Il n’a fallu que quelques jours pour que l’Inde bascule dans le chaos. Dans des hôpitaux submergés, désormais à court de lits, de médicaments et d’oxygène, des patients sont allongés à même le sol. À New Delhi, l’un des centres névralgiques de l’économie indienne, des dizaines de personnes, à défaut de prise en charge et d’oxygène, meurent aux portes des hôpitaux. La circulation, loin de faiblir, donne à contempler un macabre balais d’ambulances s’étirant en de silencieuses colonnes pour évacuer les corps des victimes du Covid-19 vers des crématoriums de fortune, établis dans des parcs, des parkings et des terrains vagues.
Pour la seule journée de jeudi 29 avril, l’Inde a enregistré officiellement 3.645 nouveaux décès du Covid-19, soit 350 de plus que la veille. Le pays a recensé près de 380.000 nouvelles contaminations au cours des dernières 24 heures, battant une fois encore un record mondial. Le nombre décès dus au Covid-19 s’établit désormais à plus de 204.000. Des chiffres déjà dramatiques qui seraient, d’après plusieurs experts, bien en deçà de la réalité. Car si les infrastructures médicales et hospitalières sont relativement bien équipées dans les grandes villes de plus d’un million d’habitants, elles sont inadéquates ou inexistantes dans les villes de moins de 100.000 habitants et les campagnes dans lesquelles vit la majorité de la population. Nombre d’Indiens meurent ainsi chez eux dans la plus grande ignorance et indifférence.
Nous avons de jeunes patients qui mourront dans deux heures.
Sur les réseaux sociaux, médecins et hôpitaux multiplient les appels à l’aide. “Nous avons 36 patients sous oxygène et notre approvisionnement en oxygène n’ira pas au-delà de 21h00. Besoin urgent d’oxygène. 1 cylindre dure de 45 minutes à 1 heure”, alerte dans une vidéo Gautum Singh, le directeur de l’hôpital et de l’institut de cardiologie de Shri Ram Singh à l’est de Delhi. Il y raconte ses tentatives désespérées pour trouver de l’oxygène. “Nous essayons depuis 4h30 du matin. Nos véhicules sont allés à Bawana, ils sont allés à Faridabad, ils sont allés à Noida, dans le grand Noida. Nous n’obtenons d’oxygène nulle part. Nous avons de jeunes patients qui mourront dans deux heures.”
Jusqu’à présent l’Inde semblait pourtant avoir relativement bien résisté au virus. Mais “les instances politiques, administratives et la population en général ont baissé la garde”, explique à Aleteia le père Henri Bonal, prêtre des Missions étrangères de Paris (MEP) à Bangalore, dans le sud de l’Inde, qui a été contraint de rentrer en France cet été après plus de cinquante ans sur place. En mars, par exemple, de nombreuses campagnes électorales rassemblant des foules immenses se sont tenues un peu partout dans le pays. D’autres évènements tel que le pèlerinage hindou de Kumbh Mela à Haridwar – une des sept villes sacrées de l’hindouisme – a été autorisé par le gouvernement. “Ce pèlerinage dure plus d’un mois et aurait drainé près de 50 millions de personnes venues de tous les coins de l’Inde”, reprend le prêtre. “À ce jour il n’est pas encore fini et les populations qui fréquentent ce genre de pèlerinage croient surtout aux vertus purificatrices des eaux du Gange; faisant fi, en général, des mesures de protections préconisées par ailleurs.”
Il y a deux choses en Inde que l’ensemble des hindous reconnait et loue, c’est la contribution de l’Église catholique et des chrétiens dans le domaine de l’éducation et de la santé.
Face à cette situation déchirante, l’Église catholique et les organisations chrétiennes montent en première ligne. Les célébrations publiques sont suspendues mais pas la foi ni la charité. Les lieux de culte demeurent ouverts pour la prière personnelle et les prêtres circulent, dans le respect des règles sanitaires, afin de visiter les membres de leur communauté dans le besoin. “Il suffit de voir le nombre de prêtres, de religieuses et de laïcs qui ont payé un lourd tribu à la pandémie pour comprendre leur engagement sans faille”, reprend le père Henri Bonal. “Il y a deux choses en Inde que l’ensemble des hindous reconnait et loue, c’est la contribution de l’Église catholique et des chrétiens dans le domaine de l’éducation et de la santé avec de grands et bons hôpitaux”, assure-t-il. Par leur engagement à tout épreuve, les Églises chrétiennes d’Inde fournissent une bouée de sauvetage aux couches les plus pauvres et les plus vulnérables de la population touchée par la pandémie en assurant une présence, des distributions alimentaires etc. Le gouvernement indien avait initialement ordonné que la distribution de nourriture et de biens essentiels soit effectuée exclusivement par le biais de réseaux officiels. Mais face à l’incapacité de ces derniers à répondre aux besoins, les églises et autres associations ont à nouveau été autorisées à agir.
Se faisant la voix de ceux qui n’en ont pas, les évêques multiplient les prises de parole afin d’appeler à garantir un accès à l’oxygène au même titre qu’un accès à un abri ou à de la nourriture. Le cardinal Alencherry, chef de l’Église catholique syro-malabar de rite oriental et président du Conseil des évêques catholiques du Kerala, a demandé au gouvernement que l’accès à l’oxygène médical soit “un droit humain fondamental”. Mgr Peter Machado, archevêque de Bangalore, a quant à lui appelé à transformer les écoles et institutions catholiques en centres de soins pour les patients atteints du Covid-19 mais ne nécessitant pas de soins médicaux trop poussés. “De cette façon, nous pouvons laisser plus de lits dans les hôpitaux pour les patients critiques. Ceux qui ont franchi la phase critique peuvent continuer à recevoir leurs soins dans les centres temporaires”, a-t-il expliqué.
Plusieurs pays dont la France, l’Union européenne, la Grande-Bretagne, les États-Unis ou encore la Russie ont annoncé différentes mesures pour venir en aide au pays. D’ici la fin de la semaine, Paris va envoyer huit unités de production d’oxygène médical par générateur, des containers d’oxygène liquéfié. Les cinq premiers acheminés vont permettre d’alimenter en oxygène médical jusqu’à 10.000 patients sur une journée, ainsi que du matériel médical spécialisé contenant notamment 28 respirateurs. Le président américain s’est engagé quant à lui fournir une aide d’urgence comprenant des composants pour la production de vaccins, d’équipements de protection, des tests à diagnostic rapide, ou encore des respirateurs.
Journée de jeûne et de prière le 7 mai
Dans une lettre adressée aux fidèles indiens, les évêques d’Inde ont invité l’ensemble des fidèles à suivre strictement les restrictions de Covid-19. Le président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, le cardinal Oswald Gracias (Bombay) a écrit aux évêques pour leur annoncé une journée de prière et de jeûner le 7 mai afin de demander la fin de la vague de contaminations. Une semaine plus tard, ce sera au tour du pape François de tourner son regard vers l’Inde. Le 14 mai, c’est depuis le sanctuaire Notre-Dame de la Santé, en Inde, que la prière des catholiques du monde entier pour la fin de la pandémie montera vers le Ciel.