Le Christ nous a sauvés une fois pour toutes par sa mort et sa résurrection, mais le Salut n’est réalisé que quand l’homme adhère personnellement au don de Dieu et se prête à son action en lui. Comment donc s’approprier la vie nouvelle qui jaillit du Christ mort et ressuscité ? D’abord en croyant de tout son cœur à ce que Dieu a fait pour nous (« Si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts tu seras sauvé », Rm 10,9). C’est la foi qui nous sauve, non les œuvres de la Loi (cf. Rm 3, 28). Mais cette foi initiale, qui ouvre la porte à l’action de Dieu en nous, appelle un pas de plus : il faut matérialiser cette rencontre dans une étape décisive qui marque notre histoire personnelle. Après le premier discours de Pierre le jour de la Pentecôte, on nous dit que les auditeurs sont touchés et demandent à Pierre : « Que nous faut-il faire ? » Sa réponse est : « Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Ac 2, 38).
L’irruption du Salut dans nos vie
Contrairement à ce que l’on a cru au moment de la Réforme, les sacrements ne sont pas des œuvres qu’il faudrait accomplir pour mériter le Salut, ils sont l’irruption de ce salut lui-même dans notre vie. Le Christ permet que l’évènement unique de sa mort sur la Croix ait des répercussions actuelles. C’est particulièrement vrai de l’eucharistie qui réalise pour nous son sacrifice, mais tout sacrement est à sa façon une présence renouvelée de l’évènement fondateur. Le jour de notre baptême, le Salut est arrivé dans notre vie : « C’est aujourd’hui le jour du Salut » (Ps 118). Le jour de mon mariage, par exemple, c’est le Christ qui est venu s’unir à son Église !
La conscience plus vive de l’actualité du don de Dieu nous empêche de voir dans les sacrements simplement les rites d’un groupe humain, celui des chrétiens, qui exprimerait à travers des gestes symboliques ses convictions et ses idéaux.
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Les rites sacramentels peuvent certes être vus comme une forme particulière de la religiosité humaine, qui s’exprime depuis toujours à travers des ablutions, des onctions, des invocations, etc. Mais, en puisant au vieux fond symbolique de l’humanité, l’Église n’a fait que recevoir des gestes déjà chargés de sens par la religion d’Israël, l’enseignement des prophètes et la pratique du Christ lui-même. Derrière l’élément pris à la nature, c’est toute l’histoire du salut qui est présente : l’eau, par exemple, c’est celle de la mer Rouge ou de la source du rocher, bien plus que l’élément cosmique présent dans l’imaginaire des peuples.
Don de Dieu et réponse de l’homme
Le sacrement est fondamentalement un corps à corps de la grâce avec la liberté humaine. On le voit surtout dans le sacrement de réconciliation, où il ne s’agit pas tant de déclarer la miséricorde de Dieu (car celle-ci est de toujours à toujours), mais d’absoudre, c’est-à-dire de faire tomber les liens découlant du péché dans un dialogue qui rend à l’homme capable de prendre ses distances à l’égard de sa faute, d’en mesurer l’horreur et de se jeter dans les bras du Seigneur. Mais tous les sacrements mobilisent à leur façon quelque chose de l’homme, qui, provoqué par la grâce, fait un pas en avant pour correspondre à ce que Dieu veut réaliser en lui. Ainsi, dans l’eucharistie, devant la splendeur du don qui lui est fait, le fidèle rejoint la largeur, la hauteur et la profondeur de l’amour de Jésus et accepte de se laisser moudre à son tour pour devenir « froment du Christ » (Ignace d’Antioche).
