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Confinement, an II : la liberté intérieure à l’épreuve

femme à la fenêtre avec un masque

© Ahmet Misirligul -Shutterstock

Jean Duchesne - publié le 16/03/21

Parce qu’elle est intérieure, la vraie liberté n’esquive pas les contraintes extérieures.

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Les anniversaires peuvent inviter à des bilans. Voici exactement un an qu’ont été décrétés des restrictions aux contacts humains et des déplacements dans le but d’empêcher la propagation d’un virus. Ce premier confinement a duré un peu moins de deux mois avant d’être assoupli en mai. Les mesures ont ensuite été redurcies de fin octobre à mi-décembre. A alors été instauré un couvre-feu général à 18 heures. Et depuis février 2021, des règles plus strictes sont réimposées dans certaines régions. L’impact est considérable aux niveaux social, professionnel et économique, mais aussi familial, culturel et psychologique, alors qu’on ne voit pas encore le bout du tunnel et encore moins ce que sera le monde après.

Frustrations et recentrages

La nouveauté, ce n’est pas seulement des mots comme « distanciation », « gestes barrières » ou « présentiel », ni des accessoires devenus omniprésents comme les masques et le gel hydroalcoolique. C’est une certaine déstabilisation, le sentiment d’une perte de liberté en raison, bien plus que des contraintes concrètement subies, d’incertitudes sur le présent et sur l’avenir, qui semblent condamner à la passivité et l’impuissance. Tout certes n’a pas été négatif : quand la plupart des interactions habituelles à l’extérieur sont devenues impossibles tandis que la menace planait, les attachements prioritaires sont apparus plus nettement, et l’isolement forcé a permis des recentrages sur la vie intérieure, alimentée entre autres par la lecture — ce medium cool qui stimule au lieu d’hypnotiser à la façon des médias audio-visuels.



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Mais les frustrations n’ont pas manqué et demeurent. Le télétravail n’est pas la panacée et c’est bien pire pour ceux qui ne peuvent plus travailler du tout. Les étudiants manquent cruellement de contacts entre eux, et pas seulement avec leurs professeurs. Même le foyer familial, si l’on n’en sort plus guère, risque de cesser d’être le port, le nid où l’on revient pour se refaire. C’est ce qui peut expliquer que les deuxième et troisième confinements aient été, pour autant qu’on puisse l’évaluer, parfois plus difficilement vécus que le premier. Celui-ci avait été accepté comme une urgence. Mais la pression qu’aucun effort ne semble pouvoir atténuer devient de plus en plus pénible.

La dialectique entre liberté et contraintes

Si l’on y réfléchit un peu, on s’aperçoit que le confinement impose des astreintes (distanciation, couvre-feu, renoncement aux réunions et rassemblements), mais en élimine d’autres (hyperactivité professionnelle ou de loisir) qui n’étaient jusque là pas ressenties comme telles et relevaient plutôt d’un certain conformisme — ce que Blaise Pascal appelait le « divertissement », c’est-à-dire les occupations tellement nombreuses et absorbantes qu’elles emplissent toute une vie, sans laisser le temps de se demander pour quoi on s’y livre. Lorsque les accoutumances sont ainsi contrariées, on peut être désemparé. Mais ne serait-ce pas parce qu’on ne sait pas trop quel parti tirer des espaces ainsi offerts à la créativité ?

Il n’y a en fait de liberté qu’à travers des rapports avec les choses et les êtres tels qu’ils sont sans qu’on puisse les maîtriser totalement, pourvu qu’on les considère comme non pas des contraintes à subir passivement mais des opportunités à saisir.

On voit s’esquisser là, quelles que soient les circonstances, une dialectique entre liberté et contraintes : la première ne va pas sans les secondes. La liberté n’est pas l’autonomie, c’est-à-dire l’absence totale de liens avec quoi ou qui que ce soit, car alors elle n’aurait plus de champ où s’exercer, donc plus aucune réalité. On serait tout seul avec soi-même, dans un vide dont on serait prisonnier. Il n’y a en fait de liberté qu’à travers des rapports avec les choses et les êtres tels qu’ils sont sans qu’on puisse les maîtriser totalement, pourvu qu’on les considère comme non pas des contraintes à subir passivement mais des opportunités à saisir.

