse d’un bond, comme frappé par la foudre. L’église de Saint-François-Xavier est juste là, à une centaine de mètre de lui. La solution lui arrive en pleine figure comme une gifle bien méritée.
– N’est-ce pas toi celui qui délivre de tout mal ?, s’entend-t-il murmurer.
L’instant d’après, il s’élance au pas de course jusqu’à chez lui. En deux temps, trois mouvements il enfile une chemise propre et se débarbouille. Si son cœur bat à tout rompre, ses mains, elles, ont cessé de trembler, comme par miracle. Sa mère, étonnée de voir son ivrogne de fils rentrer si tôt, le questionne.
– Mais où vas-tu, si bien apprêté ? – Je vais au Holy Cross College, répond-il sans hésitation, pour y faire vœu de tempérance. – Va, au nom de Dieu, dit-elle alors. Mais ne le fait pas si tu n’es pas sûr de tenir ton engagement. – Ah, maman, c’est bien au nom de celui qui sauve que j’y vais.
Matthieu Talbot ne retouche plus à l’alcool et choisit une vie de pénitence et de charité absolue envers les autres jusqu’à sa mort, le 7 juin 1925. Il est déclaré vénérable par Paul VI le 3 octobre 1975. De nombreuses cliniques de toxicomanie portent son nom. Et comme le vénérable Alfred Pampalon, il apporte une aide précieuse à ceux qui souhaitent être délivrés de la passion de l’alcool ou d’autres addictions.
Matthieu Talbot : de l’alcoolisme à la sainteté, Frédéric Kurzawa, Éditions Salvator, septembre 2019, 15 euros.
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