L’origine des sacrements
Le Christ a donné le coup d’envoi à l’activité sacramentelle de l’Église en fondant explicitement les deux principaux sacrements : le baptême et l’eucharistie, et en indiquant par son action et ses miracles les points-clés de l’expérience humaine auxquels devraient s’appliquer les remèdes sacramentels (choix des apôtres, mariage, maladie, guérison du péché). Il n’a pas théorisé les sacrements. Il a dit : « Allez enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 27, 19), et après la parole sur le pain, le soir du Jeudi saint : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19), étant entendu que « mémoire » ne veut pas dire souvenir, mais « mémorial » comme était la Pâques, c’est-à-dire actualisation de l’événement premier. Depuis, l’Église l’a toujours vécu ainsi. Ce n’est pas une déduction à partir du texte des Évangiles qui aurait amené peu à peu à la célébration de ces sacrements.
Avant même que le Nouveau Testament ait été rédigé et mis par écrit, les communautés chrétiennes ont connu le baptême et la fraction du pain
Avant même que le Nouveau Testament ait été rédigé et mis par écrit, les communautés chrétiennes ont connu le baptême et la fraction du pain. Bien sûr, la forme a pu varier énormément au cours des siècles. Mais, pour la messe, on peut suivre le déploiement de la prière eucharistique à partir de son noyau : ce que l’on appelle précisément l’eucharistia, c’est-à-dire la longue prière d’action de grâce faisant mémoire des hauts faits de Dieu et par-dessus tout le don du Salut en Jésus-Christ, pour obtenir le renouvellement ici et maintenant de la grâce initiale et d’abord de la présence du Sauveur parmi nous. Pour les autres sacrements on ne peut pas, dans la majorité des cas, remonter à une parole explicite de Jésus.Il est possible qu’il y en ait eu, puisque l’on voit les apôtres, pendant la vie publique du Seigneur, pratiquer déjà des onctions d’huile sur des malades (Mc 6, 13), ils n’ont certainement pas inventé cette manière de faire.
L’actualisation du mystère du Salut
Ce qui apparaît très tôt en revanche dans la vie de l’Église, c’est une activité liturgique très variée :prières à diverses heures de la journée, grandes prières de bénédiction (anaphores) sur certaines réalités matérielles concourant au culte ou à la vie quotidienne (bénédictions des lampes, du pain, de l’huile, etc.), gestes symboliques comme l’imposition des mains pour marquer l’envoi en mission ou l’accession à certaines charges et responsabilités, etc. Parmi ces gestes et ces prières, certains apparaissent comme engageant plus directement le Christ et après coup, on y verra des sacrements, c’est-à-dire des actes où s’actualise vraiment le mystère du Salut.
Le concile de Florence, puis celui de Trente ont arrêté définitivement la liste des sept sacrements : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, ordination, mariage, onction des malades
On dit que la grâce y est conférée ex opere operato, ce qui veut dire : dès que le rite a été posé dans les conditions que l’Église reconnaît comme conformes. On aura un peu de mal au début à distinguer la confirmation (c’est-à-dire l’onction faite après le baptême pour conférer la pleine intégration dans la vie de l’Église) du baptême, car les deux ont longtemps été liés et donnés dans la même cérémonie. La pénitence, longtemps vécue comme exceptionnelle et donnée seulement pour les fautes très graves, s’impose peu à peu comme un sacrement à part entière qui accompagne la marche des baptisés. Le dernier qu’on comptera dans la liste est le sacrement de mariage, qui ne se confond pas avec la cérémonie à l’église (même si celle-ci est très souhaitable et généralement obligatoire), puisqu’il consiste essentiellement dans le consentement que se donnent l’un à l’autre les deux fiancés, à condition que ce consentement accède à la pleine maturité d’un don fait en pleine conformité à ce que porte l’Église.
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Le concile de Florence, puis celui de Trente ont arrêté définitivement la liste des sept sacrements : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, ordination (des évêques, des prêtres et des diacres), mariage, onction des malades. Mais cette reconnaissance plus ou moins tardive ne fait pas des sacrements une création de l’Église. Celle-ci se contente seulement de retrouver dans l’héritage qu’elle a reçu ce qui est le plus important, à côté d’autres gestes ou d’autres prières, sans doute importants aussi, mais qui n’ont pas la même dignité : l’eau bénite, les cierges, la profession religieuse, les obsèques, etc., ce que l’on va appeler les « sacramentaux ».
