Oubliée, Notre-Dame des Lucs en Vendée ? Construite au XIXe siècle, à l’emplacement de l’ancienne église détruite par les Colonnes Infernales le 28 février 1794, la chapelle actuelle, dont on ne pousse plus guère la porte, est sans charme mais elle rappelle que ce lieu fut le témoin d’un des plus indicibles massacres de la Révolution, véritable matrice de tous les génocides et de toutes les horreurs totalitaires du XXe siècle.
En janvier 1794, désireux d’en finir avec l’insurrection vendéenne débutée au printemps précédent, le Comité de Salut public accorde son blanc-seing au plan du général Turreau qui propose de faire parcourir les départements insurgés par douze colonnes mobiles chargées de tout tuer et incendier sur leur passage. Peu importe qu’à cette date, militairement, la Vendée, vaincue, ne représente plus une menace. Le seul fait que ses populations catholiques aient osé se soulever, au nom de leur foi persécutée, contre la Révolution, les voue à la mort.
Dans la France « régénérée », il ne saurait y avoir de place pour ceux qui n’acceptent pas le nouveau « contrat social », dont on a exclu Dieu et l’Église ; en se « retranchant » ainsi de la communauté nationale, en soutenant que la loi divine prime sur celles de l’État, ces gens cessent d’être des citoyens, donc des humains. Réduits à l’état de sous-hommes, les Vendéens, leurs “femelles”, leurs petits doivent être éradiqués comme des bêtes nuisibles. L’on ne va pas s’en priver : il s’agit d’hygiène sociale.
L’enfer se déchaîne
Les Colonnes de Turreau, très vite surnommées « infernales » en raison du sillage de flammes et de sang qu’elles laissent derrière elles, s’ébranlent le 17 janvier avec ordre de tuer tout ce qui vit sur leur passage, femmes, enfants, vieillards, animaux, puis de tout brûler. Ce plan est appliqué avec un zèle féroce. Les soldats, que l’on enivre pour leur donner du cœur à l’ouvrage, ne se contentent pas de tuer : ils violent et torturent. Il semble que l’enfer se déchaîne sur ces terres catholiques qui voulaient le rester.
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Le 28 février 1794, la colonne du général Cordelier approche des Lucs-sur-Boulogne, gros bourg composé de deux agglomérations, le Grand et le Petit Lucs. Le village, dont tous les hommes valides en âge de porter les armes ont rejoint Charette pour tenter d’arrêter les « brûleux », ne saurait constituer un objectif militaire, mais c’est une proie facile, précisément ce que recherche Cordelier, plus désireux de piller et de massacrer que de se battre.
Sans défense, les habitants des Lucs, face au péril, cherchent refuge au pied de la Sainte Vierge, dans l’église Notre-Dame du Petit Luc, trop petite pour contenir les 500 malheureux qui s’y pressent. Déjà, dans le vallon de la Malnay, en contrebas, l’on entend les tambours des Bleus qui approchent.
Le sacrifice du vieux curé
Alors, le vieux curé, l’abbé Voyneau, héroïque, décide d’aller au devant des militaires et de s’offrir en victime, lui, prêtre réfractaire dont la tête est mise à prix, contre la vie de ses ouailles… Son sacrifice ne sauvera pas son troupeau. L’abbé Voyneau est torturé, longuement. On lui tranche les doigts, qui ont reçu l’onction pour consacrer, on lui arrache la langue, qui avait le pouvoir de faire descendre le Christ sur l’autel, dans une atteinte volontaire et sacrilège à son sacerdoce. Enfin, on l’ouvre en deux à coups de sabre et on lui arrache le cœur. Longtemps, l’on montrera, sur des pierres, les traces du sang du martyr.
Puis, Cordelier et ses hommes monteront jusqu’à Notre-Dame, et y « décalotteront toute une nichée de calotins qui brandissaient les insignes du fanatisme » ; comprenez des familles entières à genoux accrochées à leurs chapelets, massacrées à coups de baïonnettes. Pour terminer la besogne, ils incendieront l’église et tireront dessus au canon, pour être bien sûr que personne n’échappe au brasier. Méticuleux, les tueurs explorent ensuite toutes les maisons, toutes les fermes, battent les haies et massacrent humains et animaux.
Le prêtre relève 565 cadavres ; parmi eux 110 tout petits enfants qui n’avaient pas l’âge de raison.
Quant, à dix jours de là, le jeune curé du Grand Luc, l’abbé Barbedette, aumônier dans l’armée de Charette, informé du massacre, regagne sa paroisse et se met en quête de survivants, il n’en retrouve aucun. Le prêtre relève 565 cadavres ; parmi eux « 110 tout petits enfants qui n’avaient pas l’âge de raison ». Et, seul, il les enterre. Puis, parce qu’il ne faut pas qu’un drame pareil s’oublie, l’abbé Barbedette dresse l’interminable liste des victimes, maison par maison, famille par famille, mettant en évidence l’assassinat sous le même toit de trois ou quatre générations, de l’arrière-grand-mère à l’arrière-petit-fils nouveau-né. Cette terrible liste, qu’il faut un long moment pour lire, le cœur serré, vous la trouverez, gravée dans le marbre, sur les murs de la chapelle.
La grâce de la fidélité
Longtemps, l’on est venu se recueillir, aux fêtes mariales, en ces lieux qui ne parlent pas de haine, ni de vengeance, mais seulement d’un pardon toujours offert et prêt à rejaillir sur les bourreaux eux-mêmes. On y invoque la protection de Notre-Dame des Martyrs et des Saints Innocents de la Vendée, ces 110 tout petits, évidemment étrangers aux querelles politiques du temps, massacrés ici en haine de la foi, et dont la cause de béatification, ouverte, attend toujours son aboutissement. Si jamais vous passez aux Lucs, après avoir visité le Mémorial de la Vendée inauguré en 1993 par Soljenitsyne, faites le détour par la chapelle. Entrez, prenez le temps de lire un à un chaque nom de la liste de l’abbé Barbedette. Puis demandez à l’abbé Voyneau et à ses ouailles la grâce de la fidélité. Jusqu’au bout.
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