Pas de créativité sans obligations

Un exemple de cette dialectique est tout simplement le langage : on n’invente pas les mots que l’on utilise. On les reçoit, avec leurs formes, leur sens et la manière de les agencer en messages compréhensibles. C’est en se pliant à ces conventions que l’on peut manifester son existence personnelle et même être créatif, comme le montrent les poètes. Semblablement, la puissance de la tragédie classique repose sur la norme des unités d’action, de temps (une journée) et de lieu. Les jeux et les sports dont l’attrait est l’imprévisible reposent de même sur le respect de règles. A contrario, l’art dit contemporain laisse beaucoup de gens perplexes, parce qu’ils ont du mal à déchiffrer les codes mis en œuvre.



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En ce dernier cas, le public est désorienté, et sa liberté ne s’exerce plus que négativement, en se détournant. L’artiste, pour sa part, s’est affranchi de certaines observances, mais continue de se colleter avec des matériaux qu’il a dû emprunter, dans le cadre où il se trouve et qu’il n’a pas choisi. Il en va un peu de même dans la crise sanitaire qui dure depuis un an maintenant. La privation d’accoutumances légitimement considérées comme des droits intangibles (sorties au restaurant, au cinéma, soirées amicales, etc.) est ressentie comme une brimade et peut rendre dépressif. Mais quelle que soit la frustration, la révision brutale des règles du jeu ne paralyse pas complètement. Des choix demeurent possibles, pour s’adapter et inventer dans les nouvelles conditions imposées, mais aussi pour se recentrer.

La liberté à l’épreuve

Toute transformation un peu radicale du contexte sans lequel la liberté n’est pas effective est en effet une épreuve. Il convient d’entendre par là, en plus du fait d’éprouver quelque chose qu’on n’avait pas prévu, la remise en cause d’acquis implicitement fondamentaux, et donc l’affrontement de risques. La crise — le moment critique, décisif — a pour enjeu la liberté : va-t-elle survivre et même s’épanouir, ou bien capituler, si sont bousculés les cadres qui lui sont nécessaires et dans lesquels elle se trouvait à l’aise ? Toutes ces contingences ne finissent-elles d’ailleurs pas toujours par l’emporter, et l’homme ne disparaît-il pas lorsque l’âge, la maladie, un accident ou une dégradation de son environnement social ou écologique le prive, avant même de lui ôter la vie, de la liberté qui fait de lui un peu plus qu’un animal ?

Ce qui met les chrétiens à part est la conviction que la liberté ne consiste pas à prendre, mais à rendre ce que l’on reçoit…

La plupart de nos contemporains répondent tacitement « oui » à cette question, en évitant de la soulever tout en s’efforçant de prendre tout de suite autant de libertés qu’ils le peuvent. Ce qui met les chrétiens à part est la conviction que la liberté ne consiste pas à prendre, mais à rendre ce que l’on reçoit, à commencer par soi-même, parce qu’alors on ne perd rien, car on est associé au Donateur et à ce qu’il offre à tous. C’est ce que révèle Jésus, Fils de Dieu, qui donne sa vie pour qu’y aient part tous ceux qui feront de même. Et la pensée stimulée par cette découverte entrevoit que cette liberté, qui n’abolit pas les contraintes mais qu’elles ne peuvent abolir, est celle de l’Esprit qui unit au Fils comme il unit celui-ci au Père de tous.

Sans présomption ni peur

La foi n’est évidemment pas un moyen de relativiser la crise sanitaire. Elle donne plutôt d’y reconnaître des épreuves que la liberté intérieure reçue de Dieu exige d’affronter sans les esquiver et en solidarité avec les autres, sans compter uniquement sur des ressources tout humaines, ni craindre de n’être plus que le jouet passif des circonstances.



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