Les ministres du sacrement
Le sacrement est une rencontre entre l’initiative du Christ rendu présent par un de ses « ministres » et un être humain qui l’accueille dans la foi. Elle passe par un rite qui mobilise une réalité matérielle, accompagnée d’une parole d’autorité dite au nom du Seigneur. Pour que la rencontre s’opère et ne soit pas le fruit de notre imagination, le Christ passe par un signe visible. Ce signe est rendu présent par un frère en humanité (souvent le prêtre, mais pas toujours) qui nous applique le sacrement, s’il juge que nous sommes prêts à le recevoir. C’est donc une liberté qui accueille une autre liberté. Le sacrement ne se trouve pas dans un distributeur automatique !
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Selon les sacrements, le ministre peut être un évêque, un prêtre, un diacre ou tout fidèle (et même tout être humain).Cette dernière configuration est celle du baptême (même si dans la majorité des cas, c’est un prêtre ou un diacre qui baptise). Dans le mariage, ce sont les deux fiancés qui sont les ministres du sacrement (le prêtre ou le diacre se contentent d’être les témoins privilégiés et de dire la bénédiction nuptiale). L’eucharistie, la pénitence et le sacrement des malades supposent le ministère d’un prêtre. L’ordination et la confirmation requièrent un évêque (même si la confirmation peut être déléguée à un prêtre). De même que le Christ, en venant sur terre pour nous rencontrer, a pris un corps, il ne cesse de nous fixer rendez-vous à travers des réalités visibles.
L’Église elle-même n’a pas le pouvoir de remanier les signes sacramentels à sa guise ; elle peut les préciser, non les inventer.
Une réalité visible
Les sacrements comportent tous une réalité visible. Cela peut être une substance (eau qui coule, huile, pain, vin) ou un geste (l’imposition des mains pour l’ordination) ou au moins un échange de paroles dans les conditions prescrites (pénitence, mariage). Mais cette matière requiert une parole qui lui donne forme, en précise le sens et l’intention, et doit être conforme à la Tradition de l’Église. Pour recevoir le don de Dieu, au lieu de s’appuyer sur une invention des hommes, il faut se situer au plus près de ce qui nous a été transmis. L’Église elle-même n’a pas le pouvoir de remanier les signes sacramentels à sa guise ; elle peut les préciser, non les inventer.
La garantie du Christ
Le sacrement n’est pas un rite magique, mais le Christ s’y engage de façon garantie, lorsque les conditions sont remplies. Sa valeur ne dépend pas de la qualité humaine et spirituelle du ministre. L’effet ne dépend pas des aléas humains.Bien sûr, il est souhaitable que le prêtre (ou l’évêque ou le diacre) soit très uni au Seigneur quand il célèbre un sacrement, cela nous aidera certainement à mieux en profiter. Pourtant, si ce n’est pas le cas, et même si le ministre est en état de péché grave, la grâce passera quand même. Sinon quelle inquiétude de scruter à chaque fois le degré de sainteté du célébrant ! Comme dit saint Augustin : si Judas baptise, en fait c’est le Christ qui baptise. Donc le résultat est garanti, mais, pour le ministre qui célébrerait en état de péché mortel, il aggraverait son cas en donnant un sacrement dans ces conditions. Toutefois il y a une limite : si le célébrant fait semblant, ou refuse de faire ce que fait l’Église, bref s’il ne veut pas collaborer avec la grâce, il n’y a pas de sacrement.
