Depuis qu’il est entré en politique, Gérald Darmanin n’a pas cessé de se proclamer gaulliste. « Gaulliste social » plus précisément, c’est-à-dire gaulliste imprégné des idéaux de Marc Sangnier et de Charles Péguy. On a d’autant plus envie de le croire que son visage plaide pour lui. Cette forme de candeur angélique, ce demi-sourire. Et il y a aussi ce grand père algérien, héros de la bataille de Monte Cassino en 1944, gaulliste d’action et de foi. Et il y a cette référence à Philippe Séguin. Et il y a cette énergie. Bref, on aimerait aimer l’actuel ministre de l’Intérieur.
La vie sans idéal
Mais pourquoi faut-il que le ministre affirme, pour répondre aux catholiques qui revendiquent le droit d’aller à la messe pendant le confinement, que « la vie est plus importante que tout » ? S’il est une leçon que l’histoire nous enseigne, et notamment l’histoire gaulliste, et notamment celle du gaullisme social, c’est que lorsqu’il n’existe aucun idéal capable de transcender nos vies, aucun projet politique n’est possible. C’est sur ce point que le christianisme a depuis vingt siècles façonné l’idée que nous avons du service de la cité.
Une querelle littéraire
Une querelle littéraire entre le colonel de Gaulle et le maréchal Pétain illustre ce que je veux dire. Rappelons-la. En 1938, De Gaulle publia chez Plon un ouvrage fameux, La France et son armée, dédié au vainqueur de Verdun. La dédicace n’était pas le fruit du hasard, car La France et son armée reprenait plusieurs chapitres d’un livre inabouti, L’Histoire du Soldat, projet lancé quinze ans plus tôt par le glorieux Maréchal qui avait demandé au jeune De Gaulle de lui servir de nègre. L’affaire avait tourné court, car De Gaulle, sur le fond et davantage sur la forme, n’avait pas supporté d’être relu et corrigé par son illustre aîné. De Gaulle avait écrit à son illustre patron : « Vous rédigez. Moi, j’écris. » Le déclencheur de la querelle avait été une phrase écrite par De Gaulle sur la « frénésie politique » qui avait dévoyé tant de généraux de la Révolution en 1793, leur ôtant « le prestige, souvent la vie, parfois l’honneur ». Le vieux maréchal n’avait pas goûté l’expression. Il avait changé l’ordre des mots pour placer le mot « vie », qu’il jugeait le plus important, à la fin de la phrase. L’écrivain de Gaulle avait bondi : « C’est une gradation : prestige, vie, honneur. »
L’honneur plus que la vie
Pour De Gaulle, la vie valait plus que le prestige, mais l’honneur plus que la vie. Pour le maréchal, la vie valait plus que tout. Les relations des deux hommes se dégradèrent. Pétain ne publia jamais L’Histoire du Soldat. La suite a montré à quel point cette querelle sémantique entre les deux hommes était prémonitoire des choix qu’ils feraient à l’heure décisive. Tenir la vie pour plus importante que tout, et donc pour plus importante que l’honneur, conduit à la mort.
Marc Sangnier, inspirateur du gaullisme social cher à Gérald Darmanin, faisait chanter à ses sillonistes avant la Première Guerre mondiale le verset du psaume 63 : « Ta bonté, Seigneur, est plus importante que la vie. » Si « la vie est plus importante que tout », comme dit Darmanin, notre histoire n’a plus aucun sens. La politique n’a plus aucun sens. La Nation n’a plus aucun sens. La transmission n’a plus d’objet. Gérald Darmanin a le droit de penser que « la vie est plus importante que tout ». Il n’est pas le seul à le croire. Mais, de grâce, qu’il ne se dise pas « gaulliste social ».
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