Certains prédicateurs ont la dent dure envers le frère du fils prodigue (Lc 15, 11-32), voyant en lui une figure de colère, un trouble-fête restant au seuil des retrouvailles familiales et de la joie céleste qui accompagne le repentir et la conversion. Et pourtant, qui ne s’est jamais senti frère ou sœur du fils prodigue, en particulier dans le service à l’Église ? Cette parabole résonne d’un écho particulier en cette saison de nos années paroissiales où nous sommes parfois amenés à passer la main de nos engagements. Parfois, parce que nous changeons de région, parfois parce que nous sommes appelés à nous engager dans un nouveau service. En effet, la forme de notre engagement n’est pas figée, car, selon l’idée chrétienne de la personne, elle est dictée par notre réponse libre à l’appel de Dieu.
La joie de rendre service
Dieu nous appelle, nous laïcs, à être des témoins du Christ dans nos milieux de vie et à lui rendre gloire dans son Église. Les mains, les pieds, et la voix de Dieu, c’est nous. Et l’Église en a cruellement besoin. Il n’est que de se rendre à une réunion paroissiale pour se faire une idée de la précarité du vivier de bonnes volontés sur lesquelles on peut compter pour que la paroisse puisse continuer d’assurer ses missions de transmission de la foi. Nos prêtres ne peuvent pas tout faire, et ne doivent pas tout faire.
Nous avons reçu de Dieu des dons et des aptitudes et nous reconnaissons que nous sommes “faits” pour tel ou tel service, telle ou telle activité, lorsque le curé ou des paroissiens nous appellent à rendre un service dont nous sentons déjà intérieurement qu’il va nous faire grandir en tant que témoin du Christ, nous apporter une vraie joie, et qu’il va toucher d’autres personnes. Ainsi, certains se verront appelés à la catéchèse, au catéchuménat, à l’évangélisation, au service d’autel, au chant choral et à l’animation liturgique, à l’enseignement, à l’animation de groupes de prière, à l’organisation de fraternités… Tant de choses à faire, tant d’occasions de grandir. Nous ne sommes pas tous dotés des mêmes aptitudes, nous n’avons pas le même attrait pour tous les services.
Mieux vaut s’abstenir plutôt que boucher un trou par contrainte, sans attrait, sans goût, car quel fruit peut porter un service effectué dans cette absence de liberté ? Quand nous sommes appelés à rendre un service qui nous fait grandir en même temps qu’il aide les paroissiens dans la prière, le chant, l’intelligence de la foi, alors l’onction de joie que nous recevons est notre plus belle récompense car elle est la confirmation que nous sommes sur le chemin que Dieu nous indique. Nous nous sentons être pleinement “le maillon dans la chaîne” de la prière du cardinal Newman, nous nous sentons accomplir la tâche que Dieu nous a confiée.
Savoir dire merci
Dans le service ainsi compris, c’est tout notre être qui se trouve engagé, tout le temps. C’est alors qu’en cette fin d’année paroissiale, après les réunions et les pots, nous pouvons parfois nous sentir frères et sœurs du fils prodigue. À peine remerciés. Certes, certains d’entre nous sommes touchés par des remerciements attentionnés donnés en privé par nos prêtres, mais telle ou telle catéchiste qui s’en va après des années de dévouement discret, tel servant d’autel ou acolyte, tel ou telle organiste, animateur ou animatrice, et tant d’autres fleuristes et brodeuses d’ornements liturgiques, et tant d’autres mains, pieds et intelligences de Dieu parmi nous… leur a-t-on dit merci ? Ne mériteraient-ils pas un merci public ? Pas un merci interchangeable lancé à la cantonade, mais un merci personnalisé pour ce qu’ils ont apporté, eux, de manière unique ? Peut-être davantage de laïcs plus jeunes oseraient mettre leurs dons au service de leur paroisse si leur contribution unique était reconnue de manière personnelle.
Le père Maurice Nédoncelle (1905-1976), philosophe personnaliste, écrivait que “l’essence de toute relation du moi au toi est l’amour, c’est-à-dire la volonté de promotion mutuelle”. La volonté de promotion mutuelle, voilà qui nous aide à comprendre une modalité de l’amour dans la paroisse. Quand l’année se termine, peut-être pourrions-nous fixer dans nos calendriers paroissiaux un “dimanche du merci”, par exemple un dimanche de juin ou de juillet ?