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De même, l’Église ne nous demande pas d’avoir tout compris et d’avoir une vie impeccable en tout point pour recevoir un sacrement. Mais, par exemple dans le cas de ceux qui sollicitent le baptême à l’âge adulte, elle demande une préparation sérieuse qui peut courir sur plus d’une année, la reconnaissance des péchés commis jusque-là et la résolution à un vrai changement de vie jusqu’à rompre les attaches mauvaises qui auraient pu être contractées auparavant. Au moment de recevoir le sacrement, elle s’assure de la volonté de renoncer au péché et de l’accord net avec la foi de l’Église.
Un vrai désir
C’est un peu cela qui est demandé à chaque sacrement : être décidé à rompre avec le vieil homme et accepter complètement la foi de l’Église. Si nous ne le faisons pas, le Christ viendra quand même, mais quel triste spectacle il trouvera ! Au moment de communier, nous sommes invités à nous reconnaître pécheurs, mais aussi à désirer cette venue du Christ en nous, à rejeter pour cela tout attachement habituel au péché, même au péché véniel. Au moment de nous confesser, nous devons faire un examen honnête de notre vie, en nous efforçant de ne pas oublier les péchés graves que nous aurions pu connaître ; nous devons nous exciter à la contrition, en voyant notre péché pour ce qu’il est, un refus de l’amour, une offense faite à celui qui est toute bonté pour nous. Ces préparations sont déjà une grâce du sacrement.
Un rite liturgique
Le sacrement ne se réduit pas au moment (forcément très court) où la grâce passe à coup sûr, parce que là sont dites les paroles décisives aux quelles est liée l’efficacité du sacrement. L’Église, à juste titre, nous donne toujours les sacrements dans le cadre d’une liturgie, avec lecture de la Parole de Dieu, supplications, action de grâce. Même la confession est une petite célébration, dans laquelle le célébrant nous fait entrer par une prière, évoque au moins implicitement une parole de Dieu, impose la main sur notre tête et fait sur nous le signe de la croix, avant de nous inviter à la louange.
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En réalité, tout sacrement est un acte d’adoration adressé au Père des cieux. Nous sommes d’abord sensibles au don que Dieu nous fait (absolution, soulagement dans la maladie, union conjugale, etc.). Mais, à ce mouvement « descendant » en quelque sorte, correspond un mouvement ascendant : la prière et l’adoration par lesquelles nous reconnaissons la bonté du Père et où nous faisons mémoire de ses bienfaits pour qu’il les prolonge jusqu’à nous. La messe est l’exemple le plus clair de ce double mouvement, car elle est avant tout l’acte d’adoration de l’Église unie au Christ qui se donne au Père. Mais ce moment est aussi celui où le Père nous donne son Fils jusque dans la réalité de sa chair immolée et glorieuse dans l’eucharistie.
L’invocation à l’Esprit
Mais il ne faut pas oublier non plus que chaque sacrement suppose au moins implicitement une invocation au Saint-Esprit, pour que celui-ci opère l’œuvre de Dieu dans les âmes et jusque dans la matière qui sert du support à l’action de Dieu (c’est ce qu’on appelle une épiclèse). La mise en valeur du rôle de l’Esprit dans les sacrements n’est pas contradictoire avec la conviction que le prêtre (si c’est lui qui est ministre du sacrement) agit in persona Christi, c’est-à-dire au nom et à la place du Christ. Le Christ lui-même a mis en jeu le Saint-Esprit pour transformer ses apôtres et leur permettre de remettre les péchés (Jn 20, 22). L’Église emploie de façon presque équivalente des formules à l’indicatif (« je te pardonne tes péchés », « ceci est mon Corps ») et des formules de supplication (« que l’Esprit Saint vienne consacrer » ces dons ou ces personnes). Car elle est sure, elle l’Épouse fidèle, que, pour elle comme pour Jésus, c’est tout un de commander que telle ou telle chose s’accomplisse ou de demander à Dieu d’envoyer l’Esprit pour qu’il les réalise. Comme Fils, le Christ a tout pouvoir sur la maison du Père, mais il aime aussi bien demander.