Il fait un temps glorieux, ce 15 août 1803, dans le Doubs. Vers 7h30, au matin de l’Assomption, Pierre-Antoine Mille, un fermier des environs de Scey, part pour la messe au bourg en compagnie de ses trois filles, Marguerite, Cécile et Simone, et d’un vannier ambulant, Louis Seure, venu réparer des hottes en vue des vendanges. Pour aller de la ferme de la Malcôte au village, il faut longer les bois de Grandchamp, sombres, profonds, et longtemps repaire de brigands. Le groupe est à peu près à mi-chemin lorsque Seure s’écrie : “Eh dis donc, qu’est-ce que c’est que ça ?” Il désigne un vieux chêne un peu en retrait de la route dont le tronc irradie une telle lumière que l’éclat du soleil, pourtant splendide, en est éclipsé, au point, diraient les deux hommes, de n’être pas plus lumineux “que des vers luisants en pleine nuit”.
Une dame en lumière
Mille pile net, passablement contrarié. Ce chêne, Cécile, sa seconde fille, leur en rebat les oreilles depuis les Pâques précédentes. Ce jour-là, la petite, âgée de treize ans, a fait sa première communion, avec ferveur. En rentrant à la maison, elle a montré l’arbre à sa sœur aînée en disant : “Ah, la Belle Dame entre les deux chandelles !” Marguerite n’a rien vu, pas même la lumière qui, selon sa cadette, baigne le grand chêne. Croyant à une mauvaise plaisanterie, Marguerite la dénonce à leurs parents qui, venus se rendre compte, ne voient ni les chandelles, ni la belle Dame, ni les quatre anges qui, selon Cécile, l’entourent. Sérieusement grondée, la petite n’en démord pas : elle voit une dame en lumière dans le vieux chêne. L’affaire s’est ébruitée, au grand dam des Mille, et cela explique la contrariété de Pierre Antoine lorsque Seure l’a appelé.
Pourtant, il faut en convenir, le chêne rayonne d’une clarté qui n’est pas de ce monde. Après la messe, et constatant la persistance du phénomène, le fermier va quérir une échelle afin de se rendre compte exactement de l’origine de cette invraisemblable lumière. Il est accompagné de tout un groupe de paroissiens et, lorsque Louis Seure eut grimpé, il affirme que la lueur vient de l’intérieur même de l’arbre, par une fente dans le tronc, toute petite au demeurant. On lui passe un couteau, il agrandit la fente, et en retire la source de ce rayonnement.
En remerciement
Il s’agit d’une statuette de 19 centimètres de haut, sortie des ateliers jurassiens d’Étrepigney représentant une Vierge au raisin, c’est-à-dire Notre-Dame tendant à l’Enfant Jésus une grappe du fruit, imagerie populaire dans ce pays alors de vignobles. Tout le monde reste saisi de stupeur, et les Mille les premiers. Cette image mariale, chacun la connaît dans le pays. Elle a été installée dans le chêne une année indéterminée du XVIIe siècle, alors que la guerre désolait la région. On ne se souvient plus très bien de l’histoire. Est-ce un paysan des environs qui, attaqué par des déserteurs devenus bandits, a été miraculeusement secouru après avoir appelé Notre-Dame à son aide ? Ou une jeune fille qui, agressée en plein bois par des gredins du même acabit, a échappé par miracle au viol ? Peu importe mais, ce qui compte, c’est qu’en remerciement, la statue a été placée dans l’arbre voisin de l’intervention céleste.
Pendant une centaine d’années, Notre-Dame du Chêne fait l’objet des dévotions du voisinage et de celles des passants, et puis, au début du XVIIIe siècle, effet banal et conjugué du mépris janséniste envers Notre-Dame et des idées philosophiques, on l’oublie peu à peu. Au point que nul ne s’est avisé d’un phénomène naturel : l’arbre refaisait de l’écorce et celle-ci, lentement, se refermait sur la statuette. Un jour, vers le mitan du siècle, celle-ci ne fut plus visible du tout…
Délicatesse céleste
Le premier à s’en apercevoir est le fermier de la Malcôte, le grand-père de Cécile, et cet homme pieux en est vivement affligé. Croyant à un vol, et désireux d’en réparer les effets, il rachète de ses deniers une statuette du même modèle, qu’il replace, non dans l’arbre d’origine mais un peu à l’écart de la route, par précaution contre un autre vol. Curieusement, en dépit de la disparition de la première image, une sorte de dévotion superstitieuse continue d’entourer le vieux chêne, au point que, lorsqu’en 1793, on ordonne des coupes dans les bois, le bûcheron en charge de l’abattage prit sur lui d’épargner cet arbre tricentenaire, marmonnant que l’abattre le ferait mal voir dans le coin. En lieu et place, il abattit le chêne qui abritait la statue de remplacement, sur laquelle ses hommes et lui s’étaient acharnés, avant d’en jeter les débris dans la rivière voisine.
La première statuette, protégée par l’écorce, demeura cachée, en sécurité, jusqu’à cette matinée de Pâques 1803, un an après l’entrée en vigueur du concordat qui rendait à la France le culte catholique. Et, par une délicatesse céleste, c’est à la descendance du seul qui, dans la région, s’était soucié de la disparition de son image, que Notre-Dame se manifeste, au milieu de lumières divines qui effacent celles du siècle passé et persécuteur.
Première pierre
Le chêne miraculeux abattu en 1839, la statue connut quelques péripéties, promenée d’abri de fortune en abri de fortune, tandis que les communes voisines se disputent l’érection d’un éventuel sanctuaire. Il fallut attendre 1844 pour que l’évêché de Besançon se prononce sur la supernaturalité des faits de 1803. Cécile était morte, ce qui compliqua l’enquête. Enfin, la première pierre de l’église, construite à l’emplacement de l’arbre miraculeux, fut posée en 1863. Consacrée en 1869, Notre-Dame du Chêne, ou des Lumières, car les deux appellations lui restent attachées, est aujourd’hui encore l’un des principaux lieux de pèlerinage marial de la région.